"Les nomades pécheurs des archipels
occidentaux ont presque disparu. Les autorités militaires chiliennes ont sédentarisé
les derniers survivants en deux points, à Puerto Eden sur l'île Wellington où sont
regroupés quelques dizaines d'Alakalufs, à la base militaire de Puerto Williams sur
l'île Navarino où une cinquantaine de Yaghan mènent la vie des petits éleveurs de
l'extrême sud. La plupart sont métissés. A la disparition culturelle de ces groupes
doit dans un très proche avenir s'ajouter l'inéluctable extinction de leur type
physique."
art. Fuégiens, Encyclopédie Universalis.
"Ces gens dans leur hutte, certes, vivent
encore des lambeaux de leur vie traditionnelle, celle que l'humanité a vécue pendant des
dizaines de milliers d'années. Nous savions que les hommes n'avaient eu pour tout outil
que la coquille, l'os et la pierre, pour tout compagnon que le chien, pour toute
nourriture que les produits de leur chasse et de leur pêche. Ce que nous ne savions pas,
c'est ce qu'ils pensaient, leur vie intérieure, leurs aspirations et leurs craintes...
Or, ce voyage ne nous l'aura pas appris. Le fossé est trop profond. Le voyageur, le
passant ne sauront rien de cette pauvre écume d'humanité, sinon qu'elle cherche à
manger, à se chauffer. En revanche, il aura eu sous les yeux, réduite à des conditions
élémentaires, la tragédie de l'absorption, de la digestion d'un groupe humain par un
autre plus évolué.
Déjà les archipels sont redevenus déserts. Une fois seulement, au
cours de 57 jours de navigation, nous avons croisés une embarcation d'indiens. Il
pleuvait. Du canot traditionnel, creusé dans un tronc d'arbre et rehaussé de planches,
une fumée s'élevait. Les Indiens au cours de leur randonnée emportent toujours avec eux
le feu qu'ils disposent au centre du canot sur un petit plancher d'argile. Des
silhouettes, un homme, trois femmes, quelques enfants, se recroquevillaient sous la pluie.
Le canot, après un court instant d'hésitation, s'est éloigné sans chercher à aborder
le Sobenes. On ne peut rien imaginer de plus poignant qu'un canot d'Indiens
s'éloignant sous la pluie battante, se fondant dans cette grisaille de la mer, du ciel et
de la pierre, minuscule centre de vie dans la solitude et la désolation des
archipels."
Annette Laming, Tout au bout du monde,
Amiot-Dumont, 1954
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