SANCTUAIRES & TRADITIONS POPULAIRES

SOMMAIRE


Les Ahl al-Kahf selon le saint Coran
Deux sanctuaires au Yémen

La Caverne de l'amour éternel
Invocations aux Sept Dormants

Bibliographie

 

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 [ Ahl al-Kahf ]

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Copyright©Jean Moncelon, 1998

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

En Allemagne et les pays germaniques

Rotthof.jpg (2613 octets)

Église de Rotthof

 

 

 

La multiplication des sanctuaires dédiés aux Sept Dormants d'Éphèse, tant en Orient qu'en Occident, depuis les 6ème et 7ème siècles, et pratiquement jusqu'au 17ème siècle, donne la mesure de l'importance d'une tradition aujourd'hui bien oubliée au sein du christianisme, alors qu'elle demeure vivante en islam . Il reste que certains sanctuaires chrétiens ont connu récemment un regain d'intérêt qui se manifeste par des pèlerinages ainsi que par des rencontres réunissant chrétiens et musulmans (Vieux-Marché, en Bretagne, depuis 1954), tandis que d'autres sites paraissent définitivement tombés en désuétude. En revanche, des traditions locales liées aux Sept Dormants existent toujours, comme en Finlande, mais leurs origines sont ignorées. Les sites répertoriés ici sont pour certains inédits, pour les autres, ils ont été décrits par Louis Massignon.

Voir aussi Invocations et traditions populaires

En France

En France, l'unique sanctuaire vivant des Sept Dormants se trouve en Bretagne, au sud de Lannion, dans les Côtes d'Armor. Il se compose d'une crypte-dolmen, d'une chapelle ainsi que d'une "source bénie". Rien que cette source, déjà, mérite l'attention : "Retenons de cela, dira Louis Massignon, ce qui parle à l'imagination : une caverne, surplombée d'un perron (grosse pierre) ; jumelée à une source où l'eau sourd d'une pierre horizontale par "sept trous" disposés en triangle septénaire ; un pèlerin musulman a été bouleversé d'y reconnaître le "triangle septénaire" des sept trous où l'eau destinée à Sétif sort d'une pierre verticale à Ra's el Mâ, près de Guidjel (où sont les VII piliers fatimides des VII Dormants" . Mais aussi le site possède l'originalité d'avoir été élevé sur un dolmen qui forme la crypte de l'actuelle église.

Sur l'autel en pierre, "sept ou huit statuettes, plus ou moins vermoulues et détériorées" - qui ont d'ailleurs disparu les unes après les autres depuis 1954 - ont entretenu longtemps l'illusion que le lieu était consacré aux Sept Saints de Bretagne : "Dans la crypte-dolmen attenante, écrit Jacques Mercanton, où on les distingue mal dans l'obscurité, comme dans l'église, entourant la figure de la Vierge, on ne les voyait pas sortant lentement du sommeil, le visage encore rempli de rêves (…), mais bien éveillés, tout droits, les genoux nus sous leur tunique. C'est pourquoi on pouvait ne pas s'aviser de leur aventure de dormants" . Louis Massignon a pu établir cependant avec certitude l'ancienneté de la dédicace aux Sept Dormants d'Éphèse, laquelle remonte au 6ème siècle : "Cette appropriation d'un dolmen au culte chrétien doit remonter au début même de l'évangélisation, où les missionnaires, je pense, avaient admis qu'on continuât à vénérer ce dolmen, tombe de chefs païens bons et justes, précurseurs de la vérité chrétienne, en le dédiant à ces Sept Dormants d'Éphèse, qui avaient précisément "parfait" leur foi chrétienne, en "mûrissant", emmurés dans leur tombe, leur résurrection" (Ahl al-Kahf, 100).

C'est à Geneviève Massignon, sa fille, que l'on doit l'invention du sanctuaire. Dès 1951, l'orientaliste avait compris l'importance du lieu qui unit sous le même signe des Gens de la Caverne la tradition celtique, le christianisme oriental, l'islam et la catholicisme : "C'est d'ailleurs, explique-t-il, l'intuition d'une solidarité généalogique et topographique, dans le cadre de la méditation du thème de la résurrection des morts de l'époque mégalithique que j'ai vécue, en venant, après avoir visité la crypte d'Éphèse (19.9.51), prier avec les paroissiens bretons, avec qui j'ai fait trois fois déjà la procession traditionnelle et le feu de joie, tantad, au pardon des Sept Saints" (Ahl al-Kahf, 103). Puis, il eut l'idée d'associer à sa démarche des pèlerins musulmans et c'est ainsi que le sanctuaire breton est devenu et demeure jusqu'à aujourd'hui le lieu d'un rassemblement islamo-chrétien, le dimanche suivant la fête de Sainte Marie-Madeleine (22 juillet) .

A côté du sanctuaire de Vieux-Marché, dans les Côtes d'Armor, il existe à Orléans une rue des Sept Dormants dont les origines sont mal connues, mais qui présente l'intérêt de se situer dans un quartier autrefois réservé aux prisonniers musulmans, ramenés d'Égypte ou de Syrie, à l'époque des Croisades.

En Scandinavie

Ove Ullestad a été le premier à mentionner l'existence dans les pays scandinaves d'un culte des Sept Dormants remontant au 8ème siècle. Il signale ainsi une grotte, "aux confins nord de la Norvège" où sept jeunes gens furent retrouvés intacts plusieurs années après leur mort. De nombreuses amulettes également, portant les noms des Dormants - parfois écrits en runes -, trouvées lors de fouilles, comme à Alvastra, en Suède, ou à Bergen, en Norvège, témoignent de la pénétration de ce culte à l'extrême nord de l'Europe. Très curieuse est l'histoire, tirée des Annales Islandaises, du naufrage d'un pasteur du nom d'Ingimud Torgeisson et de ses six compagnons, retrouvés dans une grotte quatorze hivers plus tard. Le corps du pasteur ainsi que ses vêtements étaient intacts et surtout, comme dans la version éphésienne de l'histoire, une tablette de cire, écrite en runes, était déposée à leurs côtés.

En Turquie

En Turquie même, malgré la proximité d'Éphèse, on rencontre des sanctuaires consacrés aux Sept Dormants. Ainsi à une vingtaine de kilomètres au nord-ouest de Tarse, en Cilicie, la grotte des Ashâb al-Kahf. La tradition locale musulmane parle de sept voyageurs qui s'endormirent là. Pour les chrétiens, ce seraient des martyrs emmurés, puis retrouvé vivants 157 ans plus tard (Ahl al-Kahf, 90). Curieusement, certains récits musulmans, de Tha'labî, par exemple, assimilent Éphèse à Tarse, laissant entendre qu'après la conquête musulmane, la ville d'Éphèse aurait pris le nom de Tarse! Quoi qu'il en soit "La grotte elle-même est assez spacieuse, profonde de plusieurs dizaines de mètres. La roche est partout usée par la fréquentation. Il y a un petit mouvement de pèlerins et beaucoup d'affluence les jours de fête, pendant la Nuit du Destin et tout le mois de Ramadan. A un kilomètre environ, s'étend un cimetière où on remarque des tombes récentes, malgré l'interdiction d'en ajouter" .

Un autre sanctuaire, fort ancien, se trouvait à 'Ammûriya (aujourd'hui Hadj-Hamza) "dans la caverne souterraine d'un ancien couvent grec". Une montagne séparait 'Ammûriya de Nicée où s'élevait une porte des Sept Dormants comme il existe à Alep une porte nommée Bâb 'Ammûriya. C'est dans cette montagne, le djebel al-Raqîm, au commencement de l'Islam, qu'un envoyé d'Abû Bakr, découvrit ce mystérieux site dédié aux Dormants ou, d'après la tradition locale, à treize prophètes, "ressuscités ensemble, le même jour, 400 ans avant le Christ" : "La caverne, qui ne peut donner qu'au nord en vertu des révélations coraniques, s'ouvre en bas d'une montagne, sous la forme d'une galerie recoupant un immense puits naturel dont un lac occupe la fond. Au-delà la galerie reprend jusqu'à la salle des morts : treize corps momifiés dont les explorateurs musulmans ont toutes les peines de s'approcher : on essaiera même de les empoisonner.

La pauvre population de ces lieux est en effet commise à la garde des reliques, enduites d'aloès, de myrrhe et de camphre, vêtues de manteaux, chaussées de sandales et de bottines. Malgré leur état de dessiccation absolue, elles dégagent, nous dit-on, une extraordinaire impression de vie; à chaque nouvelle année, leurs gardiens, pour les dépoussiérer, peuvent les mettre debout, sans dommage pour elles, et, trois fois l'an, on leur coupe les ongles

La pauvre population de ces lieux est en effet commise à la garde des reliques, enduites d'aloès, de myrrhe et de camphre, vêtues de manteaux, chaussées de sandales et de bottines. Malgré leur état de dessiccation absolue, elles dégagent, nous dit-on, une extraordinaire impression de vie; à chaque nouvelle année, leurs gardiens, pour les dépoussiérer, peuvent les mettre debout, sans dommage pour elles, et, trois fois l'an, on leur coupe les ongles".

Au Maghreb

De nombreux sites ont été répertoriés au Maghreb, mais le plus fameux reste, à quelque 12 km de Sétif, en Algérie, le site de Ikjân (aujourd'hui Guidjdjel), dont l'intérêt est d'avoir conservé la trace de ses origines fatimides. C'est, en effet, en, l'an 900 que le célèbre dâ'î (propagandiste) Abû Abdallâh Husayn, dit al-Shî'i, fonda Ikjân, centre des Berbères Kotâma, et c'est à Ikjân même que, trois ans plus tard, 'Ubayd Allâh al-Mahdî, 11ème Imâm ismaélien le rejoindra, avant de se proclamer Calife, le premier de la future dynastie, en 909. Pour ce motif, Louis Massignon a parlé de Ikjân comme du "berceau du khalifat fatimite" (Ahl al-Kahf, 81).

Selon la légende locale, il est question de sept jeunes gens, venant du Maroc : "Ils étaient de taille élancée, et un chien leur tenait compagnie". Ils s'arrêtèrent une nuit dans le village de Ikjân et furent trouvés inanimés le lendemain matin, sur l'emplacement de l'actuel cimetière musulman. Leurs huit tombes - une pour leur chien - sont de hauts piliers d'origine romaine, "surmontés de petits dômes renfermant des kânouns où les visiteurs et visiteuses viennent faire des fumigations d'encens".

En Syrie

La particularité de la mosquée des "Gens de la Caverne" de Damas, masjid ahl al-kahf, située sur la pente du Qasiyûn, réside dans l'existence de sept mihrâb, un pour chacun des Sept Dormants, ce qui, d'un point de vue symbolique, est singulièrement important dès lors que dans l'art islamique le mihrâb, cette niche dans le mur d'une mosquée qui indique la direction de La Mecque, matérialise le symbolisme de la caverne. Ce n'est pas sans raison que, dans son Dictionnaire encyclopédique de l'Islam, Cyril Glassé cite les versets 9-17 de la sourate al-Kahf en manière d'illustration de ce symbolisme : "La caverne est tenue pour être le cœur et la montagne qui l'englobe représente le monde physique, ou le corps, qui emprisonne l'esprit. C'est dans le cœur que se trouve la vérité" . Il se trouve aussi que cette mosquée portait originellement le nom de Khaf Jibrîl (= Gabriel), sans doute jusqu'au 17ème siècle. Louis Massignon a fait remarquer que l'oratoire de la via Appia, à Rome, est dédié à la fois "à l'Archange Gabriel et aux VII Dormants" et qu'il y a là un indice de l'identification, à Damas, de l'Archange avec Qitmir, le chien des "Gens de la Caverne" .

Au Yémen

Entièrement clos par une vaste enceinte blanchie à la chaux, le sanctuaire du djebel Sinam se compose d'une mosquée, d'une cour, d'un édifice à coupoles où sont les tombes des Ahl al-Kahf et d'un bassin pour les ablutions. La porte s'ouvre d'ailleurs sur ce bassin dont l'étendue paraît disproportionnée. L'espace entre le bassin et la cour est délimitée par un monument funéraire très sobre et dépourvu d'inscriptions : il s'agit de la tombe du fondateur du sanctuaire dont le nom est malheureusement inconnu. Sur le côté est de la cour s'élève, surmonté de trois coupoles, le sanctuaire proprement dit qui abrite les sépultures des Sept jeunes gens et de leur chien. L'emplacement de chaque tombe est marqué par une pierre dressée d'environ 25 cm. Les sept tombes sont alignées côte à côte, légèrement surélevées par rapport à l'étroit couloir, orienté plein nord, en direction de la Mecque. A l'extrémité du couloir, perpendiculaire à la plus éloignée des tombes, se trouve celle de Qitmir, leur chien, plus petite, mais marquée elle aussi par une pierre.

La mosquée, de structure régulière, formant carré, est surmontée de neuf coupoles. Quatre forts piliers occupent l'espace intérieur. Elle ne présente aucune inscription. Quant à la caverne, à quelque trois cent mètres au nord-ouest de la mosquée, elle est rien moins que spacieuse (cf. Coran, XVIII, 17) et semble plutôt une anfractuosité naturelle, une sorte d'abri sous-roche.

Elle n'est pas moins tenue par les habitants du lieu comme la Caverne décrite par le Coran. La preuve en serait une source (sulfureuse?) qui aurait jailli après qu'à leur réveil, les Sept eurent prononcé la shahâda, la profession de foi musulmane : un vendredi, à l'heure de la grande Prière. Les parois gardent effectivement la trace de cette eau miraculeuse en longues traînées pétrifiées.

L'histoire du sanctuaire reste mystérieuse, les documents écrits faisant défaut et la tradition orale n'étant d'aucune aide. Il faut s'en tenir à l'hypothèse d'une ismaélienne - fatimide - du culte rendu en ce lieu aux "Gens de la Caverne".

Aux Iles Comores

S'il n'existe pas de sanctuaires dédiés aux Sept Dormants dans les Comores, toute une dévotion s'y est développée, sans doute en liaison avec l'antique pratique du "steering" sur les Nuages de Magellan des pilotes de l'Océan Indien, plus simplement pour la protection que l'invocation des Ahl al-Kahf accorde aux marins dans les tempêtes. Cette "prière des pilotes arabes en perdition s'agrippant aux Noms des Sept Emmurés vivants, qui percèrent le mur de la mort, en réapparaissant ressuscités un instant", se retrouve au Yémen, et rappelle les vœux des marins bretons sauvés du naufrage. C'est pourquoi Salah Stétié écrira dans ses Sept Dormants au péril de la poésie : "Admirable et combien forte image poétique qui fait des Sept saints les maîtres de la sécurité en mer. Parce que, d'après leur légende, ils ont été bercés dans le sommeil par la main de Dieu, qui les tourne et les retourne dans leur nuit, tantôt vers la droite, tantôt vers la gauche, afin qu'ils trouvent le plus profond repos, les voici qui se transforment en intercesseurs pour le bateau ; lui aussi exposé au "péril de la mer", comme il est dit au Mont Saint-Michel, et le bateau, lui aussi, comme eux au sortir de leur sommeil pacifié, en instance, en attente d'être sauvé ."

On rencontre par conséquent aux Comores quantité d'inscriptions protectrices comportant les noms des Sept jeunes gens, sur les linteaux de portes des maisons ou sur les boutres (Louis Massignon a publié des exemples de ces inscriptions ), mais aussi "sur l'oreiller de l'enfant, sur la cuisse droite du combattant". Quant à l'inscription sur un papier des sept Noms, elle est circulaire et porte en son centre, le nom du Chien, Qitmir.

"Jusqu'en Chine"

L'histoire des Sept Dormants a pénétré jusqu'en Chine, empruntant la route du "papier de Chine" (Ahl al-Kahf, 91). Une mosquée existe, en effet, qui leur est consacrée à Kara-Khodja, dans l'ex-Turkestan chinois, à l'extrémité orientale de la chaîne des Tian Chan, près de la ville de Tourfan.

Un conte kirghiz - des Kirghizes du Sinkiang - a été récemment publié par Chantal Quelquejay . Il avait été recueilli une première fois en 1897. Il ne présente pas de variantes majeures, sinon celle-ci : au moment de leur réveil, au terme de leurs 309 années de sommeil miraculeux, les Sept Jeunes Gens se trouvèrent en présence d'un Roi appelé Estika, lequel "était musulman comme tous ses sujets". Les noms des Sept - six d'entre eux étaient frères - sont les suivants : Yamlikha, Maximina, Maratunis, Manitunis, Sarfunis, Zuananis, le berger Kafisittunis, et leur chien Kitmir.