LOUIS MASSIGNON ET LA PALESTINE

CONCLUSION

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SOMMAIRE

Retour à Louis Massignon et la Palestine - Historique - Documents

Après 1949, Louis Massignon va multiplier les fronts de son combat pour la Justice, ne tolérant, en Palestine, aucune concession à ce qu’il considère comme un devoir – qu’il rappelle d’ailleurs à Martin Buber (1878-1965), dans une lettre de 1951, qu’il termine par ces mots : « Priant avec vous Dieu, le Dieu de toute justice, pour qu’Israël, à peine délivré des persécutions, cesse d’être (avec la France, hélas !) le seul pays officiellement colonialiste à l’O.N.U. », ou encore dans cette lettre du 5 juin 1953 : « Nous voudrions qu’une autorité d’Israël joigne sa voix à la nôtre ici et depuis Judah Magnes, il n’y a que vous qui mainteniez intact le sens du sacré en Israël. Nous attacherions un grand prix à ce que votre voix s’élève à Paris, y couvre celles des flatteurs colonialistes de la désécration technique de la Terre Sainte ». Il désapprouvera même les initiatives généreuses, les « Colloques Méditerranées » de son ami Giorgio La Pira, par exemple, qu’il estime s’orienter « dangereusement dans une action méditerranéenne trop pro-israélienne ». Certes, son activité politique, dans les années 50, s’oriente vers les problèmes posés par la décolonisation, à Madagascar, et surtout au Maroc – il proteste contre l’exil de Mohammed IV – et la situation en Algérie – qu’il a tendance à lier avec la question de la Palestine – requiert toute son attention. Il n’en publie pas moins en 1954 deux annexes à l’article « Israël » de son Annuaire du Monde Musulman : le premier sur « L’islam et les lieux saints internationaux palestiniens », où il fait remarquer que « la question diplomatique des lieux saints est un problème perdurable d’équilibre international, qu’aucune autarcie raciste ne peut trancher ». Il ajoute aussi : « L’Islam ne peut, sans renier le prophète, rétrocéder l’Aqcâ à la Chrétienté ou à Israël ». Ces notations qui remontent à presque cinquante ans sont d’une dramatique actualité. La seconde est consacrée aux « Réfugiés arabes de Palestine », où il écrit : « Israël se rend de plus en plus compte de l’erreur qu’il a commise en laissant « pourrir » ce problème des réfugiés ; Magnes le disait : il fallait à tout prix les rapatrier (au Negueb, par ex.), c’est la condition de la vraie paix en Orient ».

Conclusion

 La mort de Louis Massignon, en 1962, n’empêchera pas certains sionistes français d’entretenir les ambiguïtés à son égard. Son nom dérange encore assez en 1972 pour que lors de la parution du Cahier de l’Herne qui lui est consacré, on le présente comme « le promoteur d’une paix indifférencié entre les Arabes et l’Etat israélien ». Il faudra alors l’énergique protestation d’un disciple, Youakim Moubarac, pour rétablir la vérité : « Il n’est pas superflu d’élever ici la protestation la plus indignée contre cette utilisation, pour le compte de ses occupants, d’un défenseur résolu de la Palestine, « jardin d’enfants de l’humanité », dans la réconciliation, sur pied d’égalité, des trois communauté monothéistes qui la reconnaissent comme Terre Sainte » [1]. Dix ans plus tard, toutefois, à l’occasion du centenaire de sa naissance, au Collège de France, les propos se feront plus mesurés. Jean Lacouture évoquera son amitié avec Martin Buber : « Hostile au sionisme, il avait un immense respect pour le judaïsme et son plus grand ami, fut sans doute Martin Buber, témoin comme lui, de l’universelle espérance et du message abrahamique » [2]. Et surtout Mohammed A. Sinaceur n’hésitera pas à rappeler la position intangible de Louis  Massignon à l’égard de la Palestine : « De fait, briser le cercle de la violence, c’est s’opposer à la perversion des problèmes par les intérêts, ne pas oublier qu’accueillir les exilés de l’Exodus n’est pas transformer des hôtes en orphelins de leur demeure, en nouveaux exilés » [3].

          Son message quelque quarante ans après sa mort garde malheureusement toute son actualité. L’exaspération du peuple palestinien est à son comble depuis des années parce qu’il y a longtemps désormais que la colonisation menée par l’Etat d’Israël ne lui ménage plus aucun espoir. Le terrible mouvement de colonisation et d’exaspération que Louis Massignon avait décrit dès 1934 n’a cessé de s’amplifier pour devenir la règle de vie commune en Palestine, tandis que se réalise aussi ce qu’il avait annoncé en 1958, à savoir l’action désespérée de ces « Hommes-Torpilles qui s’anéantissent, en plein terrorisme (c’est une tentation) » [4]. Ainsi le « soldat de Dieu », selon l’expression de Salah Stétié, n’aura-t-il cessé de mener, envers et contre tout, un combat sans espoir pour que vive cette Palestine qu’il aimait, cette Terre sainte en laquelle il voyait un « jardin d’enfants » de l’humanité renaissante et réconciliée », cherchant désespérément à réaliser « une vocation fraternelle de croyants au Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob » (1958), à la manière de cet ami juif, « qui voulait réconcilier Arabes et Juifs en un seul Etat, à égalité », Judah Magnes, dont il évoquera encore la mémoire, une dernière fois, en 1962.

          Lui-même demeurera, à propos de la Palestine, mais non seulement, comme l’exemple d’un homme qui n’a jamais renoncé à sa parole donnée aux Arabes, ni à son vœu de Justice aux dimensions du monde et non plus qu’à la Vérité : « Dis la Vérité, dût-elle te brûler du Feu du Dam » (Harîrî) [5].


[1] Youakim Moubarac, Pentalogie Islamo-chrétienne, tome 1 : L’œuvre de Louis Massignon, Editions du Cénacle Libanais, Beyrouth, 1972, p. 101. Y. Moubarac protestera aussi, à cette occasion, contre la présence d’André Chouraqui : « Il est inadmissible de faire appel, pour honorer la mémoire de Louis Massignon « arabisant-arabisé », à des sionistes déclarés, dont un maire-adjoint de Jérusalem-Israël (sic) »

[2] Jean Lacouture, « Louis Massignon, prophète dans le siècle », in Présence de Louis Massignon, Maisonneuve & Larose, 1983, p.254

[3] Mohamed A. Sinaceur, « Droit d’asile », idem, p. 151

[4] A ceci près que les jeunes Palestiniens qui succombent à cette « tentation » n’appartiennent pas à la Cité des sans-Dieu, comme Louis Massignon l’avait supposé, mais à la Communauté musulmane qui les tient pour des martyrs. Quant au « terrorisme », on le trouve aussi dans le camp israélien (Kach, Goush Emounim).

[5] Cité par Louis Massignon, « A la limite », Parole donnée, op. cit., p.285.