EXTRAITS
Soldat de Fortune
"Je suis resté longtemps un soldat de fortune.
Né dans la tradition coloniale, mais dans le non-conformisme familial, j'ai passé un
quart de siècle sous l'uniforme. Au moins deux fois, dans ma vie militaire, au Tonkin et
au Maroc, j'ai vu amener mon drapeau. Pourtant je n'ai pas le cur brisé et
l'évolution des choses me semble juste et normale. Après tant de cris d'amertume
poussés par tant de soldats perdus, pourquoi ne ferais-je pas entendre la voix d'un
officier de tradition, de vocation et de fortune, qui n'a jamais pu croire que
décoloniser pût être un déshonneur ou un crime?" (p.11).
"Mais dira-t-on, Israël est
un État moderne et la plupart des Juifs y sont incroyants. Peut-être, mais
en période crise, les plus sceptiques des dirigeants retrouvent des accents
bibliques et vengeurs." (pp. 15-16)
Aux cinq couleurs de l'Islam
"A l'origine, il y a, comme toujours, une idée de Louis Massignon
(1883-1962). En 1939, il avait donné une série de causeries à la radio. A la fin, il
répartissait le Monde musulman entre "Arabes et arabisés, Iraniens, Turcs, Hindous,
Chinois, Malais, Somalis, Éthiopiens et Soudanais." Quelque vingt ans plus tard,
j'envisageais, avec son accord, de redistribuer ces ethnies en cinq grandes aires
culturelles chacune autour d'une langue commune : Arabes (avec l'arabe), Irano-indiens
(avec le persan), Turcs (avec le turc), Malais (avec le malais) et Noirs. Dans ce dernier
cas, la réduction est plus difficile, faute de langue unique (la plus répandue étant le
swahili, en Afrique orientale, avant le haoussa et le peul). Cette classification est,
sans doute, arbitraire dans bien des cas, mais elle présente l'avantage de concentrer
dans cinq ensemble de nombreuses nationalités jusque là dispersées entre les limites
artificielles des États.
Ce sont ces aires culturelles que j'appelle :
"Les cinq couleurs de l'Islâm".
Les Musulmans soviétiques
Voilà un livre qui, sans doute, ne plaira pas à
tout le monde. (...) Les uns ne les trouveront pas assez obstinément anti-communiste, les
autres penseront qu'il ne rend pas suffisamment justice aux aspects positifs de l'Union
Soviétique. A vrai dire, je n'ai pas cherché à tenir la balance égale. Je n'ai jamais
cru au "juste milieu", mais plutôt, avec André Gide, que "les extrêmes me
touchent". (p.9)
La pensée arabe
"Plus que jamais, je demeure convaincu qu'à
l'origine des maux dont souffre notre monde, notre société, notre vie, il y a l'ignorance,
cette ignorance de l'Autre, de celui qui est "différent". L'ignorance conduit
tout droit à l'incompréhension, au mépris, à la haine, à la mort. C'est pourquoi il
nous faut à tous le plus de clefs possible, pour comprendre enfin que Valéry avait
raison de dire : "Enrichissons-nous de nos mutuelles différences!" (p.192)
Lawrence d'Arabie, le lévrier fatal
" Depuis qu'en 1935, à Saint-Cyr, j'ai appris
la mort de Lawrence, je suis fasciné par le personnage et par sa destinée. En 1937, j'ai
découvert, en anglais, Les Sept Piliers de la Sagesse. Et quarante ans plus
tard, en 1978, j'ai réfléchi à cette phrase du Palestinien Edward Saïd (Orientalism)
: "Mis à part un génie comme Louis Massignon, il n'y a pas eu de Lawrence
français." (p.11).
Le vin, le vent, la vie, d' Abû-Nuwâs
"Il me semble nécessaire de dire qu'à mes
yeux, et contrairement à une opinion commune, ce ne sont pas les poème bachiques qui me
paraissent les plus importants chez Abû-Nuwâs : ce sont les poèmes érotiques, dont le
filon parcourt toute son uvre. Il reste qu'Abû-Nuwâs a parfois des accents
mélancoliques, devant la beauté inaccessible et cruelle. Il est vrai qu'il chante
"le vin, le vent, la vie", trois mots arabes, de même racine (râh, rîh,
rûh), que l'on trouve d'ailleurs rapprochés dans un de ses poèmes : "Le
vin, plus subtil que l'esprit, plus parfumé que son odeur." Mais n'eût-il pu
gémir, comme Goethe, beaucoup plus tard : "Je t'aime : qu'est-ce que ça peut te
faire?"
L'Islam noir, une religion à la conquête de l'Afrique
"Je sais que le titre : l'Islam noir,
prête le flanc à la critique et que des Africains musulmans me l'ont amicalement
reproché. Mais, puisque, tel qu'il est, il aborde son troisième voyage, il m'a semblé
qu'il valait mieux le garder, car, après tout, c'est sous ce nom qu'il s'est fait
connaître" (Préface à la troisième édition)
L'amour, l'amant, l'aimé, de Hâfez Shirâzi
"C'est l'amour qui est le cœur des
ghazal
et du Divân de Hâfez. Qu'il soit charnel, idéal
ou mystique, un seul mot, d'origine arabe : 'eshq,
le désigne. Chez notre illustre poète, il n'est question
que de la trinité "l'amour, l'amant, l'aimé" ('eshq-o
'âsheq-o ma'shuq). Et c'est bien Hâfez qui a écrit
ce beau vers : "Celui-là ne mourra jamais, dont le
cœur ne vit que d'amour".
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Vincent Monteil - Biographie - Correspondance
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