GÉRARD DE NERVAL

 

SOMMAIRE

 

Courbe de vie

Une vocation à l'amour

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Le voyage en Orient

Mémorables

En manière d'épilogue : Les Poètes et les Reines

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Nerval : Vers l'Orient

Armel Guerne et Nerval

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Retour à Gérard de Nerval

AURÉLIA ou l'Orient mystique

"Où vas-tu? me dit-il. Vers l'Orient!" Et pendant qu'il m'accompagnait, je me mis à chercher dans le ciel une Étoile, que je croyais connaître, comme si elle avait quelque influence sur ma destinée"

Or, cette Étoile est Suhayl, l'Étoile du Yémen, qui désigne dans toutes les traditions ésotériques l'Orient métaphysique. C'est pourquoi Aurélia est fondamentalement un récit visionnaire, même entremêlé de situations, d'épisodes qui relèvent de la pathologie et qui posent de ce fait un problème d'interprétation. En revanche, si les visions d'Aurélia apparaissent parfois "déformées" par la maladie mentale, la plupart décrivent avec exactitude ce monde de l'Entre-deux - perçu par le supra-conscient - où s'incarnent les réalités visionnaires. C'est à ce monde imaginal que se rapportent assurément les rêves groupés dans la deuxième partie d'Aurélia, sous le titre Mémorables (en référence à Swedenborg).  

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L'ÉTOILE DU YÉMEN

"Une Étoile a brillé tout à coup et m'a révélé le secret du monde et des mondes"

Marib

Dans Aurélia, l'Orient métaphysique s'identifie à l'Amour, - tandis que l'Étoile du Yémen guide le poète vers le Monde de l'Ange : "Dans cette étoile, écrit Nerval, sont ceux qui m'attendent. Ils sont antérieurs à la révélation que tu as annoncée. Laisse-moi les rejoindre, car celle que j'aime leur appartient, et c'est là que nous devons nous retrouver." Sous le signe de Suhayl, Aurélia développe ces motifs, selon un mode d'expression qui reproduit les différentes étapes de l'aventure spirituelle du poète.

La Ville mystérieuse

Dans une première approche du monde de l'Ange, Nerval accède à une ville mystérieuse qui se révèle être la "patrie mystique" du poète et ses habitants "une famille primitive et céleste". Cette Ville apparaît comme une de ces cités décrites aussi bien par les mystiques persans que par les visionnaires chrétiens et qui sont situées dans l'Entre-deux. De cette visite à la Ville mystérieuse, le poète retient d'abord qu'"il y a un Dieu" - et que l'âme est immortelle: "Plus de mort, plus de tristesses, plus d'inquiétude. Ceux que j'aimais, parents, amis, me donnaient des signes certains de leur existence éternelle."

De la mort d'Aurélia

Dans le rêve qui suit, Nerval apprend la mort d'Aurélia. Loin de l'attrister, cette nouvelle lui redonne espoir, puisque celle qui avait repoussé son amour en ce monde ne pouvait qu'accueillir le poète dans l'au-delà : Jenny Colon n'est-elle pas la "fiancée paradisiaque"? - "Je croyais moi-même n'avoir que peu de temps à vivre, et j'étais désormais assuré de l'existence d'un monde où les cœurs aimants se retrouvent. D'ailleurs, elle m'appartenait bien plus dans sa mort que dans ma vie."

  A propos du "double"

Le calife Hakim avait vu le jeune Youssouf usurper sa place aux côtés de sa sœur - or, il avait reconnu en lui son "double". A son tour Nerval se trouve dépossédé d'Aurélia qui lui préfère cet autre à qui le poète identifie son propre "double" : "Un mauvais génie avait pris ma place dans le monde des âmes; - pour Aurélia, c'était moi-même, et l'esprit désolé qui vivifiait mon corps, affaibli, dédaigné, méconnu d'elle, se voyait à jamais destiné au désespoir et au néant". Ainsi s'achève la première phase d'Aurélia. la révolte de Nerval, son désespoir qui lui font provoquer Dieu lui-même, repousser avec violence ce "double" qui lui apparaît un rival, ont pour conséquence la perte d'Aurélia. En fait, tout le drame du poète est dans cette tragique méprise sur l'identité de son "double".

 

LE ROI DE GLOIRE

Aurélia perdue une seconde fois, Nerval alors son erreur et par un revirement exceptionnel identifie son rival: "O Malheur! je l'ai chassé de moi-même, je l'ai menacé, je l'ai maudit! C'était bien lui, ce frère mystique, qui s'éloignait de plus en plus de mon âme et qui m'avertissait en vain! Cet époux préféré, ce roi de gloire, c'est lui qui me juge et me condamne, et qui emporte à jamais dans son ciel celle qu'il m'eût donnée et dont je suis indigne désormais."

Livré au désespoir, Nerval s'achemine vers la folie. En témoigne une succession de rêves délirants, où les intersignes ont trop l'apparence des "coïncidences" trompeuses auxquelles s'attachent les malades mentaux pour prétendre à une quelconque valeur spirituelle. - Ainsi à Notre-Dame de Lorette : "J'allais me mettre à genoux aux dernières places du chœur, et je fis glisser de mon doigt une bague d'argent dont le chaton portait gravés ces trois mots arabes : Allah! Mohammed! Ali! Aussitôt plusieurs bougies s'allumèrent dans le chœur et l'on commença un office."

Et pourtant il reste encore un espoir au poète - celui du pardon divin - qu'il va chercher dans les affres de la folie.

 

LA REINE DU MATIN

"Et ses grands yeux dévoraient l'espace, et faisait voler dans l'air sa longue chevelure imprégnée des parfums de l'Yémen"

De fait un rêve délivre Nerval de ses épreuves - l'Étoile du matin semble se lever, enfin, sur la destinée du poète : "Nous étions dans une campagne éclairée des feux des étoiles ; nous nous arrêtâmes à contempler ce spectacle, et l'esprit [qui accompagne Nerval ] étendit sa main sur mon front comme j'avais fait la veille en cherchant à magnétiser mon compagnon ; aussitôt une des étoiles que je voyais au ciel se mit à grandir, et la divinité de mes rêves m'apparut souriante (...). Elle me dit : "L'épreuve à laquelle tu étais soumis est venue à son terme."

A la suite de ce rêve, prennent place les Mémorables.

 

L'ACCOMPLISSEMENT

"O Mort! où est ta victoire, puisque le Messie vainqueur chevauchait entre nous deux?"

C'est sur cette dernière vision que s'achève la quête de soi du poète. Par elle, il semble atteindre la source et le terme de sa vocation à l'Amour, - qui s'accomplit, en effet, lorsque le Christ est réuni à l'amant et à l'aimée, - en d'autre termes, au poète et à la jeune fille qui est à la ressemblance de l'âme, - qui marque toute l'expérience intérieure du poète romantique allemand Novalis : "Christus und Sophie" (30 juin 1797).

Et pourtant, malgré cette vision, l'initiation reste une initiation manquée - elle ne suffit pas à justifier l'appartenance du poète à l'Ordre au sein duquel il eût réalisé le sens de sa vocation.