"Lyrisme,
en français, ne veut pas dire grand'chose. Pour
Hölderlin, il faut nécessairement revenir et penser à ce
moment mystérieux et capital de la Genèse, qui vit
l'homme - dans sa lucidité antérieure au péché, sa
transparence antérieure au tout premier sommeil -
recevoir de Dieu la responsabilité, le soin et le
pouvoir de nommer de leur nom toutes les créatures.
Puissance mystique du verbe: la poésie vient de là, de
ce sanctuaire fait de lumière et d'ombre, où les
générations faillies peuvent retrouver toujours, « par
ces armes du verbe », la permission suprême de
« Parler
seul / Avec Dieu, »
comme Hölderlin a su le dire au plus
près.
Toutes
les autres disciplines humaines ne sont guère que des
distractions plus ou moins abusives, où l'essentiel est
ce dont on ne parle jamais.
Armel Guerne

Iéna
"Je
suis certaine que pour Hölderlin, c'est comme si une
puissance céleste l'avait inondé de ses flots; et c'est
le verbe, dans la violence de sa précipitation sur lui,
qui a comme submergé et noyé ses sens. Et quand les
flots se sont retirés, ses sens étaient tout débilités
et la puissance de son esprit subjuguée et anéantie. Et
St. Clair le confirme. « Oui, c'est cela. » Et il
raconte encore: « Mais pour qui l'écoute, ce serait
juste de le comparer au mugissement du vent, car il ne
cesse d'éclater en hymnes, qui tout à coup
s'interrompent, comme lorsque le vent tourne. Alors, de
lui s'empare comme une science plus profonde, et l'idée
qu'il soit fou s'évanouit totalement en vous: à entendre
ce qu'il dit de la langue et du vers, on croirait qu'il
est tout proche, avec ses lumières, du mystère divin du
langage; et puis tout retombe pour lui dans la ténèbre
et il sombre dans la confusion, songeant
qu'il n'arrivera jamais à se faire comprendre. Il dit
que c'est la langue qui forme tout de la pensée, car la
langue est plus grande que l'esprit humain, qui n'est
que son esclave; et tant que la langue seule ne le fait
pas éclore en lui, c'est que l'esprit de l'homme n'a pas
atteint la perfection."
Bettina Brentano
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