Ibn ‘Arabî et Novalis

« En toutes choses l’Un, et dans l’Un toutes choses / Voir l’image de Dieu sur une herbe, un caillou… »

Novalis

SOMMAIRE

L'histoire des Fidèles d'amour : D'Orient et d'Occident

L'expérience spirituelle des fedeli d'amore : Initiation - Illumination - Conclusion : Le Maître du Silence

A propos de Raphaël

Dante et Novalis

D'Orient et d'Occident :

Henry Corbin et la religion des Fidèles d'amour

A propos de Sohravardî

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Retour à Aperçus sur l'ordre des Fidèles d'amour - Salah Stétié - Novalis

 

"Peut-on invoquer Novalis à propos d'Ibn Arabî et faire appel à l'image là où l'Islam s'est montré si radicalement aniconiste? Il me semble que [Gabriel] Bounoure, dont l'une des patries spirituelles était le romantisme allemand et dont l'autre était le soufisme, n'aurait pas refuser de le faire - dans les profondes émotions que suscitaient l'une et l'autre démarches, de par ces passerelles limpides et sans matière qui se projetaient spontanément en lui d'une région de l'âme à l'autre et d'une altitude à l'autre" Salah Stétié

« O toi qui cherches le chemin qui conduit au secret / Reviens sur tes pas : car c’est en toi que se trouve le secret tout entier ». Ainsi s’exprime Ibn ‘Arabî, dans son Kitâb al-isrâ. On pense au fameux fragment philosophique de Novalis :

            « Le monde imaginaire situe le monde futur tantôt dans les hauteurs, tantôt dans la profondeur, tantôt dans la métempsychose de nous-mêmes. Nous rêvons de voyages à travers l’univers, mais l’univers n’est-il pas en nous ? Les profondeurs de notre esprit, nous ne les connaissons pas.

            C’est intérieurement que va le chemin mystérieux. En nous, ou nulle part, sont l’éternité et ses mondes, l’avenir et le passé. Le monde extérieur est l’univers des ombres, qui projette ses ombres dans le royaume de la lumière. Si tout ce qui nous est intérieur nous apparaît aujourd’hui tellement obscur, solitaire et informe, combien en sera-t-il autrement quand cet obscurcissement sera derrière nous, et rejeté ce corps d’ombre ! Nous serons satisfaits de jouissance comme jamais, car notre esprit a souffert privation ».   

            Par ailleurs, Ibn ‘Arabî écrit dans Turjumân al-Ashwâq (L’interprète des désirs), à propos de sa bien-aimée, Nezâm : « Ici réside une allusion à la Sagesse sublime, divine, essentielle, la plus sainte, présente à celui qui parle ainsi, par une douceur qui engendre contentement, réjouissance, émotion et joie, chez celui dont elle s’occupe ». Le commentaire d'Henry Corbin : «Nous sommes témoins de la transfiguration d’un être que l’Imagination perçoit directement à la hauteur d’un symbole, en l’adossant à une lumière théophanique, c’est-à-dire à une lumière qui en révèle la dimension en au-delà » évoque cette fois le troisième Hymne à la Nuit de Novalis dans lequel le poète romantique allemand transcrit sa vision du 13 mai 1797, sur la tombe de sa fiancée, Sophie von Kühn : « Le tertre n’était plus qu’un nuage de poussière que transperçait mon regard pour contempler la radieuse transfiguration de la Bien-Aimée. L’éternité reposait en ses yeux – j’étreignais ses mains, et ce fut un étincelant, un indéfectible lien que nous firent les larmes ».

            Les Fidèles d'amour

            Les Fidèles d’amour s’avancent donc sur « le chemin mystérieux », jusqu'au seuil de leur nouvelle vie (la Vita nova de Dante), de leur paradis terrestre, de ce Monde de l’Ame où il leur est donné de contempler Sophia, sous les apparences du visage transfiguré de leur bien-aimée.

            Or, ce visage est non seulement celui de l’Ange, de leur Moi céleste ainsi que le visage de beauté de la jeune fille qui s’avance au-devant d’eux, et qui est à la ressemblance de leur âme, ce Visage est aussi celui de Dieu, de ce Maître intérieur par qui Dieu se révèle à eux, qu’il soit le Christ ou l’Imâm.

            Pourquoi l’Imâm ?

            Henry Corbin faisait remarquer que pour tous les « chevaliers théosophes et mystiques », il existait une seule devise : « Celui qui se connaît lui-même connaît son Seigneur » et que cette devise comportait aussi une « variante typique » : « Celui qui connaît son Imâm, connaît son Seigneur ». Et il ajoutait : « Dès lors, l’Imâm prend la place du Soi. L’Imâm devient la figure, le symbole par excellence du Soi, non pas d’un Soi abstrait, personnel ou collectif, mais du Moi céleste, Moi à la seconde personne ».

            Depuis ce Monde de l’Ame, le Fidèle d’amour s’élève, ensuite, d’orients en orients, franchissant les sept degrés initiatiques, jusqu’au terme de son ascension : « Ton amour me conduira au saint des saints de l’âme », dit Henri d’Ofterdingen à Mathilde, dans Henri d’Ofterdingen.

            Alors, lorsque le Fidèle d’amour a atteint « la vie parfaite », autrement dit « le centre divin qui est au-delà de toutes les sphères », selon le mot de Dante, l’Orient de l’âme, qui est la Terre supracéleste, assurément il a quitté le monde des théophanies formelles, et c’est pourquoi, si une ultime et rare expérience l’attend encore, qui est celle du « Saint, l’Inconnu », selon Novalis, - le Ungrund - ou de « l’Essence dans sa nudité radicale », c’est bien, comme le dit Ibn ‘Arabî, dans La parure des Abdal (Hilyatu al Abdal) que « la Vérité ne se dévoile qu’à celui qui efface sa propre trace et perd jusqu’à son nom ! »