ELLA MAILLART & ANNEMARIE SCHWARZENBACH

 

"Un jour, audacieusement, vous ferez face à votre peur. En elle, à travers elle, vous atteindrez votre vraie nature."

 

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> Sur Ella Maillart, ses voyages, ses ouvrages, voir aussi le site officiel qui lui est consacré : http://www.ellamaillart.ch

 

 

 

"Un cri interrompit mon extase : notre savon velouté avait pour toujours glissé des mains de ma compagne. Et c'était le troisième morceau que nous offrions involontairement aux naïades des rivières asiatiques. Au bord de l'eau, debout dans son corps mince, Christina demandait pardon. Ses hanches étaient si maigres que cela faisait mal de les regarder; et je pensais aux jeunes coolies des Indes qui lui ressemblaient."

Ella Maillart est célèbre pour ses voyages et les récits qu'elle en a tiré parmi lesquels cette Voie cruelle où Annemarie Schwarzenbach apparaît sous le pseudonyme de Christina. Annemarie fut, en effet,  sa compagne de route lors de leur périple asiatique qui les conduisit de Genève à Kaboul en 1939

"Nous étions toutes deux des voyageuses : elle, voulant avec chaque départ oublier sa dernière crise émotionnelle (et ne voyant pas qu'elle souhaitait déjà la suivante); moi, cherchant toujours au loin le secret d'une vie harmonieuse."

Ella Maillart, La voie cruelle

Voir La voie cruelle

 

"Le regard que Ella Maillart porte sur Annemarie est sans doute le plus éclairant qui soit, de même qu'il nous éclaire sur la personnalité singulière de la voyageuse : "Ma route a alors croisé le destin d'une autre femme aussi forte et apaisée que j'étais accablée. J'avais peur de la vie, tandis qu'elle l'empoignait, prête à la conquérir dans toute sa quintessence sibylline. Elle était persuadée que notre métier était de chercher la signification de la vie. C'était sa quête, sa raison de parcourir le monde. Loin des instincts grégaires de ses contemporains, elle était libre, robuste et aspirait à une dimension spirituelle dans l'existence. En elle, j'ai pensé retrouver le même courage que j'avais tant admiré chez Erika (Mann), chez d'autres compagnes de ma vie : une femme sur laquelle reposer mes angoisses" Vinciane Moeschler

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"Sur la route de Maimeneh, nous discutâmes d'un sujet sur lequel nous ne savions pas grand chose. J'avais remarqué que Christina avait bien souvent regardé le visage intéressant de la belle fille. Et maintenant ma compagne me demandait s'il était pervers d'être profondément émue par le charme d'une femme... Ma réponse devait être étudiée, car la question plongeait ses racines dans toutes les ramifications de la vie de Christina. Il n'aurait pas été suffisant de lui dire qu'elle était la personne la plus droite et la plus honnête que j'eusse rencontrée..."

"Kini, qu'est-ce qui ne marche pas en moi? Ceux que j'aime le plus, X, Y, Z, maman même (j'aurais donné ma vie pour les "rejoindre"!), comment se fait-il que je n'ai jamais pu régler le côté pratique de mes relations avec eux? Au début toutes ces personnes me sont très dévouées, mais je ne tarde pas à leur faire peur, mon amour semble les torturer, ainsi que mes trop impétueuses exigences..."

"Plus tard, trop tard pour que la découverte fût utile, je fus convaincue que son cri "laissez-moi donc souffrir" avait une signification profonde. C'était le symbole de la voie originale qu'elle avait choisie - inconsciemment peut-être - pour se libérer. (...)

Il me paraît certain que par la souffrance elle parvint à dépasser la souffrance. Il était dans mon habitude de la plaindre. Cela n'était pas nécessaire. Elle vécut le plus profond en elle, ce qu'il y a de plus précieux, l'inaltérable vérité; pour finir, cette transcendance l'illumina, mais je ne sais pas si sa vie journalière eut le temps d'en être transformée."

"Maintenant, il y a une osmose entre ce qui parle en moi et le monde du dehors, et cette pénétration me donne un sentiment très heureux d'unité. Je ne dois plus partager mon amour, ni mon ardeur entre ce "moi" qui écrit et la vie de la terre qui m'entoure et réclame mon attention - tout cela se nourrit mutuellement.

J'ai eu envie de vous en parler parce que vous en savez plus que moi sur la vraie force de la vie. Si je pouvais être avec vous, Ella, une fois de plus, je vous en serais très reconnaissante. Je crois que nous nous entendrions mieux et que je vous donnerais moins de soucis."

Annemarie, lettre à Ella Maillart, 2 août 1941