AURÉLIA ou
l'Orient mystique "Où vas-tu? me dit-il. Vers
l'Orient!" Et pendant qu'il m'accompagnait, je me mis à chercher dans le ciel
une Étoile, que je croyais connaître, comme si elle avait quelque influence sur ma
destinée" Or, cette Étoile
est Suhayl, l'Étoile
du Yémen, qui désigne dans toutes les traditions ésotériques l'Orient métaphysique.
C'est pourquoi Aurélia est fondamentalement un récit visionnaire, même
entremêlé de situations, d'épisodes qui relèvent de la pathologie et qui posent de ce
fait un problème d'interprétation. En revanche, si les visions d'Aurélia
apparaissent parfois "déformées" par la maladie mentale, la plupart décrivent
avec exactitude ce monde de l'Entre-deux - perçu par le supra-conscient - où s'incarnent
les réalités visionnaires. C'est à ce monde imaginal que se rapportent
assurément les rêves groupés dans la deuxième partie d'Aurélia, sous le
titre Mémorables (en référence à Swedenborg).
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L'ÉTOILE DU YÉMEN
"Une Étoile a brillé tout à coup et
m'a révélé le secret du monde et des mondes"

Dans Aurélia, l'Orient métaphysique s'identifie à
l'Amour, - tandis que l'Étoile du Yémen guide le poète vers le Monde de l'Ange : "Dans cette étoile, écrit Nerval,
sont ceux
qui m'attendent. Ils sont antérieurs à la révélation que tu as annoncée. Laisse-moi
les rejoindre, car celle que j'aime leur appartient, et c'est là que nous devons nous
retrouver." Sous le signe de Suhayl, Aurélia développe ces motifs, selon un
mode d'expression qui reproduit les différentes étapes de l'aventure spirituelle du
poète.
La Ville mystérieuse
Dans une première approche du monde de l'Ange, Nerval
accède à une ville mystérieuse qui se révèle être la "patrie
mystique" du poète et ses habitants "une famille
primitive et céleste". Cette Ville apparaît comme une de ces cités
décrites aussi bien par les mystiques persans que par les visionnaires chrétiens et qui
sont situées dans l'Entre-deux. De cette visite à la Ville mystérieuse, le poète
retient d'abord qu'"il y a un Dieu" - et que l'âme
est immortelle: "Plus de mort, plus de tristesses, plus
d'inquiétude. Ceux que j'aimais, parents, amis, me donnaient des signes certains de leur
existence éternelle."
De la mort d'Aurélia
Dans le rêve qui suit, Nerval apprend la mort
d'Aurélia. Loin de l'attrister, cette nouvelle lui redonne espoir, puisque celle qui
avait repoussé son amour en ce monde ne pouvait qu'accueillir le poète dans l'au-delà :
Jenny Colon n'est-elle pas la "fiancée paradisiaque"? - "Je croyais moi-même n'avoir que peu de temps à vivre, et j'étais
désormais assuré de l'existence d'un monde où les curs aimants se retrouvent.
D'ailleurs, elle m'appartenait bien plus dans sa mort que dans ma vie."
A propos du "double"
Le calife Hakim avait vu le
jeune Youssouf usurper sa place aux côtés de sa sur - or, il avait reconnu en lui
son "double". A son tour Nerval se trouve dépossédé d'Aurélia qui lui
préfère cet autre à qui le poète identifie son propre "double" :
"Un mauvais génie avait pris ma place dans le monde des âmes;
- pour Aurélia, c'était moi-même, et l'esprit désolé qui vivifiait mon corps,
affaibli, dédaigné, méconnu d'elle, se voyait à jamais destiné au désespoir et au
néant". Ainsi s'achève la première phase d'Aurélia.
la révolte de Nerval, son désespoir qui lui font provoquer Dieu lui-même, repousser
avec violence ce "double" qui lui apparaît un rival, ont pour conséquence la
perte d'Aurélia. En fait, tout le drame du poète est dans cette tragique
méprise sur l'identité de son "double".
LE ROI DE GLOIRE
Aurélia perdue une seconde fois, Nerval alors son
erreur et par un revirement exceptionnel identifie son rival: "O
Malheur! je l'ai chassé de moi-même, je l'ai menacé, je l'ai maudit! C'était bien lui,
ce frère mystique, qui s'éloignait de plus en plus de mon âme et qui m'avertissait en
vain! Cet époux préféré, ce roi de gloire, c'est lui qui me juge et me condamne, et
qui emporte à jamais dans son ciel celle qu'il m'eût donnée et dont je suis indigne
désormais."
Livré au désespoir, Nerval s'achemine vers la folie.
En témoigne une succession de rêves délirants, où les intersignes ont trop l'apparence
des "coïncidences" trompeuses auxquelles s'attachent les malades mentaux pour
prétendre à une quelconque valeur spirituelle. - Ainsi à Notre-Dame de Lorette :
"J'allais me mettre à genoux aux dernières places du
chur, et je fis glisser de mon doigt une bague d'argent dont le chaton portait
gravés ces trois mots arabes : Allah! Mohammed! Ali! Aussitôt
plusieurs bougies s'allumèrent dans le chur et l'on commença un office."
Et pourtant il reste encore un espoir au poète - celui
du pardon divin - qu'il va chercher dans les affres de la folie.
LA REINE DU MATIN
"Et ses grands yeux dévoraient
l'espace, et faisait voler dans l'air sa longue chevelure imprégnée des parfums de
l'Yémen"
De fait un rêve délivre Nerval de ses épreuves -
l'Étoile du matin semble se lever, enfin, sur la destinée du poète : "Nous étions dans une campagne éclairée des feux des étoiles ; nous
nous arrêtâmes à contempler ce spectacle, et l'esprit [qui
accompagne Nerval ] étendit sa main sur mon front comme
j'avais fait la veille en cherchant à magnétiser mon compagnon ; aussitôt une des
étoiles que je voyais au ciel se mit à grandir, et la divinité de mes rêves m'apparut
souriante (...). Elle me dit : "L'épreuve à laquelle tu étais soumis est venue à
son terme."
A la suite de ce rêve, prennent place les Mémorables.
L'ACCOMPLISSEMENT
"O Mort! où est ta victoire,
puisque le Messie vainqueur chevauchait entre nous deux?"
C'est sur cette dernière vision que s'achève la
quête de soi du poète. Par elle, il semble atteindre la source et le terme de sa vocation à l'Amour, - qui s'accomplit, en effet, lorsque le
Christ est réuni à l'amant et à l'aimée, - en d'autre termes, au poète et à la jeune
fille qui est à la ressemblance de l'âme, - qui marque toute l'expérience intérieure
du poète romantique allemand Novalis : "Christus und
Sophie" (30 juin 1797).
Et pourtant, malgré cette vision, l'initiation reste
une initiation manquée - elle ne suffit pas à justifier l'appartenance du poète à
l'Ordre au sein duquel il eût réalisé le sens de sa vocation.
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