ÉMILE SPENLE

Émile Spenlé est l'auteur d'un Novalis, Essai sur l'idéalisme romantique en Allemagne, thèse publiée en 1904. Sa thèse complémentaire, Novalis devant la critique (1903), est un document d'un intérêt remarquable.

Retour à Novalis - A propos de Novalis - L'oeuvre de Novalis (en langue française)

A une esthétique musicale nouvelle devait donc aboutir tout le mouvement de rénovation artistique qu'avait entrepris le premier romantisme. Là est le secret de cette "poésie de l'avenir", de cette oeuvre d'art future, synthétique, religieuse et symboliste, que Novalis annonçait prophétiquement."

"Par une matinée de printemps de l'année 1802, bien avant le lever du soleil, un jeune voyageur sortait de la ville d'Iéna, la démarche légère et l'âme en fête. Il portait, accroché à ses épaules, un petit sac, avec ses habits de dimanche et un peu de linge de rechange, - car on était à la veille de la pentecôte et il rentrait dans sa famille, pour y passer les jours de fête. Sa mise était celle d'un étudiant pauvre et studieux. Dans le sac du voyageur une main  indiscrète aurait découvert  petit paquet, soigneusement enveloppé; c'était un livre que le jeune étudiant apportait à sa fiancée, "la douce et charmante nouveauté" du jour, Henri d'Ofterdingen, de Novalis..."

"Située au confluent de deux siècles et de deux époques très différentes, tournée d'une part vers l'Allemagne religieuse et piétiste du 18ème siècle, d'où elle tire sa substance intime, et d'autre part vers l'Allemagne romantique du 19ème siècle qu'elle annonce et prépare déjà, [ l'oeuvre de Novalis ] établit entre ces deux époques des termes de liaison innombrables; elle est, malgré son caractère incomplet, un chaînon de première importance dans une longue évolution religieuse et artistique, - un chaînon, sans lequel bien des séries voisines ou apparentées ne se rejoindraient pas nettement sous nos yeux. Elle révèle en même temps un des aspects les plus originaux de cette mentalité romantique, profondément inhérente à la race germanique, préparée et comme accumulée par des siècles de religiosité mystique et de repliement intérieur, refoulée un instant par la culture rationaliste et classique du 18ème siècle, mais toujours présente et populaire alors même que dissimulée, et qui, au 19ème siècle, est parvenue à la conscience théorique d'elle-même la plus distincte, parfois la plus aiguë et la plus douloureuse, dans la philosophie d'un Schelling ou d'un Schopenhauer et enfin a reçu dans le drame wagnérien son expression artistique la plus compréhensive en même temps que la plus profondément religieuse et nationale" 

"C'est d'abord Schleiermacher qui, en juillet 1802, envoie à son amie Eléonore Grünow le Henri d'Ofterdingen de Novalis, avec un commentaire approprié.  « Certes - conclut-il - Hardenberg serait devenu un très grand artiste s'il nous était resté plus longtemps. Mais cela n’était pas à souhaiter. Moins encore sa destinée que le fond même de sa nature faisaient de lui ici-bas une personnalité tragique, un initié à la mort. Et ainsi sa destinée même se trouvait en rapport avec sa personnalité... » Lorsque parut en 1806 la seconde édition des « Discours sur la Religion » le théologien romantique y intercalait l'épitaphe du défunt et gravait sur le frontispice du Temple nouveau, à côté du nom de Spinoza, celui du « divin jeune homme, trop tôt arraché à la vie, pour qui se changeait en art tout ce qu'effleurait le vol de sa pensée, pour qui l'univers se transfigurait en un vaste poème et qui, après avoir à peine préludé confusément sur sa lyre, mérite cependant déjà d'être rangé parmi les poètes les plus accomplis, parmi les rares élus, dont la pensée est aussi profonde que limpide et vivante. Par lui vous apprendrez ce que peuvent l'enthousiasme et le recueillement dans un coeur pieux et vous reconnaîtrez que, le jour où les philosophes seront religieux et rechercheront Dieu autant que Spinoza, le jour où les artistes auront le cœur pur et aimeront Christ autant que Novalis, alors luira pour les deux mondes l'aurore de la grande résurrection ». - Zacharias Werner se déclare entièrement subjugué par Novalis. « De tous les nouveaux Saints - écrivait-il à Varnhagen - je ne reconnais que Saint Novalis (den heiligen Novalis)». - Dans une série de conférences qu'il faisait en 1806 à Dresde sur la littérature et la philosophie nouvelles, Adam Müller, le futur théoricien du romantisme politique, saluait en Novalis le grand restaurateur de l'idéalisme platonicien dans la littérature et dans la science modernes. Chez Novalis, disait-il, se trouve comme impliquée toute la pensée romantique, cette Encyclopédie nouvelle, dont il ne reste plus qu'à dégager les aspects isolés. « Si jamais homme - concluait-il - fut appelé au ministère sacré de Médiateur dans le monde scientifique de l'Allemagne, en un mot, si jamais homme fut appelé à être le restaurateur du Platonisme dans toutes ses manifestations, ce fut bien Novalis.» - Frédéric Schlegel de même croyait découvrir dans Henri d'Ofterdingen une Bible nouvelle, dont malheureusement nous ne possédons que les premiers feuillets. « Si Novalis avait pu terminer le cycle de romans qu’il projetait d'écrire et où il devait donner un tableau général du monde et de la vie, en se plaçant successivement à tous les points de vue de l'activité morale humaine, nous posséderions une oeuvre à laquelle, pour l'éducation des facultés poétiques, rien ne saurait se comparer et qui nous ferait moins sentir le manque, dans notre littérature, de ces dialogues philosophiques, que les Anciens possédaient en si grand nombre. »

         Ainsi nous voyons la réputation littéraire de Novalis, née dans les cénacles romantiques, prendre peu à peu le caractère d’une véritable « légende »…"