► LA HACHE DES STEPPES

"Dans le dernier village occidental, symbole détruit par bombes prophétiques, mes vingt héros avaient péri : point final, pour moi, à quinze mois d'exaltation créatrice. Et sorti de mon Camp des Saints, au lieu de la pause espérée, voilà que je recommençais aussitôt à le vivre après l'avoir imaginé parce que tout, dans l'actualité, me conduisait à le revivre comme le souvenir de ce qui sera."

Retour à Jean Raspail - Peuples oubliés - Les Oumiâtes 

Voir aussi Le son des tambours sur la neige Et autres nouvelles d'ailleurs : Une déception

La hache des steppes, vieille de 3000 ans, qui se transmet chez les Raspail,  matérialise la chaîne des générations, rompue chez la plupart de nos contemporains - "le petit homme innombrable, naufragé de la genèse"

"Voilà pourquoi je révère l'objet. S'il n'avait pas existé, je l'aurais inventé."

 

La hache des steppes constitue la première version, si l'on peut dire, d'un ouvrage de Jean Raspail mieux connu, à savoir Pêcheur de lunes : dans sa préface (1990), il mentionne d'ailleurs La hache des steppes, "paru il y a dix-ans chez le même éditeur, livre aujourd'hui introuvable et connu seulement d'initiés". Qu'entre Pêcheur de lunes et La hache des steppes "l'éclairage intérieur", selon le mot de Jean Raspail, ait changé, c'est évident, mais les pistes sont les mêmes et l'intention identique.

Quant aux peuples oubliés, aux "peuples témoins", c'est encore une fois de leur escamotage "dans les oubliettes de l'humanité" qu'il s'agit. 

"Si la vie peut être conduite par une attitude romantique, ainsi que je le crois, disons que ce nom de baptême et cette classification personnelle des minorités oubliées convenaient à mon attitude. Il eût été plus exact de parler de peuples témoins. Et là, je voudrais me montrer parfaitement clair : témoins du passé et de son inestimable survivance parmi nous."

"Ceux qui sont impuissants à renouer le fil cassé, maudissent cette cassure, mais l'enjambent par l'imagination. Qui sait s'ils ne s'approchent pas, quelquefois, de la réalité perdue?"

"Dommage encore et toujours. (...)

Qu'Anna soit morte aussi, et Lucile, et la mère de Rose, et l'ancien roi Pierre des caraïbes, et Lola l'aveugle, dernière survivantes des Onas de terre de Feu, et Manuel Inta qui prononça les derniers mots de la langue antédiluvienne des urus, et Yotari-Buro qui s'en alla mourir seul au sommet d'une montagne glacée de Hokkaïdo, selon les rites des Aïnos, tandis que le complexe industriel de Sapporo engloutissaient les jeunes gens de son clan."

"Lola est morte aveugle. Dans une petite cabane de bois, près du lac Fagnano, en Terre de Feu. mais ayant conduit sa vie avec courage jusqu'au terme et sans avoir rien oublié du passé des Onas, dont elle était la dernière représentante de race pure. Elle avait eu quelques amis, sur la fin de sa vie, ethnologues pour la plupart."

"Je casserai la hache des steppes, je l'enterrerai sans pouvoir jamais la retrouver, je ne veux plus la voir. Elle échappe de la main de tous ces vieillards qui m'entourent et dont les ombres m'oppressent et m'attristent. Un monde continu meurt au fil de plume, où tous ces vieillards m'appellent, et je ne sais rien de celui qui va naître."

> Ce que Jean Raspail dit des Alakalufs dans La hache des steppes

"L'extrémité glacée de l'Amérique, c'est la terre de Feu et les canaux chiliens de Patagonie, un des rares endroits du globe où les cartes marines les plus modernes se perdent en pointillés. Et là, une poignée de dolichocéphales à crâne bas : les derniers Fuégiens..."

> Ce que Jean Raspail dit des Ghiliaks

"Les Ghiliaks se comptaient encore environ 3 000 cinquante ans avant le passage de Tchékhov..."

En manière de conclusion

"J'ai rangé la hache noire hors de ma vue. Je ne suis pas prêt de la déterrer de sitôt des profondeurs blindées où elle s'en est retournée. Ayant revécu en sa compagnie la part nomade de ma vie, ayant écrit sous sa dictée, il me vient à la dernière ligne un soupçon définitif. La hache des steppes ne porte pas bonheur. Elle est un porte-malheur. Elle marque du sceau de la mort tous ceux qui ont bravé le cours des siècles. Elle les entraîne irrésistiblement vers le fond comme la pierre que s'attache au cou le désespéré qui se noie. Elle est le signe des vaincus. Lui avoir consacré toutes ces pages (sur tous les tons, on en conviendra), éclaire d'un jour funèbre le camp où je m'étais rangé. Qui sait si je le quitterai? Il y a noblesse à s'obstiner."