"Pour que le "Grand
Trek" Nord-Sud ait pu avoir lieu, il faut d'abord, que les populations intéressées
(p. ex. Australiens, Bushmen et Fuégiens) soient, régionalement dans leur aire
géographique actuelle, des immigrés. Cela ne paraît pas douteux pour les Fuégiens,
quelle que soit la théorie que l'on accepte pour le peuplement de l'Amérique du
Sud"
Théodore Monod
Fuégiens au début du siècle
"Le continent américain a d'abord été
peuplé par des groupes d'émigrants arrivés à une date très
ancienne, entre 10 000 et 20 000 ans avant notre ère, à l'âge de la
cueillette. Divisés en petites hordes, ils ont vagabondé sur cette
énorme surface de terre. Du nord au sud de l'Amérique, en dépit de
leur densité très faible, on retrouve leurs traces par des gisements
archéologiques connus. A l'arrivée de tribus plus nombreuses, mieux
organisées, plus évoluées, la plupart disparurent. Survécurent
uniquement de ces hordes celles qui furent refoulées dans les parties
les plus pauvres du continent que personne ne leur disputait. Dans ces
refuges, souvent inaccessibles, misérables, la concurrence vitale
était nulle. C'est là que d'infimes noyaux, fossiles vivants, ont pu
se maintenir très longtemps et pour certains, jusqu'à nos jours"
"Ils n'en ont pas conscience, mais voilà des
centaines d'années qu'ils marchent. Ils sont l'écume extrême d'une tempête qui s'est
levée il y a longtemps en Asie, jetant sur l'Amérique déserte là où les deux
continents se rejoignent un déferlement de peuplades dont ils n'ont qu'une vision proche.
Parfois la migration se fige pour cinq ou dix générations. Mais quand s'annonce à
nouveau l'étranger, son odeur, sa force, sa supériorité, sa cruauté, son mépris pour
ce petit peuple désolé, arriéré, faible et laid, alors ils reprennent la route vers le
sud et leur mémoire reprend la route aussi, qui leur dit par la voix des anciens que leur
fuite ne cessera jamais jusqu'à la mort du dernier d'entre eux. Arka! Debout! En
route!"
Jean Raspail, Qui se souvient des
hommes...
"Les Alakalufs étaient un des peuples les plus
vieux de la terre. (...)
On suit à peu près leurs traces en Amérique par
quelques gisements préhistoriques connus. Ils marchèrent ainsi pendant
des centaines d'années, s'enfonçant toujours plus loin vers le sud
encore désert, refoulés siècle après siècle dans les parties les
plus déshéritées du continent sud-américain que personne, au moins,
ne leur disputait. Arrivés au golfe de Peñas, à l'entrée du canal
Messier, qui est la porte du labyrinthe maritime fuégien, ils
s'arrêtèrent, et cette fois ils étaient seuls. Poursuivis depuis tant
d'années, aussi longtemps que remontait leur mémoire, ils étaient
tout de même loin d'être rassurés. Qui sait s'ils ne seraient pas une
fois de plus chassés de là, contraints de fuir, de fuir encore? Mais
où? Comment? Des montagnes infranchissables et des glaciers terrifiants
leur barraient le chemin vers le sud, et tout un univers liquide qui
était complètement différent de leur univers terrien ancestral.
C'est à partir de ce moment-là qu'ils
accomplirent leur mutation et que ces marcheurs de terre ferme se
changèrent en nomades de la mer. Cela dura peut-être mille
ans..."
Jean Raspail, Adios, Tierra del Fuego
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