PHILIPP OTTO RUNGE

Documents

Sommaire

Éléments biographiques

Wolgast

Textes

Runge et Novalis

Les Heures du jour

Bibliographie - Liens New.gif (1190 octets)

 

Retour à Philipp Otto Runge

 

Voir aussi Ricarda Huch : A propos de Novalis

 

 

           « Mais le véritable peintre des romantiques, qui même théoriquement et en toute conscience adhérait à la tendance nouvelle, c'était Philippe Otto Runge, originaire comme Friedrich des rives de la Baltique, plus précisément de Wolgast. Ses amis le comparaient à Novalis ; il leur apparaissait aussi comme un étranger sur terre. Pur caractère romantique par cela même que la force créatrice lui manquait, et se dissolvait chez lui dans une pensée et dans une sensibilité trop affinées. Mais c'était précisément ce qui lui permettait, plus qu'aux artistes naïvement créateurs, d'agir sur son entourage, et comme les ignorants distinguent rarement la faculté de faire des projets de celle de les exécuter, on attendait en général de lui des merveilles. Nul autre des jeunes peintres n'avait la conviction aussi vivante que tout ce qu'on avait jusqu'ici appelé art avait fait son temps, qu'au stade nouveau de l'évolution, auquel on était parvenu, correspondait un nouvel art lequel devait naître peu à peu et naturellement. Déterminer le caractère de ce nouvel art, l’annoncer et le provoquer, préparer son entrée triomphale, tel était le but qu’il s’était assigné. »

Ricarda Huch

 

*

 

Runge et Brentano

 

      « Et, toujours à Runge, le poète [Brentano] explique comment il concevait les événements terrestres dans un continuel rapport avec les constellations, avec les destinées éternelles. Son ambition fut de donner aux images qui le hantaient une signification en quelque sorte étagée sur deux plans; un symbolisme constant levait faire que certains motifs, reparaissant sans cesse, dessinassent peu à peu, au-dessus du récit et des personnages, une sorte de trame différente, plus immatérielle, un accompagnement céleste. Le sentiment que Brentano avait toujours eu de vivre dans un double monde, de rêve et de réalité, s'enrichissait ici d'une interprétation religieuse : le plan du rêve devenait le plan du mythe, accompagnement en profondeur de tout ce qui se passe sur terre.

      En demandant à Runge d'illustrer son oeuvre, le poète ne pensait pas simplement à en rendre plus agréable la présentation. Il espérait une collaboration plus intime, que l'art de ce peintre lui semblait apte à réaliser. Il voulait que, là où la parole ne suffirait plus à créer le prolongement mythique, le dessin intervînt, et dessin ornemental, ces arabesques par lesquelles Runge se rattache à l'art baroque.  Il s'agissait, explique-t-il au peintre, de souligner par ses dessins les rapports étroits entre certaines situations, racontées par le poème, et des « constellations invisibles »; d'évoquer leur continuelle référence aux mythes chrétiens du monde supérieur et du monde inférieur, sans toutefois en parler explicitement. »

 

« Runge mourut avant d'avoir pu se mettre à la tâche; il était fait pour la mener à bien, car la poétique des romances est très voisine de son art symboliste. Cet art, qui nous reste assez inaccessible, avec ses intentions trop littéraires et les lourdeurs d'exécution qui le déparent, ambitionnait, en effet, une transparence de la forme, sous laquelle devait se deviner sans cesse une signification secrète. Rarement la peinture a été à ce point détournée de ses fins purement picturales, et rien n'est plus loin du naturel que les tableaux de Runge. Poète à ses heures, auteur de Märchen romantiques, Runge reste écrivain encore, dans son oeuvre de peintre. Les formes des personnages, des objets, des paysages eux-mêmes, y sont toujours doublées de leur répétition ornementale, qui charge le pourtour du tableau, et jusqu'au cadre, de fleurs entrelacées, d'anges, de lignes et de figures abstraites. Il semble que le peintre, par là, veuille insensiblement immatérialiser les visages et les objets réels qui occupent le centre de sa toile. On ne passe pas du monde concret à l'infini par la fuite des horizons comme chez Friedrich, mais par une espèce de réduction de toute masse en ses éléments linéaires. Runge est mort trop jeune pour qu'il soit permis de juger de sa réussite; l'œuvre qu'il a laissée est intéressante par ses intentions, malgré ses faiblesses. Et, si, avec sa volonté de ramener toute chose à des éléments spirituels, elle semble défier la matière même de l'art pictural, elle permet du moins de saisir, par comparaison, les ambitions de Brentano. »

Albert Béguin