PATRICK RINGGENBERG

L'ART CHRETIEN DE L'IMAGE. La ressemblance avec Dieu

L'Art chrétien de l'image. La ressemblance de Dieu, Les Deux Océans, 2005

 

Du même auteur

Guide culturel de l'Iran, Téhéran, 2006 [Nouveau]

L'union du Ciel et de la terre, La peinture de paysage en Chine et au Japon, Les Deux Océans, 2004

La peinture persane, Les Deux Océans, 2006

*

Retour à Patrick Ringgenberg

 

Sainte-Sophie, Christ Deisis

*

"Qui peint une figure, si elle n'est en lui, ne peut la former" Dante

L'art chrétien de l'image n'est pas un ouvrage de plus consacré à l'art chrétien, il procède d'une approche originale, d'un "chemin d'interprétation" ambitieux qui consiste à "interpréter l'art en fonction de son Esprit". On ne peut que souscrire à une telle approche - qui est également celle que l'A. a adoptée pour La Peinture persane ou la vision paradisiaque. Elle seulement permet de comprendre, en quelque sorte de l'intérieur, maintenant que nous n'en avons plus qu'une vision extérieure, ce qui constitue l'art sacré. L'ouvrage traite de l'icône qui forme "la genèse de l'art chrétien" et de la mosaïque dont la première fonction est d'être "une image du cosmos", ceci pour l'univers byzantin et orthodoxe, ainsi que du vitrail, qui est une "terre céleste", et qui concerne les mondes roman et gothique. Mais c'est avant tout d'un  passionnant voyage à l'origine de l'art sacré qu'il est question, qui peut s'effectuer, si on se laisse guider par l'Esprit, au sein des théophanies et dans la Lumière.

*

[ Extrait ]

Nous existons parce que Dieu se met en Image par son Intellection, et parce que cette Intellection est simultanément une connaissance de Dieu et une conception du cosmos. De même qu'un artiste ne peut créer sans d'abord penser à ce qu'il veut faire, il faut que Dieu ait une vision de sa Vérité pour pouvoir créer un univers qui en soit le reflet. Le Verbe est la prise de conscience éternelle de Dieu ; et la création, avec ses anges, ses créatures et ses univers, est le reflet de l'intelligence que Dieu a de son mystère.

D'où cette vérité, que l'on retrouve partout, de l'Occident à l'Orient du Christianisme : le créé est le symbole de l'Incréé, l'univers est un miroir du Verbe. Sur terre, en nous, tout peut être image symbolique de l'Invisible, car Dieu parle de Lui dans toutes les réalités qu'il crée, des plus matérielles aux plus spirituelles. Selon Denys le pseudo-Aréopagite, un fondateur de la théologie mystique, « l'œuvre cosmique de tout l'univers visible rend manifeste les mystères invisibles de Dieu ». Saint Bonaventure (1217-1274), un franciscain, écrit de même : le monde sensible est « l'expression des perfections invisibles de Dieu », car « Dieu est l'origine, l'archétype et la fin de chaque créature » et « tout effet est le signe de sa cause, toute copie le signe de son modèle et tout moyen le signe de la fin où il tend ».

Les images telles que nous les concevons n'appartiennent qu'à l'âme humaine, à la pensée et aux rêves, et à notre environnement concret. Mais, en un sens très large, l'image n'est pas seulement la peinture accrochée au mur, le paysage sous nos yeux ou le souvenir que l'on a en tête. Elle est une relation de vision et un symbole, qui peuvent être tangibles ou invisibles, périssables ou immortels, terrestres ou surnaturels. Un ange, par exemple, est invisible, même s'il peut nous apparaître sous forme humaine dans un songe ou à l'état de veille. Pourtant, les anges sont aussi des images de Dieu, autrement dit des symboles et des consciences de l'Invisible.

De fait, plus nous nous rapprochons de l'Origine des images, plus celles-ci deviennent immatérielles et pures, et plus elles ressemblent à Dieu. A l'inverse, plus nous nous éloignons du Verbe, plus les réalités sont conditionnées, précaires et évanescentes, et plus elles sont dissemblables de la Divinité. Un ange est une icône de Dieu, illimitée et immortelle, mais une fleur ou un temple sont des images imparfaites : il sont comme le dernier échelon d'une échelle de ressemblance. Un ange n'est pas Dieu, mais sa nature subtile est plus proche du divin que ne l'est notre corps actuel.

Avec sa hiérarchie d'univers et de créatures, la création est images sur images, visions sur visions. Chaque degré de la création est le symbole d'un degré supérieur, et cela jusqu'au Verbe qui est le Sens de tous les symboles et le premier Symbole de Dieu. Le Verbe est l'Image créatrice des anges et des réalités spirituelles, et ceux-ci sont l'image fondatrice des âmes et des réalités subtiles, lesquelles sont l'image formatrice des phénomènes sensibles. Il y a une gradation de l'Imagination divine, une hiérarchie et un emboîtement des degrés d'images et de symboles. Le soleil que nous voyons est l'image d'une image d'une image d'une image ... qui remonte finalement à l'Image incréée de toute création, au Fils qui a voulu donner dans le soleil un indice de Sa lumière et de la splendeur qu'il voit dans le Père.

Si nous remontons l'échelle des symboles, depuis notre poussière jusqu'à son Créateur, nous arrivons finalement au Père, qui est la fin de toute image. Le Fils est son Icône, mais le Père est aniconique : Il n'est l'image de rien. Il est le terminus métaphysique des symboles, le Jugement dernier des visions. Le Père est la Non-Icône, la Source qui inspire les images divines de sa Conscience, mais qui transcende le cosmos façonné par le Verbe.

[ Extrait ]

Le corps du Christ, qu'il faut interpréter symboliquement, n'est pas son corps terrestre. Il est l'infinité divine constitutive de tous les chrétiens. Ce corps surnaturel est comme une sphère, dont le centre est partout et la circonférence nulle part. A l'intérieur, chaque saint est l'un des centres de cette sphère, et par cette centralité chacun est uni à la sphère tout entière et à tous ses centres. Chaque croyant embrasse à la fois tout ce qu'il est, tout ce qu'est Dieu pour lui, et la totalité divine des créatures. Le corps du Christ est « l'espace » qui réunit chaque chrétien en l'unissant à la divinité de tous les chrétiens. Tous les hommes y sont transmutés dans leurs multiplicités et différenciés dans l'unité du Verbe. Le Paradis ne confond pas les êtres en dissolvant leur personnalité : aucun ne devient un autre que son destin contemplatif. Tous sont solidarisés par l'Essence. tout en s'isolant par leur relation propre à l'Un.

Le corps du Christ est aussi la Jérusalem céleste, la cité qui ceinture les hommes ayant accédé à Dieu. Or cette ville est la société modèle, irréalisable sur terre et inaccessible avant la mort. C'est vers elle que soupire la cathédrale gothique, et c'est aussi son image que réalise, symboliquement, la mosaïque, à travers l'unité différenciée de ses tesselles. Les symboles du corps du Christ, de la Vierge, de la Jérusalem sont complémentaires : il disent le même paradis de croyants diversement uns, et différemment unis les uns aux autres.

La mosaïque synthétise tous ces sens. Son unité complexe traduit l'unité édénique de l'âme, la diversité unifiée de l'Esprit, la multiplicité iconique du monde. Son esthétique fait fructifier l'unité de la beauté et de l'amour, auquel le multiple est redevable de son intelligibilité et de son existence. Elle témoigne de l'état infini de l'homme : celui que Dieu lui a donné intégralement, et dont il peut se souvenir à toute heure et au sein de toutes les images de sa vie.