La hache des steppes
constitue la première version, si l'on peut dire, d'un ouvrage de Jean
Raspail mieux connu, à savoir Pêcheur de lunes : dans sa
préface (1990), il mentionne d'ailleurs La hache des steppes,
"paru il y a dix-ans chez le même éditeur, livre aujourd'hui
introuvable et connu seulement d'initiés". Qu'entre Pêcheur de
lunes et La hache des steppes "l'éclairage
intérieur", selon le mot de Jean Raspail, ait changé, c'est
évident, mais les pistes sont les mêmes et l'intention identique.
Quant aux peuples oubliés,
aux "peuples témoins", c'est encore une fois de leur
escamotage "dans les oubliettes de l'humanité" qu'il
s'agit. "Si
la vie peut être conduite par une attitude romantique, ainsi que je le
crois, disons que ce nom de baptême et cette classification personnelle
des minorités oubliées convenaient à mon attitude. Il eût été plus
exact de parler de peuples témoins. Et là, je voudrais me montrer
parfaitement clair : témoins du passé et de son inestimable survivance
parmi nous."
"Ceux
qui sont impuissants à renouer le fil cassé, maudissent cette cassure,
mais l'enjambent par l'imagination. Qui sait s'ils ne s'approchent pas,
quelquefois, de la réalité perdue?"
"Dommage encore et
toujours.
(...)
Qu'Anna soit morte aussi, et Lucile, et la mère
de Rose, et l'ancien roi Pierre des caraïbes, et Lola l'aveugle,
dernière survivantes des Onas de terre de Feu, et Manuel Inta qui
prononça les derniers mots de la langue antédiluvienne des urus, et
Yotari-Buro qui s'en alla mourir seul au sommet d'une montagne glacée
de Hokkaïdo, selon les rites des Aïnos, tandis que le complexe
industriel de Sapporo engloutissaient les jeunes gens de son clan." "Lola
est morte aveugle. Dans une petite cabane de bois, près du lac Fagnano,
en Terre de Feu. mais ayant conduit sa vie avec courage jusqu'au terme
et sans avoir rien oublié du passé des Onas, dont elle était la
dernière représentante de race pure. Elle avait eu quelques amis, sur
la fin de sa vie, ethnologues pour la plupart."
"Je
casserai la hache des steppes, je l'enterrerai sans pouvoir jamais la
retrouver, je ne veux plus la voir. Elle échappe de la main de tous ces
vieillards qui m'entourent et dont les ombres m'oppressent et
m'attristent. Un monde continu meurt au fil de plume, où tous ces
vieillards m'appellent, et je ne sais rien de celui qui va
naître."
> Ce que Jean Raspail dit
des Alakalufs dans La hache des steppes
"L'extrémité
glacée de l'Amérique, c'est la terre de Feu et les canaux chiliens de
Patagonie, un des rares endroits du globe où les cartes marines les
plus modernes se perdent en pointillés. Et là, une poignée de dolichocéphales
à crâne bas : les derniers Fuégiens..." > Ce que Jean
Raspail dit des Ghiliaks
"Les Ghiliaks
se comptaient encore environ 3 000 cinquante ans avant le passage de
Tchékhov..." En manière de conclusion
"J'ai rangé la hache noire hors de ma vue.
Je ne suis pas prêt de la déterrer de sitôt des profondeurs blindées
où elle s'en est retournée. Ayant revécu en sa compagnie la part
nomade de ma vie, ayant écrit sous sa dictée, il me vient à la
dernière ligne un soupçon définitif. La hache des steppes ne porte
pas bonheur. Elle est un porte-malheur. Elle marque du sceau de la mort
tous ceux qui ont bravé le cours des siècles. Elle les entraîne
irrésistiblement vers le fond comme la pierre que s'attache au cou le
désespéré qui se noie. Elle est le signe des vaincus. Lui avoir
consacré toutes ces pages (sur tous les tons, on en conviendra),
éclaire d'un jour funèbre le camp où je m'étais rangé. Qui sait si
je le quitterai? Il y a noblesse à s'obstiner." |