GÉRARD DE NERVAL

UNE VOCATION A L'AMOUR

SOMMAIRE

Courbe de vie

Le voyage en Orient

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Aurélia ou l'Orient mystique

Mémorables

En manière d'épilogue : Les Poètes et les Reines

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Armel Guerne et Nerval

Nerval : Vers l'Orient

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Retour à Gérard de Nerval

 

Haçine, dessin au crayon de Gérard de Nerval 

Jenny Colon, jeune fille (1823)

 

Le plus remarquable chez Nerval reste sa vocation à l'amour, mais comme celle d'un de ces initiés à demi dont on peut, à travers le cheminement intérieur et l'univers amoureux, deviner l'appartenance à un Ordre, sans que lui-même ait rien su de cette appartenance sinon de manière presque fortuite. 

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ADRIENNE & SYLVIE

Adrienne d'abord. C'est une jeune fille du Valois, à l'origine du premier émoi amoureux du poète. Après qu'elle eut chanté, au cours d'une ronde enfantine, il tresse pour elle en couronne deux branches de laurier qu'il dépose sur sa tête : "Elle ressemblait à la Béatrice de Dante, qui sourit au poète errant sur la lisière des saintes demeures." Adrienne est la rivale d'une autre enfant, Sylvie : "C'était Adrienne ou Sylvie, - c'étaient les deux moitiés d'un seul amour. L'un étant l'idéal, l'autre la douce réalité."

     Lorsque Nerval s'éprend de l'actrice Jenny Colon, la ressemblance avec Adrienne - devenue religieuse, - lui paraît si étonnante qu'il en vient à imaginer que la comédienne était la "réincarnation" d'Adrienne : "Aimer une religieuse sous la forme d'une actrice!... et si c'était la même! - Il y a de quoi devenir fou! c'est un entraînement fatal où l'inconnu vous attire comme le feu follet fuyant sur les joncs d'une eau morte..."

     Or, c'était la même... Tel est d'ailleurs le drame de Nerval d'en avoir douté. "Si c'était la même!", - cela signifierait, en effet, que les deux visages d'Adrienne et de Jenny Colon sont la manifestation visible d'un seul et unique visage : celui de l'Ange, Aurélia ou Sophie (Sophia).

JENNY COLON

Jenny Colon est une actrice à laquelle Nerval donnera le nom d'Aurélia - comme un autre poète, Hölderlin, donnera le nom de Diotima à Suzette Gontard, - et dont la défection ainsi que le bref retour dans la vie du poète en 1840 entraîneront Nerval aux Enfers, puis au Ciel, avant la chute finale dans les ténèbres.

BILQIS

Bilqis est la Reine de Saba, la fille des Hémiarites : "ELLE m'apparaissait radieuse, comme aux jours où Salomon l'admira (...). Elle venait me proposer l'éternelle énigme que le sage ne put résoudre". Mais l'Orient de Bilqis est moins ce Yémen dont elle fut la reine au temps du prophète Salomon que l'Orient mystique. On comprend dès lors le lien qui l'unit à Jenny Colon : "Qu'elle était belle! non pas plus belle cependant qu'une autre reine du matin, dont l'image tourmentait mes journées. Cette dernière réalisait vivante mon rêve idéal et divin..."

SOPHIE

Sophie est la "grande amie" des Mémorables : "Je reconnus les traits divins de ***", écrit Nerval. Mais sur le manuscrit, il a biffé le nom de Sophie. Dans ces conditions il serait vain de vouloir identifier qui est le modèle de celle-ci : l'archiduchesse Sophie, Sophie Dawes, la baronne Adrien de Fauchères ou une cousine. Il s'agit bien plutôt de l'Ange lui-même, de cette "Vierge de beauté, à la ressemblance de la Sainte Trinité", la Sophia de Jacob Boehme.

AURELIA & PANDORA

La complexité de l'univers amoureux de Nerval se résout finalement dans l'opposition entre les deux figures emblématiques que sont d'une part Aurélia, le jeune fille à la ressemblance de son âme et d'autre part son double maléfique, Pandora : "Ni homme ni femme, ni androgyne, ni fille, ni jeune, ni vieille, ni chaste, ni folle, ni pudique, mais tout cela ensemble". Ce n'est pas sans raison que Nerval choisira comme exergue de Pandora (1854) cette citation du Faust de Goethe : "Deux âmes, hélas! se partageaient mon sein, et chacune d'elles veut se séparer de l'autre : l'une, ardente d'amour, s'attache au monde par le moyen des organes du corps ; un mouvement surnaturel entraîne l'autre loin des ténèbres, vers les hautes demeures de nos aïeux."