L’ART ROMANTIQUE ALLEMAND

Cercle « Boehme-Novalis »

Les conférences de Greifswald

 

 3 juillet 2005

 

 

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Brève notice sur les Nazaréens

 

 

 

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Dans ce que nous aurons à dire de l’art romantique allemand, il ne sera pas question d’histoire de l’art, pour laquelle il existe des spécialistes, mais seulement de noter quelques faits typiques qui se rapportent à l’art romantique allemand. Il n’est pas impossible que ce que nous appelons romantique ne le soit que d’un certain point de vue qui n’offre qu’un rapport assez lointain avec ce courant littéraire, artistique, qui porte lui aussi le nom de romantisme. Si nous parlons de la peinture de paysage et que nous avons en tête tel ou tel tableau de Caspar David Friedrich, nous serons sans doute décontenancés en entendant cette réflexion de Ludwig Tieck : « Le paysage doit provoquer en nous une rêverie méditative, une sensation de bien-être, ou bien encore une impression de joie qui provient de l’imitation de la réalité ; et ses états se prolongent d’eux-mêmes dans un songe gracieux et une douce nostalgie ». Le romantisme dont nous parlons aujourd’hui, ce n’est pas cela.

En revanche, si nous lisons de Robert Minder, toujours à propos de Ludwig Tieck, que « les lieder d’Octavianus sont la traduction poétique, à la fois de certaines idées de Novalis, et de certains textes de Jakob Boehme, et plus encore des curieux tableaux que ces textes avaient inspirés à Runge », alors nous approchons de ce qu’il nous faut entendre par romantisme.

Dans notre appréciation de l’art romantique allemand, nous nous en tiendrons par conséquent à cette affirmation de Novalis selon laquelle « une œuvre d’art est un élément spirituel, un élément de l’esprit » (Grand répertoire général, 64).

Déjà, il faut nous retenir que ce qui distingue fondamentalement l’art romantique allemand, c’est la piété intense de ses représentants, qu’il s’agisse des Nazaréens, de Friedrich ou de Runge, pour s’en tenir à ces deux noms, ainsi que « cette atmosphère et cette ardeur religieuse, dira Tieck, qui depuis quelque temps vivifient de nouveau notre monde allemand ». On ne peut comprendre l’art romantique allemand qui s’inscrit en rupture avec un monde qui nous est familier, qu’on appelle les Lumières, sans prendre en compte cette dimension – Novalis était un esprit profondément religieux, comme en témoignent ses Cantiques spirituels. Peu importe d’ailleurs que les uns aient été ou soient devenus catholiques, comme  Peter von Cornelius ou Friedrich Overbeck et que d’autres protestants, comme Friedrich ou Runge. Ce qui compte ici, est cette ferveur religieuse qui évoque d’ailleurs bien plus une religion à venir, un christianisme spirituel, qu’une religion installée dans ses certitudes.    

 

Dresde

 

         La ville de Dresde est typique de ce romantisme dont nous parlons. Il est possible d’évoquer, par exemple, l’année 1798, lorsque Friedrich s’y installe, et que Novalis s’y rend pour la première fois (25-26 août)pour visiter cette galerie de peintures des Maîtres Anciens que nous connaissons, ou encore l’année 1834 lorsque David d’Angers y séjourna plusieurs mois, sculpta le buste de Tieck et rencontra Friedrich vieillissant, dont il laissera un émouvant hommage.

 

 

R. Vogel von Vogelstein,

David d’Angers sculptant le buste de Tieck à Dresde en 1834

 

         Dresde reste ainsi le centre de ce romantisme spirituel auquel nous faisons référence, ce que ne sera pas Berlin, ni même Iéna, bien que l’on parle d’un premier romantisme, le « romantisme d’Iéna ».Il n’est pas exagéré de dire que cette ville d’art et d’histoire et qui deviendra ville martyre était prédestinée à recueillir ce romantisme, mieux que Berlin dont la vocation sera de réunir les représentants du « second romantisme » et Rome, les Nazaréens.

 

Allemagne et Italie

 

         Même si les deux peintres qui nous intéressent plus particulièrement n’ont jamais fait le voyage d’Italie, - de même que la vie de Novalis se partage entre la Saxe et la Thuringe – l’art romantique allemand est marqué du sceau de la rencontre de l’Allemagne et de l’Italie – on se rappelle les fameux carnets de voyages de Goethe en Italie.

         « Allemagne et Italie » constitue un fait typique de l’art romantique allemand.

         Déjà Wackenroder, l’ami de Tieck, mort prématurément en 1798, notait dans ses Fantaisies sur l’art :

« Ce n’est pas seulement sous le ciel italien, sous des coupoles majestueuses et des colonnes corinthiennes que grandit l’art véritable ; on le trouve aussi parmi les voûtes ogivales, les édifices à fioritures et les clochers gothiques ».

On sait que les deux maîtres de la peinture romantique allemande seront Raphaël et Dürer, spécialement pour les Nazaréens, qui seront les promoteurs d’un art « néo-allemand, religieux et patriotique » (Tieck).

 De la même manière « Allemagne et Italie » en formeront les deux pôles symboliques, comme on peut le constater avec le célèbre tableau de Friedrich Overbeck : Italia. und Germania.

 

 

        

Raphaël

 

         C’est peu dire que les peintres romantiques allemands, mais aussi les poètes et les écrivains, ont été attirés par le mystère de Raphaël dont il était possible, comme aujourd’hui, à Dresde même, de voir la fameuse Madone Sixtine.

         Il suffit de rappeler le Chant XV des Cantiques spirituels de Novalis :

           « En mille tableaux je Te vois, / Marie, adorablement peinte ; / Mais nul ne Te saurait montrer / Telle que T'entrevoit mon âme.

           Je sais seulement que le bruit du monde / S'est évanoui, depuis, comme un songe, / Et que l'immensité d'un ciel tout de douceur / Ineffable à jamais se repose en mon cœur »

         et surtout les pages que Wackenroder lui consacre dans ses Fantaisies sur l’art :

« Raphaël, qui brille de l'éclat du soleil parmi tous les peintres, nous a laissé, dans une lettre au comte de Castiglione, les paroles suivantes, qui me sont plus précieuses que l'or et que je n’ai jamais pu lire sans un sentiment secret et confus de respect et d’adoration. Il dit :

         « Comme on voit si peu de belles formes féminines, je me tiens en esprit à une certaine image qui naît dans mon âme. »

Raphaël reste le modèle de cette génération de peintres qu’on appellera romantiques, et dont les meilleurs – Friedrich, Runge et les Nazaréens – tenteront d’appliquer la méthode (au sens où l’on parle d’une « méthode » pour la réalisation spirituelle) : l’inspiration vient de l’intérieur, du « fond de l’âme », pourrait-on dire.

         « Raphaël était-il un peintre des âmes ? Qu’est-ce que cela veut dire ? » se demandait Novalis (Grand répertoire général, 3). De son côté Wackenroder affirmera :

         « Nous ne saisissons pas les voies du ciel. Mais admirons encore la diversité des esprits sublimes que le ciel a mis au monde pour le service de l’art.

         En toute innocence et candeur, un Raphaël a produit les œuvres les plus chargées d’esprit, où nous voyons le ciel entier… ».

        

L’ambition de la peinture nouvelle, la peinture romantique allemande, en rupture avec l’art baroque (celui qui est si brillamment représenté à la Voûte verte) et le Classicisme (tel que nous l’avons admiré à Weimar) aura été, en revendiquant « innocence et candeur », comme source d’inspiration, de réaliser des œuvres « chargées d’esprit », qui donneraient à voir « le ciel entier ».

 

La nature

        

         Il faut bien comprendre que la Nature dont il question dans la peinture d’un Caspar David Friedrich, par exemple, n’a pas de rapport avec les effusions lyriques des poètes romantiques français. Elle s’enracine dans une philosophie de la Nature dont on trouvera l’expression la plus pure dans Les disciples à Saïs de Novalis.

 

Comme l’écrit Marcel Brion, « on n’oubliera pas que les principes majeurs de cette toute neuve philosophie de la nature – neuve si l’on ne tient pas compte des racines qu’elle nourrit des expériences de Paracelse et des hautes intuitions de Jakob Boehme (pour ne pas remonter jusqu’aux Présocratiques) – sont en coïncidence étroite avec les intuitions des poètes : l’Astralis de Novalis, et les grands thèmes des peintres, de Caspar David Friedrich essentiellement, mais aussi d’Oehme, de Blechen (d’avant l’Italie) où se conjuguent la connaissance scientifique, la contemplation source de d’émotion, et cette sorte d’état visionnaire qui appréhende l’essence intime des choses au-delà du vêtement des apparences ».

 

Novalis affirmait : « La nature possède un instinct artistique ». C’est ce qu’il nous faut retenir de cette relation si particulière que les peintres romantiques allemands ont entretenue avec la Nature. On retiendra également ce qu’en dit Wackenroder, dans ses Fantaisies dur l'Art : « L’un de ses langages, que le Très-Haut lui-même continue de parler d’éternité en éternité, la nature perpétuellement vivante et infinie, nous entraîne et nous fait monter, à travers les vastes espaces des airs, directement vers la divinité. Mais l’art, qui, par d’ingénieuses combinaisons de terre coloriée et de quelque humidité, imite la figure humaine dans un espace étroitement délimité en s’efforçant vers la perfection interne (une manière de création qu’il a été donné aux mortels de produire), - l’art nous ouvre les trésors du cœur humain, dirige notre regard vers le fond de nous-mêmes et nous montre l’invisible, je veux dire, tout ce qui est noble, grand et divin, sous forme humaine ».

 

         L’art romantique allemand suppose cette démarche d’intériorité dont parle Wackenroder. Sans doute un petit nombre d’artistes seulement accompliront cette démarche jusqu’à son terme : tels Friedrich et Runge. Mais c’est qu’« un petit nombre seulement / Sait le mystère de l'amour / Éprouve l'insatisfaction / Et la soif éternelle » (Cantiques spirituels, VI), comme l’écrit Novalis, après notre cher Jacob Boehme.