Le plus remarquable
chez Nerval reste sa vocation à l'amour, mais comme celle d'un de ces initiés à demi
dont on peut, à travers le cheminement intérieur et l'univers amoureux, deviner
l'appartenance à un Ordre, sans que lui-même ait rien su de cette appartenance sinon de
manière presque fortuite. *
ADRIENNE & SYLVIE
Adrienne d'abord. C'est
une jeune fille du Valois, à l'origine du premier émoi amoureux du poète. Après
qu'elle eut chanté, au cours d'une ronde enfantine, il tresse pour elle en couronne deux
branches de laurier qu'il dépose sur sa tête : "Elle ressemblait à la Béatrice de Dante, qui sourit au poète errant sur
la lisière des saintes demeures." Adrienne
est la rivale d'une autre enfant, Sylvie : "C'était
Adrienne ou Sylvie, - c'étaient les deux moitiés d'un seul amour. L'un étant l'idéal,
l'autre la douce réalité."
Lorsque Nerval
s'éprend de l'actrice Jenny Colon, la ressemblance avec Adrienne - devenue religieuse, -
lui paraît si étonnante qu'il en vient à imaginer que la comédienne était la
"réincarnation" d'Adrienne : "Aimer
une religieuse sous la forme d'une actrice!... et si c'était la même! - Il y a de quoi
devenir fou! c'est un entraînement fatal où l'inconnu vous attire comme le feu follet
fuyant sur les joncs d'une eau morte..."
Or, c'était la
même... Tel est d'ailleurs le drame de Nerval d'en avoir douté. "Si c'était la
même!", - cela signifierait, en effet, que les deux visages d'Adrienne et de
Jenny Colon sont la manifestation visible d'un seul et unique visage : celui de l'Ange,
Aurélia ou Sophie (Sophia).
JENNY COLON
Jenny Colon est une actrice à laquelle
Nerval donnera le nom d'Aurélia - comme un autre poète, Hölderlin, donnera le nom de
Diotima à Suzette Gontard, - et dont la défection ainsi que le bref retour dans la vie
du poète en 1840 entraîneront Nerval aux Enfers, puis au Ciel, avant la chute finale
dans les ténèbres. BILQIS
Bilqis est la Reine de Saba, la fille des
Hémiarites : "ELLE m'apparaissait radieuse, comme aux jours où Salomon
l'admira (...). Elle venait me proposer l'éternelle énigme que le sage ne
put résoudre". Mais l'Orient de Bilqis est moins ce Yémen dont elle fut la
reine au temps du prophète Salomon que l'Orient mystique. On comprend dès
lors le lien qui l'unit à Jenny Colon : "Qu'elle était belle! non pas plus
belle cependant qu'une autre reine du matin, dont l'image tourmentait mes
journées. Cette dernière réalisait vivante mon rêve idéal et divin..."
SOPHIE
Sophie est la "grande amie"
des Mémorables : "Je reconnus les traits divins de ***",
écrit Nerval. Mais sur le manuscrit, il a biffé le nom de Sophie. Dans ces conditions il
serait vain de vouloir identifier qui est le modèle de celle-ci : l'archiduchesse Sophie,
Sophie Dawes, la baronne Adrien de Fauchères ou une cousine. Il s'agit bien plutôt de
l'Ange lui-même, de cette "Vierge de beauté, à la ressemblance de la Sainte
Trinité", la Sophia de Jacob Boehme.
AURELIA & PANDORA
La complexité de l'univers amoureux de
Nerval se résout finalement dans l'opposition entre les deux figures emblématiques que
sont d'une part Aurélia, le jeune fille à la ressemblance de son âme et d'autre part
son double maléfique, Pandora : "Ni homme
ni femme, ni androgyne, ni fille, ni jeune, ni vieille, ni chaste, ni folle, ni pudique,
mais tout cela ensemble". Ce n'est pas sans
raison que Nerval choisira comme exergue de Pandora (1854) cette citation du Faust
de Goethe : "Deux âmes, hélas! se
partageaient mon sein, et chacune d'elles veut se séparer de l'autre : l'une, ardente
d'amour, s'attache au monde par le moyen des organes du corps ; un mouvement surnaturel
entraîne l'autre loin des ténèbres, vers les hautes demeures de nos aïeux."
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