« Si quelque être d'un autre monde descendait parmi
nous et nous demandait les fleurs suprêmes de notre
âme, les titres de noblesse de la terre, que lui
donnerions-nous ? » demande Maurice Maeterlinck dans
son inoubliable Introduction aux Disciples à
Saïs, de Novalis.
Et il
n'hésite pas à répondre que nous mènerions l'envoyé
divin parmi ceux « dont les oeuvres touchent
presque au silence», ceux qui, au risque de se
perdre, sont montés « jusqu'à ces hauts plateaux
solitaires où la conscience s'élève d'un degré, et
où tous les esprits qui ont l'inquiétude d'eux-mêmes
rôdent attentivement autour de l'anneau monstrueux
qui relie le monde apparent à nos mondes
supérieurs... »
« Novalis est un de ces esprits inquiets, audacieux,
anormaux peut-être, que la simple raison
philosophique ne saurait satisfaire. Sa pensée
spontanément mystique semble être, par instants,
l’annonciatrice d’un entendement supérieur auquel
nous sommes tous destinés. Ses vues pénétrantes et
inattendues coïncident avec ce que chacun de nous a
vécu sous forme de vagues pressentiments.
C'est
encore Maeterlinck qui compare cette pensée mystique
« aux yeux de l'enfant qui regarde la montagne ou la
mer », tandis que la pensée positive n'est jamais, à
son dire, que l'oeil mort de l'aveugle.
Et toute
une génération à qui Maeterlinck a révélé Novalis
garde le souvenir de cette traduction des
Disciples à Saïs, suivis de Fragments.
Petit livre aujourd'hui presque introuvable, qui fut
pour beaucoup d'entre nous un livre de chevet. Le
mysticisme s'y découvrait sous une forme séduisante
entre toutes, paisible, souriante, harmonieuse,
libérée de toute doctrine et de tout préjugé,
ignorante de toute intransigeance, pénétrée
réellement de la plus pure lumière de
l'intelligence. Car quelque chose de la sérénité de
Goethe planait sur l'esprit de Frédéric von
Hardenberg, qui connut d'ailleurs et admira le sage
de Weimar. Quelque chose aussi de son esprit
éclectique et synthétique. Novalis rêvait d'une
science globale - et universelle, qui serait en même
temps une religion, et dont Goethe, disait-il, «
serait le hiérophante ».
Certes,
peu d'êtres se sont élevés, en quelques années de
vie trop brève, au pur rayonnement qu'atteignit
Novalis. Comme devant les toiles de Raphaël, on
éprouve, à certaines paroles de ce poète, le contact
d'une réalité divine. Il est impossible de parler de
lui sans une sorte d'émotion religieuse. Les
inégalités de sa pensée, les erreurs qu'il put
commettre, dans sa hâte à embrasser - avant de
mourir - le complet horizon des connaissances
humaines, tous ces défauts s'évanouissent à la
lumière de sa personnalité unique. « Il sut, dit
Maeterlinck, donner des vêtements mystiques à un
certain nombre des choses de la terre, et ces
vêtements sont les plus calmes, les plus spontanés
et les plus virginaux que l'on puisse rencontrer. Il
sourit aux choses avec une indifférence très douce,
et regarde le monde avec la curiosité inattentive
d'un ange inoccupé et distrait par de longs
souvenirs... »
Voir sa traduction du 3ème Hymne |