L’ésotérisme s’attache à la connaissance de « vérités
qui sont inhérentes à l’esprit humain mais qui, en fait, sont comme
ensevelies au « fond du cœur » - et que Frithjof Schuon
nomme « les vérités principielles et archétypiques ». Dès
lors, tout homme qui s’engage dans la recherche de ces vérités, qui
rejoint ce « fond du cœur » où elles se trouvent,
accomplit une démarche d’ordre « ésotérique », quel que
soit le nom qu’on lui donnera : il pourra être appelé « gnostique »
ou « pneumatique » ou encore « théosophe ». En
revanche, le « philosophe » n’a pas accès à ce « fond
du cœur », si on excepte Pythagore et Platon, parce qu’il n’a
« ni les yeux de la Foi ni ceux de la Connaissance ». Les
philosophes, remarquait Henry Corbin, sont « impuissants à se
mettre en route ». Et Armel Guerne, à propos de Novalis,
dira : « Novalis n’est pas un géographe de la pensée
comme le sont ceux qu’on dit aujourd’hui des philosophes ; il
est poète et il fait le voyage en personne. »
Gnostique et théosophe
Le mot « gnostique » peut être utilisé pour qualifier
celui qui emprunte la voie ésotérique (Sentiers de gnose est le
titre d’un ouvrage de Frithjof Schuon), car le gnostique sait
distinguer entre « connaissance » et « croyances »
et, selon la définition qu’en donne Robert Amadou, « la
connaissance du genre gnose présente quatre traits essentiels et corrélatifs :
elle est religieuse, traditionnelle, initiatique, universelle. »
Ce sont bien ces mêmes traits que l’on retrouve dans toute
doctrine ésotérique, et, ainsi, la gnose se rapporte effectivement à
« l’ésotérisme en soi », quelles que soient les « formes »
qu’elle ait pu emprunter. Il
en va de même avec le mot « théosophe », à condition de
s’en tenir aux critères qui sont ceux de la connaissance « du
genre gnose ». Ainsi Schuon dira-t-il qu’ont accès « aux
vérités principielles et archétypiques », « intuitivement
et infailliblement, le « gnostique », le « pneumatique »,
le « théosophe », - au sens propre et originel – de ces
termes » (Sur les traces de la religion pérenne).
Dans tous les cas, on fera appel à la rigueur doctrinale d’un
René Guénon. Par exemple, en ce qui concerne l’hermétisme « dont
la provenance ne peut-être que gréco-égyptienne » et qui ne
constitue pas à proprement parler une voie ésotérique (voir,
toutefois, ce qu’en dit Julius Evola, dans sa Tradition hermétique).
De même pour ce qui est de l’alchimie qui n’est qu’une « technique »
et qui, à ce titre, ne peut pas être « cultivée pour elle-même » :
« Il ne faut pas confondre les moyens d’une réalisation
initiatique, quels qu’ils puissent être, avec son but final, qui est
toujours de connaissance pure ». Parmi ces moyens, il faut se
garder encore plus de ce qu’on appelle « magie »,
d’abord, parce que le mot lui-même est bien fait pour ajouter à la
confusion qui règne dans beaucoup d’esprits à propos de l’ésotérisme,
ensuite parce qu’elle est « la plus inférieure de toutes les
applications de la connaissance traditionnelle », « la plus
méprisée ». Il en va d’ailleurs ainsi de toutes les sciences
traditionnelles qui ont été séparées de leur principe métaphysique
et qui, par là-même, se sont progressivement altérées au fil des siècles.
Un mot, enfin, de l’occultisme : « Le mot « occultisme »,
qui a été inventé par Eliphas Lévi lui-même, convient fort peu pour
désigner ce qui exista antérieurement à lui, surtout si l’on songe
à ce qu’est devenu l’ésotérisme contemporain, qui, tout en se
donnant pour une restauration de l’ésotérisme, n’est arrivé qu’à
en être une grossière contrefaçon, parce que ses dirigeants ne furent
jamais en possession des véritables principes ni d’aucune initiation
sérieuse » (Voir
René Guénon, L’ésotérisme de Dante).
On en conclura que,
pour parler de l’homme engagé dans une voie ésotérique,
l’exactitude – et qui n’est pas seulement formelle – veut
qu’on le nomme en relation avec la tradition ésotérique à laquelle
il appartient : le soufi (malgré les réserves de Guénon),
le kabbaliste, ou bien on lui donnera le nom de « gnostique »,
de « théosophe », ou encore on le désignera d’après le
degré de réalisation personnelle qu’il aura atteint : il sera
alors appelé initié ou adepte, ou encore fidèle
d’amour ou rose+croix, sans signe d’appartenance à une
« société » quelconque. |