Lettre du 3 février 1985
J'ai lu votre beau texte avec
beaucoup d'intérêt et d'émotion. Je crois que vous avez réussi à vous
"substituer" à Louis Massignon, en quelque sorte. (...) Sur la
"conversion" [de Louis Massignon], je voudrais vous préciser certaines choses.
Ce sera pour votre prochaine visite à paris - et je m'arrangerai cette fois, pour ne pas
être interrompus. Je vous signale, en attendant, que le sceau de cristal gravé 'Abu-hu
m'a été légué par Louis Massignon avant sa mort et que je le garde précieusement.
Merci pour tout ce que vous m'avez
apporté.
Lettre du 13 mars 1985
Comment vous remercier pour
ces admirables lettres de Louis Massignon! Elles révèlent le "point vierge"
d'un cur pur. Oui, vous avez cent fois raison de consacrer un chapitre à Mary
Kahil. Rien, aucune jalousie posthume ne peut faire que cette "femme passionnante et
passionnée" (L.M. dixit) n'ait ébloui toute une vie. (...) Je n'ai rencontré, pour
la 1ère fois, à Paris, en 1948, qu'une femme lourde et déjà sur l'autre versant de son
chemin sur la terre. Vingt ans plus tard, au Caire, elle m'a conduit à l'oratoire de
notre ami défunt, au lieu de son ordination sacerdotale. Elle avait eu beaucoup d'argent
- il lui en restait encore assez pour se permettre des voyages, en France, en Suisse, où
elle descendait dans des hôtels beaucoup trop chers. Je ne veux pas dire autre chose.
Elle était pauvre en esprit et elle avait faim et soif de justice. Il est vrai qu'elle
n'aimait pas l'Islâm, qu'elle ne comprenait pas - en cela, bonne chrétienne d'Orient,
hélas!
J'attends la suite - avec quelle
impatience!
Merci encore. Fraternellement.
Lettre du 28 mars 1985
Grand merci pour la précieuse
citation de L.M. sur les Chrétiens d'Orient. Je retrouve la substance de propos qu'il m'a
souvent tenus. Quant à la possibilité de son mariage avec une Musulmane, vous savez
comme moi que l'Islâm ne permet pas l'union d'une croyante avec un chrétien. C'était
donc impossible. Les très rares cas que je connais doivent rester secrets et sont
rejetés par les familles. Massignon aurait pu épouser Mary Kahil, sans doute, mais il se
serait heurté au fait qu'elle détestait l'Islâm et que lui-même méprisait les
Chrétiens d'Orient : situation insoluble. (...)
Si vous avez de nouvelles copies de
lettres de L.M., vous me feriez grand plaisir en me les envoyer. Mais que de textes ont
disparu" (la "Confession", les "Diaires"...)! Sans doute
volontairement détruits - "au poêle", me dit Mercanton!
Avec tous mes vux pour
l'avancement de votre travail, dont j'ai hâte de lire l'ensemble.
Lettre du 29 juillet 1985
Bravo pour votre "Centre Louis
Massignon"! (...) De mon côté, j'ai remis le manuscrit de mon témoignage sur L.M.
aux éditions du Seuil. Déjà, Paul Flamand - consulté par Michel CHOD - ne m'a fait que
des critiques mineures, (...). Comme me le disait souvent L.M. : "Je suis effrayé de
ma propre modération".
La Roumanie - que j'ai trop peu vue
et guère aimée - vous a-t-elle apporté quelque chose?
A bientôt de vos nouvelles
Bien à vous
Lettre du 31 décembre 1985
Merci pour l'excellent premier
numéro du Bulletin [du Centre L.M.]. Et bravo pour votre conférence à Angers.
De mon côté, mon livre sur
Massignon, terminé fin juin, a été refusé par le Seuil - malgré un contrat signé -
puis par Gallimard. Je m'en tiens là et attends des jours meilleurs. Je ferais mieux
d'écrire sur la... pensée juive!
J'ai fini la traduction de la 1ère
partie du Livre de l'Inde de Biruni (1030-1032) pour l'UNESCO.
En 1986, la rédaction d'un essai
critique sur T.E. Lawrence, dit d'Arabie, me sera l'occasion de reparler de Massignon, cet
incorrigible empêcheur de penser comme tout le monde.
Bien fidèlement.
Lettre du 31 mars 1986
Bravo pour votre conférence à
Angers! Votre texte est très bon. Évidemment, il fallait s'attendre à certaines
réactions négatives. (...).
J'ai enfin su et compris les raisons
du refus, par le Seuil, d'éditer mon essai sur Massignon (malgré un contrat signé): le
PDG du Seuil, quoique "musulman", déteste Massignon, parce qu'il est lui-même
"guénonien" et féru exclusivement d'Ibn 'Arabî. CQFD. Mais son geste de rejet
est malhonnête.
Bien sûr, vous pouvez compter sur
mon soutien.
Continuez à "témoigner".
Fraternellement.
Lettre du 29 juillet 1986
Merci de votre lettre et du Bulletin.
De mon côté, mon essai sur Louis
Massignon est sous presse et devrait sortir à la rentrée. Je ne me fais aucune illusion: la presse gardera le silence. En effet, mieux vaut que le Péroncel-Hugoz n'en parle
pas.
Vous avez sans doute appris la mort,
à Toulouse, de notre ami Louis Gardet : encore une perte irréparable.
Comme vous le devinez, mon
témoignage sur l'Iran à l'émission "Droit de réponse" a fait scandale et
choqué presque tout le monde. Je suis heureux qu'il vous ait touché.
Fraternellement
Lettre du 1er décembre 1986
Je suis bien en
retard pour vous répondre. Le travail en est la cause. Enfin, "Le Linceul de
feu" doit paraître avant Noël et vous en aurez, bien sûr, votre exemplaire.
Le Bulletin n°4 m'a fort
intéressé et je suis heureux que vous ayez mis les choses au point - trop aimablement,
à mon gré, pour Michel ***. et Maxime ***. Ce dernier est carrément malveillant - vous
le constaterez en lisant mon livre. Massignon était l'anti-Ibn 'Arabi et, ne l'oubliez
pas, l'anti-Guénon (les Upanishads ne sont quand même pas le Coran!). Le syncrétisme
religieux ne peut mener qu'à une théosophie inconsistante.
Je suis persuadé que la rupture de
mon contrat d'édition avec le Seuil - décidée unilatéralement par Chod - est due à
l'admiration exclusive portée par celui-ci à Ibn 'Arabi et à René Guénon (et son
hostilité larvée vis-à-vis de Louis Massignon).
Continuez votre effort pour faire
connaître et aimer mon vieil ami "disparu"! C'est une noble et urgente tâche.
Fraternellement.
Lettre du 19 janvier 1987
Merci de votre lettre. (...)
Je travaille, à la limite de
l'épuisement, talonné par le temps, à la traduction, en vers français (pour l'UNESCO)
de cents poèmes de Hâfez. Heureusement, je suis aidé par un peintre iranien, qui sait
presque tout le dîvân de Hâfez par cur.
Après vous, j'ai reçu longuement
la visite de Guy Harpigny [théologien, auteur d'une thèse sur L.M.], que je n'avais
jamais vu. Moubarac et lui, me dit-il, ont achevé les tome IV et V des Opera minora
(...).
Lettre du 1er septembre 1987
Merci de votre excellente lettre.
Elle m'apporte de vos nouvelles (thèse, nomination au Puy) : où est Paris X? Quand
soutiendrez-vous? Je serai volontiers à votre jury. Je reçois régulièrement vos
bulletins, toujours intéressants. Bravo pour vos découvertes à Bruxelles. Je
connaissais l'existence du texte de L.M. sur Ibn Torjomân et je l'ai signalé dans mon
livre (p.20), mais je ne l'ai jamais lu. Vous serait-il possible de me le communiquer?
Jacques Keryell pourrait-il me faire envoyer, par son éditeur, son "Hospitalité
sacrée"? (...).
Êtes-vous bien sûr que la shahâda
soit inscrite sur la porte gauche (en bois sculpté) de la cathédrale du Puy? Je croyais
qu'on lisait mâ shâ'allâh? Pouvez-vous vérifier? Copier ou photographier
l'inscription? De toute façon, c'est très intéressant et très important.
Lettre du 21 septembre 1987
Merci de votre carte, qui lève
toute incertitude sur la fameuse inscription. On lit bien : al-mulku li-Llâh -
c'est-à-dire "La souveraineté à Dieu".
J'attends donc votre visite à Paris
- en octobre. Dès que vous connaîtrez la date de votre passage, voulez-vous me la
communiquer? J'aimerais bien voir le texte de Massignon sur Ibn Torjomân le
"renégat".
Hier dimanche à 17 h 30, sur
"la Cinq", émission consacrée à l'Iran avec, en conclusion, "Terrorisme
= intégrisme = islâm". On l'aurait deviné. J'avais été pressenti, puis
prudemment écarté. Bien sûr. Ci-joint un beau texte de la République islamique sur
Jésus et sa mère: pour votre Bulletin? Il a paru dans "le Message de l'Islam"
(Téhéran, avril-mai 1987, p.14-15, en français).
Lettre du 24 novembre 1987
Merci et bravo pour votre excellente
étude sur "L'art de l'Islam au Puy-en-Velay". (...) Avez-vous une copie de
l'inscription coufique de Pürgg (Johanniskapelle)? J'aimerais bien la lire et l'examiner.
(...)
Un artisan illettré (en arabe) peut
très bien copier sans comprendre. J'en ai trouvé beaucoup d'exemples en Indonésie, sur
des stèles en caractères arabes, gravées sur place d'après des modèles de Cambay (au
nord-ouest de l'Inde). Mais la question demeure : pour le Puy, par exemple, le sculpteur
était un "poulain" (mowallad) venu du Royaume franc de Jérusalem, ou un
enfant du Velay qui s'est servi d'une espèce de calque? Comment savoir?
J'ai sous les yeux une photo très
récente de la grande mosquée de Xsian (17e s.) en Chine. Au-dessus du portail, une
inscription, taillée dans la pierre, se lit facilement : [shahâda]. Mais ce qui
vient ensuite est presque indéchiffrable.
Je m'arrête ici et je reste
fraternellement vôtre.
Lettre du 25 mars 1988
Je reçois à l'instant votre
lettre. Autour du 10 avril, je serai bien à Paris. Impossible de m'absenter, j'ai trop de
travail. (...)
Tout ce que vous pourrez me montrer
d'inédit sur Massignon m'intéresse.
A bientôt le plaisir de vous
revoir.
Lettre du 4 janvier 1989
Merci pour vos vux et pour le
texte (que j'ignorais) de Louis Massignon. Hélas, pour ma décrépitude, c'est une année
de moins - et une année de plus...
Lettre du 5 juillet 1989
Grand merci pour les deux numéros
de votre Bulletin, intéressants comme toujours. (...)
Je vous ai fait envoyer un
exemplaire de mes "5 couleurs de l'islâm". L'avez-vous bien reçu? Sinon,
dites-le moi et je ferai le nécessaire auprès de l'éditeur.
Je n'ai pas, en français, ni
d'ailleurs en persan, le texte du Testament de l'Imam Khomeini. Mais je vais tâcher de me
le procurer. Vous êtes débordant d'activité. Comme je vous envie, du fond du gouffre de
la vieillesse!
Fraternellement.
Lettre du 6 janvier 1990
Merci de vos vœux. Je vous souhaite
la paix, la santé et le couronnement de la thèse!
Ce que vous me dites de la nouvelle
"Croisade" ne me surprend pas. L'islâm est attaqué chaque jour - la presse en
fait foi et tous les prétextes sont bons : "l'affaire du fichu" par exemple.
J'aimerais contre-attaquer, mais
aucun journal ne m'accepte. Ne suis-je pas extrémiste, fanatique, intégriste (suprême
injure)? Comme disait le cher Massignon : "Nous sentons le roussi". Et il
ironisait sur le "bonnet San-Bénite" des inquisiteurs...
Que Dieu vous garde et vous guide!
Lettre du 24 août 1990
Grand merci pour votre bonne lettre
que je viens de recevoir. Moi aussi, je regrette de n'avoir pu assister au Colloque de
Cerisy. Hélas, le moindre effort me fatigue. L'âge est venu tout d'un coup, sans
prévenir et il faut bien me faire une raison.
Bien entendu, je serais heureux de
recevoir un exemplaire des Actes du Colloque. J'attends aussi votre thèse avec
impatience. Ce sera un témoignage de prix.
Vous me faites beaucoup d'honneur
avec votre projet, pour l'an prochain, d'un colloque qui me serait consacré.
J'avoue mon embarras : ne
pensez-vous pas que ce genre de manifestation devrait avoir un caractère strictement
"commémoratif"? Il me semble plus convenable d'attendre que quelqu'un ait
disparu pour célébrer (ou non) sa mémoire.
Ceci dit, faites comme vous
l'entendez, mais il faudrait d'abord en parler, à l'occasion de votre prochain passage à
Paris, in shâ Allâh!
A bientôt j'espère. Toujours
vôtre.
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