JEAN RASPAIL

En canot sur les chemins d'eau du roi

Voir En canots sur les traces de Marquette, de Philippe Andrieu, Julliard, 1954 

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"A genoux dans mon canot d'écorce", par Bruno de Cessole

 

« C'était au lendemain de la guerre, lorsqu'une certaine jeunesse, avide d'horizons lointains, réveillait l'esprit d'aventure et redonnait du souffle au vénérable Club des explorateurs. Comme nombre de jeunes gens de son âge, Jean Raspail avait vibré au film de Jacques Becker, Rendez- Vous de juillet, qui évoquait la destinée d'un groupe de noctambules germanopratins trouvant en Afrique un sens à l'existence.  Pour sa part, ce n'était pas le continent noir qui le faisait rêver, mais l'Amérique des pionniers, celle de la Compagnie de la baie d'Hudson, des «grands canots de traite servis par vingt engagés s'élançant vers les territoires vierges du nord, des voyages de surhomme, des distances vertigineuses, avec quelques fortins de loin en loin et, sur une tour en rondins cernée de pieux, le drapeau de là Compagnie flottant au vent »...

            Par l'entremise providentielle d'un prêtre canadien, directeur diocésain des Mouvements catholiques de jeunesse, ce rêve devint réalité. Au jeune chef scout de 23 ans et à son équipe l'abbé Teissier offrait deux canots, fabriqués à l'ancienne par un vieux charpentier de marine québécois, et un contrat pour des reportages. Ainsi, sous le patronage du scoutisme catholique et avec la bénédiction officielle du président Auriol, binôme pour le moins paradoxal, Jean Raspail et ses équipiers, Philippe Andrieu, Jacques Boucharlat et Yves Kerbendeau [sic, pour Korbendeau], se retrouvèrent par une froide journée de mai 1949 sur le quai du port de Trois-Rivières, prêts à renouveler l'épopée des "engagés du grand portage" sur "les chemins d'eau du roi". Le but de l'expédition? Rallier en canot, by fair means, c'est-à-dire en usant seulement des moyens de leurs lointains devanciers, à force d'aviron et de portage, quand les rapides interdisaient la navigation, La Nouvelle-Orléans et le golfe du Mexique.  Enjeu ? Pas seulement un exploit sportif, mais une aventure spirituelle, hommage rendu aux "robes noires" (les missionnaires jésuites), aux trappeurs, aux coureurs des bois, aux marchands, aux officiers et aux soldats des compagnies franches de la Marine qui, à force de volonté et de courage, taillèrent à la France un immense empire que la mère patrie, ingrate, devait brader aux Anglais et aux Américains, entre le désastreux traité de Paris de 1763 et la vente de la Louisiane en 1803. 

            Deux cents jours plus tard, le 10 décembre 1949, au terme de 4 565 kilomètres sur les fleuves et lac du Canada et des États-unis - le Saint-Laurent, l'Outaouais, la rivière des Français, le lac Huron, le lac Michigan, la Fox River, le Wisconsin, le Mississippi - de quelques millions de coups d'aviron, l'équipe Marquette atteignait le wharf du port de la Nouvelle-Orléans, accueillie, en liesse, par les officiels et une foule d'Américains, pour qui les racines françaises de l'Amérique ne signifiaient plus rien, mais qui tenaient à saluer l'équipage des quatre crazy Frenchmen.»

 

Valeurs actuelles, 18 novembre 2005