Antérieurement
à notre présent cycle, l’Agarttha portait le nom de Paradêsha (ou
contrée suprême, en sanscrit). De là vient le mot « Paradis ».
Le Paradis terrestre n’est donc autre chose que cette contrée suprême,
désormais inaccessible à tous les hommes, sinon au terme de leur vie,
dans la voie du salut, car entrer en Paradis, c’est bien en retrouver
l’accès et, par là-même reconstituer pour soi l’état édénique
qui était celui de l’humanité avant qu’elle n’entre dans son
cycle actuel. Au centre de ce Paradis – qui est notre Orient métaphysique
– se trouve une montagne qui est mentionnée dans toutes les
traditions, y compris dans le christianisme, (le Mont-Salvat de la Quête
du Graal et tous les « Sauveterre »). C’est le Mont Méru
dans l’hindouisme, ou la montagne de Qâf dans la tradition
islamique. Elle est naturellement inaccessible et se trouve située
« hors de l’atteinte de tous les cataclysmes qui bouleversent le
monde humain à la fin de certaines périodes cycliques ». Elle
figure donc le Centre du monde.
On trouve une
illustration de cette géographie spirituelle dans le Récit de
l’exil occidental de Sohravardî. La montagne de Qâf porte
ici le nom de Sinaï :
« Je
sortis des grottes et des cavernes, et j’en finis avec les vestibules :
je me dirigeais droit vers la Source de la Vie. Voici que j’aperçus
les poissons qui étaient rassemblés en la Source de la Vie, jouissant
du calme et de la douceur à l’ombre de la Cime sublime. « Cette
haute montagne, demandai-je, qu’elle est-elle donc ? Et
qu’est-ce que ce grand rocher ? »
« Je fis
l’ascension de la montagne. Et voici que j’aperçus notre père à
la façon d’un grand Sage, si grand que les Cieux et la terre étaient
près de se fendre sous l’épiphanie de sa lumière. Je demeurai ébahi,
stupéfait. Je m’avançai vers lui, et voici que le premier, il me
salua. Je m’inclinai devant lui jusqu’à terre, et j’étais pour
ainsi dire anéanti dans la lumière qu’il irradiait. »
« Sache
que cette montagne est le mont Sinaï ; mais au-dessus de celle-ci,
il y a une autre montagne : le Sinaï de celui qui est mon père et
ton aïeul, celui envers qui mon rapport n’est pas autre que on propre
rapport avec moi »
« Et nous
avons encore d’autres aïeux, notre ascendance aboutissant finalement
à un roi qui est le Suprême Aïeul, sans avoir lui-même ni aïeul ni
père. Nous sommes ses serviteurs : nous lui devons notre lumière ;
nous empruntons notre feu à son feu. Il possède la beauté la plus
imposante de toutes les beautés, la majesté la plus sublime, la lumière
la plus subjugante. Il est au-dessus de l’Au-dessus. Il est Lumière
de la Lumière et au-dessus de la Lumière. »
René
Guénon fait remarquer que toutes les pierres sacrées, les bétyles, et
autres Omphalos sont des symboles de cette montagne sacrée. A son sommet, et comme « au-dessus »
de celle-ci, commence une autre terre, un « paradis céleste »
qui est l’Orient de l’âme. Ce Paradis céleste fait référence
ici au « centre premier et suprême » qui est Tula, dont les
Grecs ont fait « Thulé ». Il est aussi une « île
blanche » :
« La
brise me pousse vers ces rivages où l’Ange
m’a entraîné au temps de mes rêves d’adolescent. Vers ces îles
inconnues, perdues dans l’immensité de l’Océan, ou vers ce royaume
de Thulé que j’ai abordé autrefois dans la lumière hyperboréenne.
Vers ce mont Saber, enfin, où l’ange du Yémen m’attend, sur le
seuil de la Caverne des Ahl
al-Kahf.
La
brise me conduit vers toi. Elle n’a cessé de m’accompagner, pour me
guider, de souffler sur ma barque solitaire, d’en gonfler les voiles,
de remplir le Silence de la mer. Il me suffisait de penser à toi, à
ton visage de beauté, à ton cœur blanc comme l’écume, pour que ma
barque s’anime, portée par la vague. Voici les rivages tant désirés,
les plages de sable, la ligne des palmiers, et, dressée sur
l’horizon, la mosquée
blanche. Et puis te voici, toi, ma brise douce et parfumée, mon
souffle, marchant le long du rivage, le visage tourné vers l’Océan.
Je reconnais tes pas, ta démarche gracieuse. Seul ton visage me reste
invisible... Mais son image ne m’a pas quitté un seul instant et
demeure dans le secret de mon cœur comme le visage même de l’Amour
et de la fidélité amoureuse. Tu
t’avanceras au-devant de moi et je verrai ton visage. Je verrai
l’Ange de la beauté, et la beauté de l’Ami ne me sera plus jamais
voilée.
Mais
la brise garde son secret. Tu n’es encore qu’une silhouette
lointaine, tandis que grandit la plage où tu m’attends solitaire
comme moi et silencieuse : dans le Silence de l’amour. Que seront
les premiers mots que nous échangerons ? Les mots du Secret qui
est le nôtre ne se divulguent pas - le regard seul les exprime :
silencieusement. L’Océan les connaît ainsi que nos deux cœurs. Et
c’est assez. »
L’accès à ce Paradis céleste s’opère donc
dans des conditions bien particulières, soit en
progressant régulièrement dans « les états supérieurs de l’être », soit de manière
directe, à travers des visions, comme celle-ci, décrite par Rûzbehân
Baqlî :
« Il arriva que je me vis au-dessus du mont Sinaï. Je vis Dieu –
gloire à Lui – venant des jardins de l’éternité sans commencement.
C’était comme si se répandaient là des roses rouges et blanches, des
perles et des joyaux. » |