"Le
regard que Ella Maillart porte sur Annemarie est sans doute le plus
éclairant qui soit, de même qu'il nous éclaire sur la personnalité
singulière de la voyageuse : "Ma
route a alors croisé le destin d'une autre femme aussi forte et
apaisée que j'étais accablée. J'avais peur de la vie, tandis qu'elle
l'empoignait, prête à la conquérir dans toute sa quintessence sibylline.
Elle était persuadée que notre métier était de chercher la
signification de la vie. C'était sa quête, sa raison de parcourir le
monde. Loin des instincts grégaires de ses contemporains, elle était
libre, robuste et aspirait à une dimension spirituelle dans
l'existence. En elle, j'ai pensé retrouver le même courage que j'avais
tant admiré chez Erika (Mann), chez d'autres compagnes de ma vie : une
femme sur laquelle reposer mes angoisses" Vinciane
Moeschler
*
"Sur la route
de Maimeneh, nous discutâmes d'un sujet sur lequel nous ne savions pas
grand chose. J'avais remarqué que Christina avait bien souvent regardé
le visage intéressant de la belle fille. Et maintenant ma compagne me
demandait s'il était pervers d'être profondément émue par le charme
d'une femme... Ma réponse devait être étudiée, car la question
plongeait ses racines dans toutes les ramifications de la vie de
Christina. Il n'aurait pas été suffisant de lui dire qu'elle était la
personne la plus droite et la plus honnête que j'eusse
rencontrée..."
"Kini, qu'est-ce qui ne
marche pas en moi? Ceux que j'aime le plus, X, Y, Z, maman même (j'aurais
donné ma vie pour les "rejoindre"!), comment se fait-il que je
n'ai jamais pu régler le côté pratique de mes relations avec eux? Au
début toutes ces personnes me sont très dévouées, mais je ne tarde pas
à leur faire peur, mon amour semble les torturer, ainsi que mes trop
impétueuses exigences..."
"Plus tard, trop tard
pour que la découverte fût utile, je fus convaincue que son cri
"laissez-moi donc souffrir" avait une signification profonde.
C'était le symbole de la voie originale qu'elle avait choisie - inconsciemment
peut-être - pour se libérer. (...)
Il me paraît certain que par la souffrance elle
parvint à dépasser la souffrance. Il était dans mon habitude de la
plaindre. Cela n'était pas nécessaire. Elle vécut le plus profond en
elle, ce qu'il y a de plus précieux, l'inaltérable vérité; pour finir,
cette transcendance l'illumina, mais je ne sais pas si sa vie journalière
eut le temps d'en être transformée."
"Maintenant,
il y a une osmose entre ce qui parle en moi et le monde du dehors, et
cette pénétration me donne un sentiment très heureux d'unité. Je ne
dois plus partager mon amour, ni mon ardeur entre ce "moi" qui
écrit et la vie de la terre qui m'entoure et réclame mon attention -
tout cela se nourrit mutuellement.
J'ai eu envie de vous en
parler parce que vous en savez plus que moi sur la vraie force de la vie.
Si je pouvais être avec vous, Ella, une fois de plus, je vous en serais
très reconnaissante. Je crois que nous nous entendrions mieux et que je
vous donnerais moins de soucis."
Annemarie, lettre à Ella
Maillart, 2 août 1941 |