HYMNES A LA NUIT

DÉSIR DE LA MORT

Hymnes à la Nuit

Le 1er Hymne ; Le 3ème Hymne ; Le 4ème Hymne ; Le 5ème Hymne ; Aspiration à la Mort (Hymne 6)

 

 

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"Le naturel avec lequel l'allemand peut jouer du surnaturel est incompatible avec le sens surnaturel qu'a tout naturellement notre langue française.

Cela ne touchant en rien l'authenticité de l'expérience spirituelle de Novalis en elle-même, cet unique chemin de vérité à laquelle son génie accéda, je pense qu'il me sera permis de demander très humblement au lecteur que cette vérité intéresse, de se laisser mener comme il convient par la musique qui alimente souterrainement les images, tout en lui apportant mentalement le discret correctif d'une sourdine assez légère qui le rapprochera plus exactement de la mesure essentiellement germanique de l'oeuvre originale."

Armel Guerne

 

Descendre enfin dans le sein de la terre,

Laisser enfin ces règnes de lumière!

Le choc et l'élan des souffrances

Sont les signes de gaie partance.

- L'esquif étroit nous fait un prompt voyage

Pour aborder bientôt au céleste rivage.

 

Louange et gloire à la Nuit éternelle!

Louange à l'éternel sommeil!

Le jour nous a saturés de chaleur

Et tout flétris, cette longue douleur.

- Nous n'avons plus le goût des terres étrangères

Nous voulons retourner chez nous, chez notre Père.

 

A quoi bon dans ce monde ici

Tout notre amour et la fidélité ?

L'ancien, on s'en détourne avec mépris

Et le nouveau, comment peut-il nous importer?

- Ah! combien solitaire et combien contristé

Celui, pieusement, qui aime le passé!

 

L'Autrefois où s'illuminaient les sens

Qui s'embrasaient en hautes flammes claires,

Où, du visage et de la main du Père,

L'homme savait encore avoir la connaissance.

- Et souvent l'âme haute, avec simplicité,

Venait encore à son modèle s'égaler.

 

Ce grand Passé, où dans leur pleine fleur

Les races d'autrefois éclataient de splendeur

Et leurs fils, aspirant au ciel et son empire,

Espéraient en la mort et s'offraient au martyre.

- Et la vie et la joie, si même elles appelaient,

Par amour cependant plus d'un cœur se brisait.

 

Ce Passé où, splendide de jeunesse

Dieu en Personne s'est manifesté,

Puis dans la mort précoce il a jeté

Sa vie exquise, avec amour et hardiesse.

- Douleur, angoisse, il n'a rien refusé

Pour nous rester toujours précieux et bien-aimé.

 

Quel serrement de cœur à voir ces temps passés

S'envelopper de nuit obscure!

Jamais en la temporelle aventure

L'ardeur de notre soif ne pourra s'apaiser.

- Il faut que nous allions jusqu'en notre patrie

Pour pouvoir contempler cette époque bénie.

 

Qu'y a-t-il qui retarde encor notre retour?

Depuis longtemps déjà nos aimés s'y reposent.

A leur tombeau notre vie a fermé son cours;

En douleur maintenant tout se métamorphose.

- Et notre quête ici n'a plus rien à trouver

Le monde est vide - le cœur rassasié.

 

Infiniment, tout de mystère empreint

Nous transperce un effroi plein de suavité.

J'entends dans les lointains profondément rouler

Comme un écho de notre lourd chagrin,

- Les bien-aimés eux aussi nous désirent,

Leur nostalgie en nous met son soupir.

 

Descendre enfin vers l'adorable fiancée,

Vers Jésus, le très bien-aimé !

Confiance ! le crépuscule déjà se lève

Sur les amants inconsolés. - Et c'est un rêve

Qui rompt nos liens et nous libère

Pour nous jeter au sein de notre Père.