« O toi qui
cherches le chemin qui conduit au secret / Reviens sur tes pas : car
c’est en toi que se trouve le secret tout entier ». Ainsi s’exprime Ibn
‘Arabî, dans son Kitâb al-isrâ. On pense au fameux
fragment philosophique de Novalis :
« Le monde imaginaire situe
le monde futur tantôt dans les hauteurs, tantôt dans la profondeur, tantôt
dans la métempsychose de nous-mêmes. Nous rêvons de voyages à travers
l’univers, mais l’univers n’est-il pas en nous ? Les profondeurs de notre
esprit, nous ne les connaissons pas.
C’est intérieurement que va
le chemin mystérieux. En nous, ou nulle part, sont l’éternité et ses
mondes, l’avenir et le passé. Le monde extérieur est l’univers des ombres,
qui projette ses ombres dans le royaume de la lumière. Si tout ce qui nous
est intérieur nous apparaît aujourd’hui tellement obscur, solitaire et
informe, combien en sera-t-il autrement quand cet obscurcissement sera
derrière nous, et rejeté ce corps d’ombre ! Nous serons satisfaits de
jouissance comme jamais, car notre esprit a souffert privation ».
Par ailleurs, Ibn ‘Arabî écrit dans Turjumân al-Ashwâq (L’interprète
des désirs), à propos de sa bien-aimée, Nezâm : « Ici réside une
allusion à la Sagesse sublime, divine, essentielle, la plus sainte,
présente à celui qui parle ainsi, par une douceur qui engendre
contentement, réjouissance, émotion et joie, chez celui dont elle
s’occupe ». Le commentaire d'Henry Corbin : «Nous sommes témoins de la
transfiguration d’un être que l’Imagination perçoit directement à la
hauteur d’un symbole, en l’adossant à une lumière théophanique,
c’est-à-dire à une lumière qui en révèle la dimension en au-delà » évoque
cette fois le troisième Hymne à la Nuit de Novalis dans lequel le
poète romantique allemand
transcrit sa vision du 13 mai 1797, sur la tombe de sa fiancée, Sophie von Kühn : « Le
tertre n’était plus qu’un nuage de poussière que transperçait mon regard
pour contempler la radieuse transfiguration de la Bien-Aimée. L’éternité
reposait en ses yeux – j’étreignais ses mains, et ce fut un étincelant, un
indéfectible lien que nous firent les larmes ».
Les Fidèles d'amour
Les Fidèles d’amour s’avancent donc sur « le chemin mystérieux », jusqu'au
seuil de leur nouvelle vie (la Vita nova de Dante), de leur paradis
terrestre, de ce Monde de l’Ame où il leur est donné de contempler
Sophia, sous les apparences du visage transfiguré de leur
bien-aimée.
Or, ce visage est non
seulement celui de l’Ange, de leur Moi céleste ainsi que le visage de
beauté de la jeune fille
qui s’avance au-devant d’eux, et qui est à la ressemblance de leur âme,
ce Visage est aussi celui de Dieu, de ce Maître intérieur par qui Dieu se
révèle à eux, qu’il soit le Christ ou l’Imâm.
Pourquoi
l’Imâm ?
Henry Corbin faisait
remarquer que pour tous les « chevaliers théosophes et mystiques », il
existait une seule devise : « Celui qui se connaît lui-même connaît son
Seigneur » et que cette devise comportait aussi une « variante typique » :
« Celui qui connaît son Imâm, connaît son Seigneur ». Et il ajoutait :
« Dès lors, l’Imâm prend la place du Soi. L’Imâm devient la figure, le
symbole par excellence du Soi, non pas d’un Soi abstrait, personnel ou
collectif, mais du Moi céleste, Moi à la seconde personne ».
Depuis ce Monde de l’Ame, le
Fidèle d’amour s’élève, ensuite, d’orients en orients, franchissant
les sept degrés initiatiques, jusqu’au terme de son
ascension : « Ton amour me conduira au saint des saints de l’âme », dit
Henri d’Ofterdingen à Mathilde, dans Henri d’Ofterdingen.
Alors, lorsque le Fidèle d’amour a atteint « la vie parfaite »,
autrement dit « le centre divin qui est au-delà de toutes les sphères »,
selon le mot de Dante, l’Orient de l’âme, qui est la Terre
supracéleste, assurément il a quitté le monde des théophanies formelles,
et c’est pourquoi, si une ultime et rare expérience l’attend encore, qui
est celle du « Saint, l’Inconnu », selon Novalis, - le Ungrund - ou
de « l’Essence dans sa nudité radicale », c’est bien, comme le dit Ibn
‘Arabî, dans La parure des Abdal (Hilyatu al Abdal) que « la
Vérité ne se dévoile qu’à celui qui efface sa propre trace et perd jusqu’à
son nom ! »
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