LES OUMIÂTES

Ce peuple sibérien, disparu depuis le milieu du XIXème siècle, occupe une place singulière dans l'œuvre de Jean Raspail. Difficile toutefois de savoir si c'est au prince Pierre de G. ou à  Theodor Kröger qu'il en doit l'invention.

 

> Pourquoi il est nécessaire de lire Jean Raspail

 

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Retour à Jean Raspail - La hache des steppes - Les royaumes de Borée

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Voir aussi Le son des tambours sur la neige Et autres nouvelles d'ailleurs  Une déception 

Le village oublié

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"Après quelques virages, la route aboutit à un sentier étroit, lequel conduit à une poterne basse et massive ; la porte close est munie de solides armatures de fer.

Je m'approche avec précaution : rien ne bouge autour de moi ; la piste reste déserte, les buissons muets ; seules les mésanges voltigent joyeusement de branche en branche ; le sol mou est recouvert d'un épais tapis de mousse.

- Ohé...! criais-je.

Comme lancé par une bonde, quatre hommes, surgissant sur le mur de terre, se dressent devant moi.

- Des Huns!... murmurais-je spontanément.

De taille moyenne, ils ont de longs cheveux noirs qu'ils portent en tresses, des visages jaunes, les yeux bridés; ils sont vêtus de vareuses et de pantalons de toile, leurs pieds sont entourés de chiffons et chaussés de légères sandales de cuir. Ils tiennent à la main un javelot, un arc et un carquois avec des flèches.

Je lève les bras en l'air, fais des signes avec mon fusil et mes bras tout en avançant lentement au-devant d'eux. Les hommes, ramassés sur eux-mêmes, restent figés dans la position où ils me sont apparus.

Ai-je donc devant moi, dans cette forêt vierge, les représentants d'une civilisation vieille de plusieurs siècles?"

Theodor Kröger, Le village oublié, Phébus, 1986

"Sais-tu où nous allons, Irène? Nous allons chez les Oumiâtes. Ce sont des gens qui vivent dans la grande forêt. Ils portent des bonnets pointus de fourrure et grandes bottes de peau brodées de fil d'argent. Quand ils se déplacent, ils ne laissent aucune trace et ne font aucun bruit. C'est pourquoi ils n'ont pas de fusils, seulement des arcs et des flèches. Ils habitent des huttes rondes recouvertes d'écorce de pin. Leur chef s'appelle Djoungar et chacun lui obéit. Il ne doit de compte à personne mais ne se trompe jamais..."

Jean Raspail, Septentrion

"Quand Pierre le Grand donna le gouvernement de Sykhyvkar au premier seigneur d'Oukhta, mon aïeul, avec mission de pacifier la région et de russifier la population, Djoungar tenait les forêts à la tête d'un millier d'Oumiâtes. C'est vrai qu'ils se déplaçaient d'arbre en arbre, qu'ils communiquaient par tambours et qu'ils étaient insaisissables. A la fin, Djoungar dut traiter et accepter de se soumettre. mais c'était un personnage de légende, brave et noble. Il le fit à sa façon, selon le cérémonial de son clan ; il n'en aurait pas consenti d'autre : cadeaux déposés en lisière de sa forêt, du poisson, du gibier, puis le poignard du chef planté dans le tronc d'un arbre et offert en gage de paix. Après quoi, seulement, il se montrait, et il y avait une grande fête. La tradition voulait aussi que le pacte fût renouvelé avec chaque héritier du domaine durant l'année de ces onze ans. Cela assurait la continuité de la paix. Comme Djoungar vécut très vieux, la cérémonie  se répéta trois fois. Pour les jeunes seigneurs d'Outhka, c'était devenu une initiation, un symbole.

Puis la forêt se dépeupla. On avait russifié les Oumiâtes et les Oumiâtes s'étaient dispersés."

Jean Raspail, Pêcheur de lunes

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Ce que Jean Raspail dit des Ghiliaks

"Les Ghiliaks se comptaient encore environ 3 000 cinquante ans avant le passage de Tchékhov. De race jaune, ils ne se rattachaient ni aux Mongols ni aux Toungouz de Sibérie, mais à une tribu inconnue qui fut puissante et domina peut-être toute l'Asie. De redoutables guerriers, "vêtus de fourrures et de bottes qui avaient l'air d'avoir été arrachées cinq minutes plus tôt à un chien crevé", mais que leur petit nombre précipitait aussi dans l'impasse, talonnés qu'"ils étaient par l'avant-garde russe débarquée de Sibérie, soit des milliers de Cosaques. (...)

Des Ghiliaks, il n'en est plus question aujourd'hui. La hache des steppes est tombée de leurs mains, Tchékhov en dénombra 320 au total, en 1890. Établissant des comparaisons avec le premier recensement de 1856, il en conclut "que d'ici cinq ou dix ans, il ne restera plus un seul Ghiliak dans l'île" [Sakhaline]. Pas si mauvais prophète! Dans le remarquable ouvrage de Walter Kolarz, bilan édifiant des minorités ethniques d'Asie russe et le seul existant aujourd'hui, je n'ai retrouvé aucune trace des Ghiliaks. Kolarz relève à Sakhaline un milliers d'Aïnos - dotés, paraît-il, d'un parlement (soviet) "national" littéraire -, 300 Toungouz, 100 Nivhis, mais pas de Ghiliaks. Pas un seul, fût-ce à l'état de souvenir ou de tombe. Escamotés dans les oubliettes de l'humanité!"

La hache des steppes, 1974