Tout est admirable dans la vie de
Novalis.
Son nom, tout d’abord, Novalis,
pseudonyme de Friedrich von Hardenberg, « nom quasi-parfait », selon
l’expression de son principal traducteur en France, Armel Guerne, « nom
merveilleux qui devient à lui seul, déjà, rien qu’à l’entendre, comme le
signe clair et presque, dirons nous, la clef du grand mystère de cette
âme latine dans son corps allemand et son verbe germain. » Mais aussi
son visage, d’une beauté singulière, certes « de cette espèce qui ne plaît
pas à la foule », mais dont Tieck dira qu’elle faisait de Novalis « la
plus pure et la plus séduisante incarnation d'un esprit hautement
immortel. » Admirables furent ses amours - Sophie, Julie -, ou mieux
encore sa vocation à l’Amour qu’il réalisera de la manière qu’il
avait pressentie, en 1797 : « L’amour peut, par le vouloir absolu, se
muer en religion. C’est par la mort seulement que l’on devient digne de
l’Être suprême ». Et sa mort, justement, est admirable, comme en
témoignera Friedrich Schlegel : « Il est certain qu’il n’a eu aucun
pressentiment de sa mort, et il est à vrai dire à peine croyable de mourir
d’une manière si douce et si belle. Pendant tout le temps que je l’ai vu,
il a été d’une sérénité qui passe toute description, et quoique sa grande
faiblesse l’empêchât beaucoup de parler lui-même, le dernier jour, il prit
part à toutes choses de la manière la plus aimable, et il m’est précieux
par dessus tout d’avoir encore pu le voir ».
Tout comme son œuvre est admirable, que
ce soit ses essais, dont il faut retenir les incomparables Disciples à
Saïs, ou encore Foi et Amour, que ce soit ses fragments
philosophiques, inaugurés très tôt, par cette déclaration qui est tout un
programme : « Le véritable acte philosophique est le meurtre de soi »,
ainsi que ses Fragments mathématiques – « La vie suprême est
mathématique » - que ce soit son unique roman, inachevé, Henri
d’Ofterdingen, et surtout ses Hymnes à la Nuit qui constituent
l’un des sommets de la poésie occidentale.
Admirable, enfin, son expérience
spirituelle, d’une rare intensité, et qui ne peut guère se comparer, en
Occident du moins, qu’à celle d’un Dante, ce pèlerinage intérieur
qui conduira Novalis, après la mort de Sophie, jusqu’à l’Orient de son
âme : « C’est vers l’intérieur que va le chemin mystérieux », a-t-il écrit
dans une formule célèbre. On pense ici à Armel Guerne évoquant « le chemin
secret [qui], même s’il passe par Hemsterhuis, Jacob Boehme ou von
Helmont, conduit finalement à Paracelse et de là, à l’intérieur de tout
être ».
Novalis fut un poète, indubitablement, et même « le poète suprême », comme
l’écrira Armel Guerne : « Non le plus grand. Le plus naturellement
surnaturel de tous, le plus lucide ; non pas le plus éblouissant dans le
visible de ses œuvres, mais le plus transparent, divinement, dans la
substance de leur être ; donc le plus vrai ». « Poète omniscient »,
également, ce en quoi il fut aussi un théosophe qui accomplira sa
vocation à l’amour, en très peu d’années, et portera à sa plénitude un
destin lumineux, inscrit dans son nom, dont les étoiles ou les Orients
se nomment Sophie, Julie-Mathilde et Christus.
Vocation, destin qu’il nous confie comme
un viatique.
C’est ainsi que le premier enseignement
de la vie de Novalis se trouve sans doute dans sa mort. Aucun autre destin
que le sien n’illustre mieux qu’il faut mourir en ce monde une première
fois, pour en sortir vivant. C’est même cela atteindre son
Orient, une fois accomplie sa vocation, qui est fondamentalement
vocation à l’Amour. Et le second enseignement de son existence est qu’il
ne suffit pas de mourir en ce monde pour renaître à la Vie, mais qu’il
faut aussi y avoir été transfiguré, en ayant traversé cet Orient
majeur qui est l’Orient de l’âme, au terme d’une expérience qui est
non moins fondamentalement expérience de la délivrance : « Chaque
homme peut par sa moralité, provoquer son jour du Jugement. Le
règne millénaire est et se perpétue toujours parmi nous. Les meilleurs
d’entre nous, qui déjà du temps de leur vie ont atteint au monde
spirituel, ne meurent qu’en apparence ; ils se laissent seulement mourir
en apparence. Celui qui ne parvient point
ici à la perfection, y parvient peut-être au-delà – ou il lui faut
commencer une nouvelle fois une carrière terrestre.
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