« Chaque
être a son Lotus de la limite », dit Semnânî, et il appartient
aux seuls adeptes d’outrepasser cette limite, à ceux d’entre les
fidèles d’amour qui ont atteint « l’ésotérique de l’ésotérique »
où l’Amour et la Connaissance cessent de se distinguer pour ne former
qu’une seule gnose amoureuse, « au
sommet de la hiérarchie », donc, « au principe commun »
où la voie de l’Amour et la voie de la Connaissance « tirent
leurs attributions respectives ». C’est ainsi entrer dans cette
Connaissance où « connaître son Soi, c’est connaître son
Seigneur ». C’est aussi l’accès au « pur amour »,
en d’autres termes, à cet « attachement intime qui est étranger
au monde de la nature ». Voici ce qu’en dit Rûzbehân Baqlî :
« Il est connu parmi les hommes et il est compris chez les
gnostiques de telle sorte que cet amour ne soit pas corporel, mais
qu’il ne soit que l’action que le Créateur, lorsqu’il veut guider
un élu sur le coin de l’invisible ou le monde du mystère, projette
dans le sentiment inné de cette personne et qui permet à celle-ci de
voir avec les yeux de l’âme les beautés des œuvres divines. »
Pour
en revenir au Lotus de la limite, il existe une limite au-delà de
laquelle le fidèle d’amour se trouve, « tel le géomètre
attaché tout entier / à mesurer le cercle, et qui ne peut trouver / en
pensant, le principe qui manque », comme dit
Dante, en son dernier chapitre de la Divine Comédie (133-135).
Mais c’est qu’il a atteint « le centre divin qui est au-delà
de toutes les sphères » :
« Ici la haute fantaisie perdit sa puissance ;
Mais déjà il tournait mon désir et
vouloir
Tout comme roue également poussée,
L’amour qui meut le soleil et les
autres étoiles »
Ce qui suit donc la vision de l’Ange, dans l’expérience des fedeli
d’amore appartient à l'ordre des Théophanies informelles, autrement
dit, au Silence, à ce qui s’opère dans le
« secret du secret », qui constitue la part la plus intime
de l’être. C’est la connaissance du « Maître du Silence »,
que l’Ange annonce, mais comme « quelque chose sur quoi le
mystique gardera silence ». Ce Silence qui est aussi une « immuabilité »,
préfigure en quelque sorte l’accès du fidèle d’amour à l’Océan
divin, à cet océan de la Déité qu’Ibn ‘Arabî appelait de ses vœux :
« Fais-moi entrer, ô Seigneur, dans les profondeurs de l’Océan
de ton unité infinie ».
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