La multiplication des sanctuaires dédiés aux Sept
Dormants d'Éphèse, tant en Orient qu'en Occident, depuis les 6ème et 7ème
siècles, et pratiquement jusqu'au 17ème siècle, donne la mesure de
l'importance d'une tradition aujourd'hui bien oubliée au sein du christianisme, alors
qu'elle demeure vivante en islam . Il reste que certains sanctuaires chrétiens ont connu
récemment un regain d'intérêt qui se manifeste par des pèlerinages ainsi que par des
rencontres réunissant chrétiens et musulmans (Vieux-Marché, en Bretagne, depuis 1954),
tandis que d'autres sites paraissent définitivement tombés en désuétude. En revanche,
des traditions locales liées aux Sept Dormants existent toujours, comme en Finlande, mais
leurs origines sont ignorées. Les sites répertoriés ici sont pour certains
inédits, pour les autres, ils ont été décrits par Louis
Massignon.
Voir aussi Invocations
et traditions populaires
En France
En France, l'unique sanctuaire vivant des Sept
Dormants se trouve en Bretagne, au sud de Lannion, dans les Côtes d'Armor. Il se compose
d'une crypte-dolmen, d'une chapelle ainsi que d'une "source bénie". Rien que
cette source, déjà, mérite l'attention : "Retenons de cela, dira Louis
Massignon, ce qui parle à l'imagination : une caverne, surplombée d'un perron
(grosse pierre) ; jumelée à une source où l'eau sourd d'une pierre horizontale par
"sept trous" disposés en triangle septénaire ; un pèlerin musulman a été
bouleversé d'y reconnaître le "triangle septénaire" des sept trous où l'eau
destinée à Sétif sort d'une pierre verticale à Ra's el Mâ, près de Guidjel (où sont
les VII piliers fatimides des VII Dormants" . Mais aussi le site possède
l'originalité d'avoir été élevé sur un dolmen qui forme la crypte de l'actuelle
église.
Sur l'autel en pierre, "sept ou huit
statuettes, plus ou moins vermoulues et détériorées" - qui ont d'ailleurs
disparu les unes après les autres depuis 1954 - ont entretenu longtemps l'illusion que le
lieu était consacré aux Sept Saints de Bretagne : "Dans la crypte-dolmen
attenante, écrit Jacques Mercanton, où on les distingue mal dans l'obscurité,
comme dans l'église, entourant la figure de la Vierge, on ne les voyait pas sortant
lentement du sommeil, le visage encore rempli de rêves (
), mais bien éveillés,
tout droits, les genoux nus sous leur tunique. C'est pourquoi on pouvait ne pas s'aviser
de leur aventure de dormants" . Louis Massignon a pu établir cependant avec
certitude l'ancienneté de la dédicace aux Sept Dormants d'Éphèse, laquelle remonte au 6ème
siècle : "Cette appropriation d'un dolmen au culte chrétien doit remonter au
début même de l'évangélisation, où les missionnaires, je pense, avaient admis qu'on
continuât à vénérer ce dolmen, tombe de chefs païens bons et justes, précurseurs de
la vérité chrétienne, en le dédiant à ces Sept Dormants d'Éphèse, qui avaient
précisément "parfait" leur foi chrétienne, en "mûrissant",
emmurés dans leur tombe, leur résurrection" (Ahl al-Kahf, 100).
C'est à Geneviève Massignon, sa fille, que l'on
doit l'invention du sanctuaire. Dès 1951, l'orientaliste avait compris
l'importance du lieu qui unit sous le même signe des Gens de la Caverne la tradition
celtique, le christianisme oriental, l'islam et la catholicisme : "C'est
d'ailleurs, explique-t-il, l'intuition d'une solidarité généalogique et
topographique, dans le cadre de la méditation du thème de la résurrection des morts de
l'époque mégalithique que j'ai vécue, en venant, après avoir visité la crypte
d'Éphèse (19.9.51), prier avec les paroissiens bretons, avec qui j'ai fait trois fois
déjà la procession traditionnelle et le feu de joie, tantad, au pardon des Sept
Saints" (Ahl al-Kahf, 103). Puis, il eut l'idée d'associer à sa
démarche des pèlerins musulmans et c'est ainsi que le sanctuaire breton est devenu et
demeure jusqu'à aujourd'hui le lieu d'un rassemblement islamo-chrétien, le dimanche
suivant la fête de Sainte Marie-Madeleine (22 juillet) .
A côté du sanctuaire de Vieux-Marché, dans les
Côtes d'Armor, il existe à Orléans une rue des Sept Dormants dont les origines sont mal
connues, mais qui présente l'intérêt de se situer dans un quartier autrefois réservé
aux prisonniers musulmans, ramenés d'Égypte ou de Syrie, à l'époque des Croisades.
En Scandinavie
Ove Ullestad a été le premier à mentionner l'existence dans les
pays scandinaves d'un culte des Sept Dormants remontant au 8ème siècle. Il
signale ainsi une grotte, "aux confins nord de la Norvège" où sept jeunes gens
furent retrouvés intacts plusieurs années après leur mort. De nombreuses amulettes
également, portant les noms des Dormants - parfois écrits en runes -, trouvées lors de
fouilles, comme à Alvastra, en Suède, ou à Bergen, en Norvège, témoignent de la
pénétration de ce culte à l'extrême nord de l'Europe. Très curieuse est l'histoire,
tirée des Annales Islandaises, du naufrage d'un pasteur du nom d'Ingimud
Torgeisson et de ses six compagnons, retrouvés dans une grotte quatorze hivers plus tard.
Le corps du pasteur ainsi que ses vêtements étaient intacts et surtout, comme dans la
version éphésienne de l'histoire, une tablette de cire, écrite en runes, était
déposée à leurs côtés.
En Turquie
En Turquie même, malgré la proximité
d'Éphèse, on
rencontre des sanctuaires consacrés aux Sept Dormants. Ainsi à une vingtaine de
kilomètres au nord-ouest de Tarse, en Cilicie, la grotte des Ashâb al-Kahf. La
tradition locale musulmane parle de sept voyageurs qui s'endormirent là. Pour les
chrétiens, ce seraient des martyrs emmurés, puis retrouvé vivants 157 ans plus tard (Ahl
al-Kahf, 90). Curieusement, certains récits musulmans, de Tha'labî, par exemple,
assimilent Éphèse à Tarse, laissant entendre qu'après la conquête musulmane, la ville
d'Éphèse aurait pris le nom de Tarse! Quoi qu'il en soit "La grotte elle-même
est assez spacieuse, profonde de plusieurs dizaines de mètres. La roche est partout usée
par la fréquentation. Il y a un petit mouvement de pèlerins et beaucoup d'affluence les
jours de fête, pendant la Nuit du Destin et tout le mois de Ramadan. A un kilomètre
environ, s'étend un cimetière où on remarque des tombes récentes, malgré
l'interdiction d'en ajouter" .
Un autre sanctuaire, fort ancien, se trouvait à
'Ammûriya (aujourd'hui Hadj-Hamza) "dans la caverne souterraine d'un ancien
couvent grec". Une montagne séparait 'Ammûriya de Nicée où s'élevait une
porte des Sept Dormants comme il existe à Alep une porte nommée Bâb 'Ammûriya.
C'est dans cette montagne, le djebel al-Raqîm, au commencement de l'Islam, qu'un
envoyé d'Abû Bakr, découvrit ce mystérieux site dédié aux Dormants ou, d'après la
tradition locale, à treize prophètes, "ressuscités ensemble, le même
jour, 400 ans avant le Christ" : "La caverne, qui ne peut donner qu'au
nord en vertu des révélations coraniques, s'ouvre en bas d'une montagne, sous la forme
d'une galerie recoupant un immense puits naturel dont un lac occupe la fond. Au-delà la
galerie reprend jusqu'à la salle des morts : treize corps momifiés dont les explorateurs
musulmans ont toutes les peines de s'approcher : on essaiera même de les empoisonner.
La pauvre population de ces lieux est en effet
commise à la garde des reliques, enduites d'aloès, de myrrhe et de camphre, vêtues de
manteaux, chaussées de sandales et de bottines. Malgré leur état de dessiccation
absolue, elles dégagent, nous dit-on, une extraordinaire impression de vie; à chaque
nouvelle année, leurs gardiens, pour les dépoussiérer, peuvent les mettre debout, sans
dommage pour elles, et, trois fois l'an, on leur coupe les ongles
La pauvre population de ces lieux est en effet
commise à la garde des reliques, enduites d'aloès, de myrrhe et de camphre, vêtues de
manteaux, chaussées de sandales et de bottines. Malgré leur état de dessiccation
absolue, elles dégagent, nous dit-on, une extraordinaire impression de vie; à chaque
nouvelle année, leurs gardiens, pour les dépoussiérer, peuvent les mettre debout, sans
dommage pour elles, et, trois fois l'an, on leur coupe les ongles".
Au Maghreb
De nombreux sites ont été répertoriés au Maghreb,
mais le plus fameux reste, à quelque 12 km de Sétif, en Algérie, le site de Ikjân
(aujourd'hui Guidjdjel), dont l'intérêt est d'avoir conservé la trace de ses origines
fatimides. C'est, en effet, en, l'an 900 que le célèbre dâ'î (propagandiste)
Abû Abdallâh Husayn, dit al-Shî'i, fonda Ikjân, centre des Berbères Kotâma, et c'est
à Ikjân même que, trois ans plus tard, 'Ubayd Allâh al-Mahdî, 11ème Imâm
ismaélien le rejoindra, avant de se proclamer Calife, le premier de la future dynastie,
en 909. Pour ce motif, Louis Massignon a parlé de Ikjân comme du "berceau du
khalifat fatimite" (Ahl al-Kahf, 81).
Selon la légende locale, il est question de sept
jeunes gens, venant du Maroc : "Ils étaient de taille élancée, et un chien leur
tenait compagnie". Ils s'arrêtèrent une nuit dans le village de Ikjân et
furent trouvés inanimés le lendemain matin, sur l'emplacement de l'actuel cimetière
musulman. Leurs huit tombes - une pour leur chien - sont de hauts piliers d'origine
romaine, "surmontés de petits dômes renfermant des kânouns où les visiteurs et
visiteuses viennent faire des fumigations d'encens".
En Syrie
La particularité de la mosquée des "Gens de la Caverne"
de Damas, masjid ahl al-kahf, située sur la pente du Qasiyûn, réside dans
l'existence de sept mihrâb, un pour chacun des Sept Dormants, ce qui, d'un point
de vue symbolique, est singulièrement important dès lors que dans l'art islamique le mihrâb,
cette niche dans le mur d'une mosquée qui indique la direction de La Mecque, matérialise
le symbolisme de la caverne. Ce n'est pas sans raison que, dans son Dictionnaire
encyclopédique de l'Islam, Cyril Glassé cite les versets 9-17 de la sourate al-Kahf
en manière d'illustration de ce symbolisme : "La caverne est tenue pour être le
cur et la montagne qui l'englobe représente le monde physique, ou le corps, qui
emprisonne l'esprit. C'est dans le cur que se trouve la vérité" . Il se
trouve aussi que cette mosquée portait originellement le nom de Khaf Jibrîl (=
Gabriel), sans doute jusqu'au 17ème siècle. Louis Massignon a fait remarquer
que l'oratoire de la via Appia, à Rome, est dédié à la fois "à l'Archange
Gabriel et aux VII Dormants" et qu'il y a là un indice de l'identification,
à Damas, de l'Archange avec Qitmir, le chien des "Gens de la Caverne" .
Au Yémen
Entièrement clos par une vaste enceinte blanchie à
la chaux, le sanctuaire du djebel Sinam se compose d'une mosquée,
d'une cour, d'un édifice à coupoles où sont les tombes des Ahl al-Kahf et d'un
bassin pour les ablutions. La porte s'ouvre d'ailleurs sur ce bassin dont l'étendue
paraît disproportionnée. L'espace entre le bassin et la cour est délimitée par un
monument funéraire très sobre et dépourvu d'inscriptions : il s'agit de la tombe du
fondateur du sanctuaire dont le nom est malheureusement inconnu. Sur le côté est de la
cour s'élève, surmonté de trois coupoles, le sanctuaire proprement dit qui abrite les
sépultures des Sept jeunes gens et de leur chien. L'emplacement de chaque tombe est
marqué par une pierre dressée d'environ 25 cm. Les sept tombes sont alignées côte à
côte, légèrement surélevées par rapport à l'étroit couloir, orienté plein nord, en
direction de la Mecque. A l'extrémité du couloir, perpendiculaire à la plus éloignée
des tombes, se trouve celle de Qitmir, leur chien, plus petite, mais marquée elle aussi
par une pierre.
La mosquée, de structure régulière, formant
carré, est surmontée de neuf coupoles. Quatre forts piliers occupent l'espace
intérieur. Elle ne présente aucune inscription. Quant à la caverne, à quelque trois
cent mètres au nord-ouest de la mosquée, elle est rien moins que spacieuse (cf. Coran,
XVIII, 17) et semble plutôt une anfractuosité naturelle, une sorte d'abri sous-roche.
Elle n'est pas moins tenue par les habitants du lieu
comme la Caverne décrite par le Coran. La preuve en serait une source (sulfureuse?) qui
aurait jailli après qu'à leur réveil, les Sept eurent prononcé la shahâda, la
profession de foi musulmane : un vendredi, à l'heure de la grande Prière. Les parois
gardent effectivement la trace de cette eau miraculeuse en longues traînées
pétrifiées.
L'histoire du sanctuaire reste mystérieuse, les
documents écrits faisant défaut et la tradition orale n'étant d'aucune aide. Il faut
s'en tenir à l'hypothèse d'une ismaélienne -
fatimide - du culte rendu en ce lieu aux "Gens de la Caverne".
Aux Iles Comores
S'il n'existe pas de sanctuaires dédiés aux Sept
Dormants dans les Comores, toute une dévotion s'y est développée, sans doute en liaison
avec l'antique pratique du "steering" sur les Nuages de Magellan des pilotes de
l'Océan Indien, plus simplement pour la protection que l'invocation des Ahl al-Kahf
accorde aux marins dans les tempêtes. Cette "prière des pilotes arabes en
perdition s'agrippant aux Noms des Sept Emmurés vivants, qui percèrent le mur de la
mort, en réapparaissant ressuscités un instant", se retrouve au Yémen, et
rappelle les vux des marins bretons sauvés du naufrage. C'est pourquoi Salah
Stétié écrira dans ses Sept Dormants au péril de la poésie : "Admirable
et combien forte image poétique qui fait des Sept saints les maîtres de la sécurité en
mer. Parce que, d'après leur légende, ils ont été bercés dans le sommeil par la main
de Dieu, qui les tourne et les retourne dans leur nuit, tantôt vers la droite, tantôt
vers la gauche, afin qu'ils trouvent le plus profond repos, les voici qui se transforment
en intercesseurs pour le bateau ; lui aussi exposé au "péril de la mer", comme
il est dit au Mont Saint-Michel, et le bateau, lui aussi, comme eux au sortir de leur
sommeil pacifié, en instance, en attente d'être sauvé ."
On rencontre par conséquent aux Comores quantité
d'inscriptions protectrices comportant les noms des Sept jeunes gens, sur les linteaux de
portes des maisons ou sur les boutres (Louis Massignon a publié des exemples de ces
inscriptions ), mais aussi "sur l'oreiller de l'enfant, sur la cuisse droite du
combattant". Quant à l'inscription sur un papier des sept Noms, elle est
circulaire et porte en son centre, le nom du Chien, Qitmir.
"Jusqu'en Chine"
L'histoire des Sept Dormants a pénétré jusqu'en
Chine, empruntant la route du "papier de Chine" (Ahl al-Kahf, 91). Une
mosquée existe, en effet, qui leur est consacrée à Kara-Khodja, dans l'ex-Turkestan
chinois, à l'extrémité orientale de la chaîne des Tian Chan, près de la ville de
Tourfan.
Un conte kirghiz - des Kirghizes du Sinkiang - a
été récemment publié par Chantal Quelquejay . Il avait été recueilli une première
fois en 1897. Il ne présente pas de variantes majeures, sinon celle-ci : au moment de
leur réveil, au terme de leurs 309 années de sommeil miraculeux, les Sept Jeunes Gens se
trouvèrent en présence d'un Roi appelé Estika, lequel "était musulman comme
tous ses sujets". Les noms des Sept - six d'entre eux étaient frères - sont les
suivants : Yamlikha, Maximina, Maratunis, Manitunis, Sarfunis, Zuananis, le berger
Kafisittunis, et leur chien Kitmir.
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