Novalis
est né le 2 mai 1772 au manoir familial d’Oberwiederstedt, une
demeure austère et froide ,
située dans le comté de Mansfeld. Il était le premier fils et le
second enfant – une sœur, Caroline, était née l’année précédente
– du baron de Hardenberg et de sa femme Bernhardine, née Bolzig .
Au
sujet de son enfance, nous disposons de peu d’informations. Les Notes
de Karl von Hardenberg, son frère nous apprennent qu’il fut « un
enfant délicat, sans pour autant connaître de maladie grave jusqu’à
neuf ans ». A l’âge de neuf ans, continue Karl von Hardenberg,
« il contracta une dysenterie, puis à la suite de cette maladie,
une atonie de l’estomac qui ne céda qu’aux stimulants les plus
douloureux et à un traitement long et pénible. – C’est alors que
son esprit sembla tout à coup s’éveiller ».
A
l’âge de 10 ans, pendant une maladie de sa mère (dépression
nerveuse), il fit un séjour à Lucklum, chez son oncle paternel, le
Commandeur Frédéric-Guillaume de Hardenberg. Si l’on mentionne cet
oncle, qui faisait partie de l’Ordre Teutonique, c’est pour le soin
qu’il prit de son éducation de Novalis. C’est aussi pour le
contraste qu’il faisait avec son frère, le père de Novalis, qui était
lui disciple de Zinzendorf – et ceci nous enseigne sur l’atmosphère
qui a entouré l’enfance de Novalis : « Lui nous
exhortait à l’assiduité et à la frugalité, et manifestait sa joie
de nous voir suivre notre cœur sans prêter attention à l’opinion du
monde. Il nous vantait le bonheur d’une situation domestique discrète,
et nous demanda de ne jamais agir ni choisir en fonction de l’intérêt
et de l’ambition » .
Deux
ans plus tard, en 1784, toute la famille vient habiter à Weissenfels,
le père de Novalis étant nommé directeur des Salines de Weissenfels.
Novalis suivra ses études secondaires au Gymnasium d’Eisleben :
« Il était très assidu à l’étude, raconte son frère Karl,
et dès l’âge de onze ans maniait le latin et le grec avec une
certaine habileté (…) – Dans ses moments de repos, ses lectures
favorites étaient des poèmes et des contes, qu’il aimait aussi, pour
ce qui était des seconds, raconter à ses frères et sœurs. »
Le
23 octobre 1790, Novalis s’inscrit à l’université de Iéna pour y
suivre des études de droit, études qu’il délaisse rapidement pour
la philosophie (Schiller est l’un de ses professeurs) et la poésie :
« A Iéna, j’entrai en contact étroit avec des savants éminents,
et l’amour des Muses s’accrut d’autant plus que la mode démocratique
du moment me détournait de l’ancienne foi aristocratique. La
philosophie commença à m’intéresser, mais j’étais beaucoup trop
superficiel pour dépasser une certaine habileté à manier le langage
philosophique » .
Le
24 octobre 1791, c’est donc à l’Université de Leipzig qu’il
s’inscrit pour une nouvelle année. Voici ce qu’il rapporte de ce séjour :
« Je gagnai Leipzig et y entrai dans des société charmantes
qui me ramenèrent à nouveau aux espérances de jadis et ranimèrent ma
vanité. Mon cœur s’éveilla là pour la première fois et une vive
passion pour une jeune fille [] (…) me fit tout à coup
embrasser une voie intermédiaire, à savoir l’état militaire. (…)
Ma bien-aimée s’éloigna de moi après que j’eusse déjà fait des
démarches décisives pour changer ma situation, et mes parents employèrent
tous les moyens pour me faire revenir sur ma décision. ». A
Leipzig aussi, il va se lier d’amitié avec Frédéric Schlegel. Malgré
sa longueur, il faut citer cette lettre de Schlegel, car elle apporte un
précieux témoignage sur Novalis, à peine sorti de l’adolescence –
il n’a pas encore 20 ans !
"La destinée a déposé
entre mes mains un jeune homme qui peut devenir tout. Il me plaisait
plus que beaucoup et je fus plus que prévenant ; aussi n'a-t-il point
tardé à m'ouvrir tout grand le sanctuaire de son cœur. J'y ai élu
domicile et c'est le lieu de mes méditations. - C'est un homme très
jeune encore, d'une taille élancée et de belle allure, visage aux
traits fins avec des yeux noirs d'une expression magnifique quand il
parle avec feu de quelque chose de beau - avec un feu inexprimable -
parlant trois fois plus vite, trois fois plus que nous autres,
l'intelligence la plus vive et la compréhension la plus ouverte. Il
s'est acquis par les études de philosophie une facilité luxuriante à
penser philosophiquement en beauté - ce n'est pas à la vérité
qu'il vise, mais à la beauté - ses écrivains préférés
sont Platon et Hemsterhuys; il m'a développé son opinion avec intensité
et avec feu l'un des tout premiers soirs; qu'il n'y a dans le monde
point de Mal, absolument rien de mauvais, et que tout de nouveau
s'approche de l'Age d'Or. Jamais je n'ai vu ainsi le pur éclat de la
jeunesse. Sa sensibilité a une manière de chasteté dont le fond est
dans l'âme et non dans l'inexpérience. Car il est déjà beaucoup
sorti (il devient aussitôt intime avec chacun), a passé une année à
Iéna où il a bien connu les philosophes et beaux esprits, et Schiller
tout particulièrement. Ce qui n'empêche qu'il n'ait été un vrai étudiant
aussi, à Iéna, et qu'il s'y soit souvent battu en duel, à ce que j'ai
entendu dire. Il est très gai, encore très malléable, gardant
l'empreinte de toute forme, encore actuellement, qu'on lui impose »
.
Comme
à Iéna, la vie estudiantine de Leipzig aura le même effet négatif
sur ses études de droit, et c’est pour les reprendre dans de
meilleures conditions que le 27 mai 1792 il s’inscrit à l’Université
de Wittenberg : « Mon infortune éveilla mon ambition, et ma chance me
procura d’excellents maîtres – de sorte qu’en cinq trimestres,
j’avais rattrapé mon retard. » Il dira aussi :
« Je dois à cette période de ma vie la faculté de
m’occuper sans discontinuer de choses désagréables et pénibles ».
Il passera ses examens avec succès le 14 juin 1794.
Le
25 octobre de la même année, il se rend à Tennstedt, en stage chez le
bailli Just, où il s’adonne « à l’étude du droit et de la
constitution de la Saxe », tandis qu’il consacre ses heures de
loisir à cde qu’il nomme ses « vieilles idées favorites »
et à « un laborieux examen de la philosophie de Fichte ».
Novalis s’est rapidement lié d’amitié avec son instructeur, qui rédigera
une brève biographie du poète, en 1805. Il y écrit : « En
compagnie de ses amis ou dans des sociétés nombreuses et mélangées,
il restait souvent silencieux durant des heures, observant cependant
attentivement ce qui se passait autour de lui ; mais il était d'autant
plus disert dans un cercle familier. Pouvoir dire tout ce qu'il avait à
dire était chez lui un besoin. On pouvait l'écouter des soirées entières,
et on ne se lassait pas de l'entendre ; car il savait donner de l'intérêt
aux sujets les plus communs. Et comme ses amis pouvaient voir la
richesse de son imagination, l'acuité de sa raison, la chaleur intime
de sa cordialité! Il supportait volontiers la contradiction et ne s'en
irritait jamais. Mais une fois qu'il avait avancé une thèse
paradoxale, il ne l'abandonnait pas et faisait même le sophiste à
l'occasion. Sa silhouette était longue, bien bâtie, maigre ; son
regard portait la marque de l'esprit, sa bouche celle de l'amabilité.
Son extérieur était simple et sans artifice, toute forme d'apprêt lui
paraissait contre-nature. - Comme il le disait lui-même, il aimait
vivre au pays des sens, pas au pays de la sensualité ; car son sens intérieur
commandait à son aspect extérieur. Et c'est ainsi qu'il se créa dans
le monde visible un monde invisible. C'était là le pays dont il avait
la nostalgie. C'est là qu'il est retourné, ayant atteint tôt son achèvement »
.
Quelques
semaines après son arrivée à Tennstedt, le 17 novembre 1794, au cours
d’une tournée d’inspection, il rencontre au manoir de Grüningen,
une toute jeune fille de douze ans et demi, Sophie von Kühn. Cette
rencontre décide de sa vocation amoureuse, elle est vraiment le point
de départ de tout son développement spirituel. Pour l’heure, il
s’agit d’une passion que la mort viendra interrompre prématurément,
avec ses joies, leurs fiançailles secrètes, le 15 mars 1795,
l’activité professionnelle et déjà les premières alarmes au sujet
de la santé de Sophie (novembre 1795). Pourtant lorsque son père donne
son consentement à ses fiançailles avec Sophie au début de l’été
1796, les apparences sont encore du côté de la vie. Il le dit à
Schlegel, dans une lettre du 8 juillet : « En guise de préliminaire,
sache que j’ai été heureux dans l’ensemble, et que je suis content
de la manière dont j’utilise mon temps. Mon employeur est devenu un
ami. Il m’a formé au négoce. Depuis février, je suis employé aux
Salines de Weissenfels, m’entend bien avec chacun, jouis d’une
certaine liberté, dispose du loisir suffisant pour faire avancer mes
affaires personnelles, et me contente de tout, si ce n’est encore, ici
ou là, de moi-même. (…) Mon père est content de mon sérieux et je
ne peux même pas me plaindre de ce que mes autres activités
m’ennuient. En chaque chose, je sens toujours plus les membres
sublimes d’un tout merveilleux dans lequel je dois grandir, jusqu’à
ce qu’il emplisse mon moi ; et ne faut-il pas que j’accepte de
plein gré toutes les souffrances puisque j’aime et que j’aime
au-delà de la forme étendue dans l’espace et que j’aime
plus longtemps que la vibration de l’arc de la vie ne le permet ? »
Après une opération du foie,
le 5 juillet 1796, Sophie reste convalescente de longs mois, - elle
rentre à Grüningen en décembre pour y mourir, le 19 mars 1797. Elle
venait tout juste d’avoir 15 ans. Bien sûr, il faudra s’attarder
longuement sur les événements d’ordre spirituel qui vont se succéder
pour Novalis – dont témoignent son Journal intime – mais déjà,
dans une lettre au bailli Just, du 28 mars, il écrit : « Je
me réjouissais des tendres scènes qui m’attendaient. Voilà qui est
assurément difficile à surmonter. Mais la vocation du monde invisible,
cette approche aimante de Dieu et du sublime que connaît l’humanité
ne devrait-elle pas me dédommager ? » et à Schlegel, le
13 avril : « Je vois très clairement quel hasard céleste
fut pour moi sa mort à elle – la clé de tout – un merveilleux coup
du destin » - « Mon amour est devenu une flamme qui
brûle progressivement tout ce qu’il y a de terrestre ».
La
disparition de Sophie sera suivie moins d’un mois plus tard de celle
d’un des frères préférés de Novalis, Erasme, atteint de phtisie :
« La mort d’Erasme a eu sur moi un effet plus positif que négatif.
Elle a augmenté mes forces plus qu’elles ne les a diminuées. Il a
incroyablement souffert. Déjà la mort de Sophie les avait bouleversés
et maintenant, si peu de temps après, et pour la première fois, la
mort d’un enfant et d‘un frère. Tu peux imaginer ce qu’il en est
de moi dans ce pays, cet antique témoin de ma félicité et de la
sienne. J’ai pourtant une joie secrète à être aussi près de sa
tombe. Elle m’attire toujours plus près d’elle, et parfois, cela me
cause un bonheur indicible » .
Durant
l’automne 1797, Novalis prend la décision d’entrer à l’Académie
de Mines de Freiberg : « Il se consacra dès lors,
raconte le bailli Just, presque exclusivement à la physique, à la
chimie, aux mathématiques supérieures, à la géologie, à la métallurgie,
à la technologie et autres disciplines enseignées à la Bergakademie.
Son principal mentor fut Werner, qu’il appelait de préférence son maître. »
Dès le mois de janvier, alors qu’il fréquente le cercle de la
famille Charpentier, il s’éprend de la fille de son hôte –
professeur à l’Académie des Mines – Julie von Charpentier (née en
1775). Certains de ses amis – dont Tieck – ont passé volontairement
sous silence cette liaison qui leur paraissait une sorte d’infidélité
faite à Sophie. D’autres en ont compris les motifs, tel le bailli
Just : « L'amour qu'il eut pour elle ne fut pas l'amour
passionné qu'il avait été pour Sophie ; il était beaucoup plus apaisé,
mais pour autant non moins chaleureux et destiné à durer toute une
vie. Sa fréquentation lui assurait en effet de quoi nourrir son esprit
et son cœur ». Il convient de retenir ceux que Novalis en a
donnés : « J’avais encore de fréquents accès
d’affliction et d’anxiété profondes qui me rendaient infiniment désirables
toute compassion cordiale, toute société douce et intime. »
Et il y a aussi la personnalité même de Julie : « Vous
connaissez Julie Charpentier, écrit-il en 1800 à Julius Wilhem von
Oppel, et vous ne serez certainement pas étonné que, surtout dans
mon état d’esprit, la nature douce et modeste de cette aimable jeune
fille n’ait pu que bientôt m’attirer et m’inspirer confiance en
sa personne. » En fait, il n’est pas de raison de mettre en
balance la passion amoureuse de Novalis pour la très jeune Sophie qui déterminera
sa vocation à l’amour et le sentiment qu’il éprouve pour Julie.
Cela d’autant moins que la mort de Sophie l’a projeté dans ce Monde
de l’âme, où il ne cessera plus de vivre désormais, et que Julie
sera une autre inspiratrice – il ne faut pas oublier que l’œuvre poétique
de Novalis s’est écrite après la mort de Sophie – et
surtout une autre « médiatrice », vers l’Orient de l’âme
du poète. On ne peut douter que c’est elle et non Sophie qui apparaît
sous les traits de Mathilde dans Henri d’Ofterdingen
.
Les
mois passés à Freiberg, depuis le 1er décembre 1797, sont
riches aussi de voyages : à Weimar où il rencontre Goethe et à
Schiller, le 29 mars, à Dresde, à Teplitz (Bohême) pour une cure,
pendant l’été, à Dresde à nouveau, les
25-26 août 1798, en compagnie de Schlegel, de Schelling, de Gries, où
il visitera la fameuse galerie de tableaux du musée . Il fait la connaissance
de Jean-Paul (Richter), en octobre. C’est durant son séjour à
Freiberg que paraissent les premiers écrits de Novalis : Pollens,
dans le premier numéro de l’Athenäum, en avril, puis en
juin-juillet, Fleurs et Foi et amour. Il travaille aux Disciples
à Saïs et entreprend le Brouillon général
à l’automne. Fin décembre 1798, il se fiance avec Julie :
« La terre semble vouloir me garder encore longtemps, écrit-il
à Schlegel, le 20 janvier 1799. La relation dont je t’ai parlé
est devenue plus profonde et prenante. Je me vois aimé comme jamais
jusque là. (…) Il semblerait qu’une vie très intéressante
m’attende – quoiqu’à dire vrai, je préfèrerais être mort. »
A
la mi-mai 1799, ses examens terminés, Novalis rentre à Weissenfels
Le 17 juillet 1799, Novalis rend visite une seconde fois à
Goethe, en compagnie de Tieck (1773-1853), dont il fait la connaissance
à cette occasion. Tieck qui deviendra un ami intime a écrit à son
sujet : « Novalis était grand, élancé et de nobles
proportions. Il portait des cheveux brun clair en boucles tombantes, ce
qui à l’époque n’attirait pas autant l’attention que ce serait
le cas maintenant ; ses yeux bruns étaient clairs et brillants, et
le teint de son visage, en particulier de son front inspiré, presque
diaphane. Il avait la main et le pied un peu trop grands et dépourvus
de finesse dans l’expression. Sa physionomie était toujours gaie et
bienveillante. Aux yeux de celui qui ne distingue les hommes qu’à la
manière dont ils se mettent en avant, ou cherchent à en imposer ou à
se faire remarquer par des convenances affectées, par ce que réclame
la mode, Novalis se perdait dans la foule ; mais au regard plus
exercé, il offrait la manifestation de la beauté. Le contour et
l’expression de son visage étaient très proches de ceux de Jean l’Évangéliste,
tel que nous le voyons sur le grand et splendide panneau d’Albrecht Dürer
conservé à Nuremberg et à Munich » .
Quelques jours plus tard, il déjeune chez Goethe avec les frères
Schlegel et Tieck.
En août de la même année, c’est le
philosophe et naturaliste norvégien
Hendrik
Steffens (1773-1845) qui fera sa connaissance à Freiberg et, de cette
première rencontre, ainsi que de celle de janvier 1800, il nous a laissé
un témoignage d’une rare pertinence – et qu’il convient de
citer longuement : « J’avais beaucoup entendu parler de lui. Et
il était à peine un homme, celui dont je souhaitais si ardemment faire
la connaissance. Je le rencontrai d’abord chez Frédéric Schlegel,
dans les bras de qui il devait décéder quelques années plus tard. Son
extérieur, au premier abord, était assez semblable à celui des dévots
parmi les chrétiens qui se présentent sous une humble apparence. Et
son costume même semblait soutenir cette première impression, car il
était simple au plus haut degré et ne laissait soupçonner en rien sa
noblesse de naissance. Il était élancé et mince, d’une constitution
qui ne marquait que trop sa morbidité. Son visage, je le vois passer
devant moi : teinté, foncé et brun. Ses belles lèvres, qui
parfois souriaient ironiquement, étaient en général fort sérieuses
et montraient la plus grande douceur et la plus grande gentillesse de
caractère. Mais ses yeux surtout étaient frappants, dans la profondeur
desquels brûlait un feu éthéré. Il était tout entier poète et rien
d’autre que poète.
Toute
la vie pour lui n’était qu’un mythe profond ; les apparences,
à ses yeux, étaient mouvantes autant que les paroles, et la réalité
sensorielle et sensuelle – tantôt plus sombre, tantôt plus claire
– se rattachait exclusivement au monde mythique dans lequel il vivait.
On ne pouvait pas l’appeler un mystique, au sens habituel, puisque
ceux-ci cherchent derrière le monde sensible dont ils se sentent
prisonniers, une réalité spirituelle qui en détient le profond secret
et en cache la liberté. Non : pour lui, ce lieu secret était sa
patrie originelle et pure, tout naturellement ; et c’était de là
qu’il jetait son regard sur le monde sensible et ses contingences. Ce
mythe original qui appartenant à son être lui ouvrait la compréhension
des philosophes, de toutes les sciences et de tous les arts, comme aussi
des personnalités spirituelles les plus importantes. A cause de cela,
la merveilleuse grâce de sa langue et sa mélodieuse harmonie
n’avaient rien d’acquis, d’appris, et lui étaient spontanément
naturelles. Et toujours à cause de cela, il se mouvait avec une facilité
non moins égale dans les domaines de la science que dans ceux de la poésie :
les pensées les plus profondes ou les plus abstraites restaient pour
lui absolument apparentées avec le Maerchen le plus merveilleux, et
inversement le Maerchen le plus fantaisiste et le plus chamarré ne
reniait jamais son intention spéculative, quoique de façon occulte » .
L’automne
sera consacré à nouveau à l’amitié et aux voyages : Iéna,
Weimar avec Tieck, Weissenfels, puis de nouveau à Iéna, du 11 au 14
novembre où Novalis, les frères Schlegel, Schelling, Tieck, Ritter se
donnent lecture de leurs œuvres. Novalis lit son essai Chrétienté
ou l’Europe et ses Chants religieux. Le 14 novembre, ils
rendront visite à Goethe. Le lendemain, Novalis est à Weimar avec
Tieck où ils déjeunent avec Jean-Paul.
Le
5 avril, Novalis achève la première partie d’Ofterdingen –
commencé en décembre, à Artern .
Durant l’été, il fait de longs voyages administratifs (salines) et géologiques,
mais travaille aussi à la seconde partie d’Ofterdingen :
« L’antipathie à l’égard de la lumière et de
l’ombre, la nostalgie de l’éther clair, brûlant, transparent, ce
qu’il y a d’impartageable dans l’inconnu, les choses les
meilleures en Sophie, le mélange du romantisme de tous les temps, la
compréhension pétrifiante et pétrifiée, les constellations, le
hasard, l’esprit de la vie, quelques traits seulement, à la manière
d’arabesques – voici comment je vois mon conte à présent »
.
A la fin du mois d’août, une première crise de phtisie
repousse son mariage avec Julie. Le
6 décembre 1800, il est nommé officiellement « bailli surnuméraire
dans le cercle de Thuringe », mais quitte Dresde le mois suivant
en compagnie de son père et de Julie pour Weissenfels.
Où
un enfant dormirait-il plus en sécurité que
dans la chambre de son père?
(23 avril 1800)
Novalis est mort le 25 mars 1801, à l’âge de 29 ans, dans la
maison familiale de Weissenfels. Le témoignage de Friedrich Schlegel
est exemplaire de l’amitié que les hommes lui portaient (le bailli Just, Tieck, Steffens, Schlegel, etc.), il nous enseigne surtout sur le
sens qu’il convient d’accorder à cette mort même, en rapport avec
l’enseignement de sa vie entière : "Je suis rentré hier de Weissenfels, où j'ai vu mourir Hardenberg
avant-hier midi, le 25 (...). Il est certain qu'il n'a eu aucun
pressentiment de sa mort, et il est à vrai dire à peine croyable de
mourir d'une manière si douce et si belle. Pendant tout le temps que je
l'ai vu, il a été d'une sérénité qui passe toute description, et
quoique sa grande faiblesse l'empêchât beaucoup de parler lui-même,
le dernier jour, il prit part à toutes choses de la manière la plus
aimable, et il m'est précieux par dessus tout d'avoir encore pu le
voir."
Rudolf
Steiner dira que « Novalis nous fait trouver le chemin vers toutes
les âmes nostalgiques qui sont en quête de vérité et d'esprit ».
De la même manière, Hendrik Steffens racontera avoir rencontré, après
la mort de Novalis, des gens qui étaient complètement « subjugués »
par lui : « Des hommes voués eux-mêmes à une vie pratique,
des naturalistes empiriques de toutes sortes, qui mettaient plus haut
que tout le secret et le mystère spirituel de l'existence, et qui
pensaient avec foi que ce secret se trouvait enfoui, caché dans ses écrits.
Les pensées religieuses et poétiques de Novalis étaient pour eux
comme des oracles tout gorgés de promesses, et ils trouvaient dans ses
expressions un réconfort tout semblable à celui du pieux chrétien
dans les Saintes Écritures. »
Lettre de F. Schlegel à son frère August, janvier 1792, citée in
Les Romantiques allemands, DDB, 1963, pp. 273-274.
In Novalis et ses contemporains, op. cit.,
p.70. Le bailli Just ajoute ces deux considérations : « La
cordialité était un constituant principal de son caractère (…).
C’est elle qui avant tout conférait leur valeur à son
imagination et à sa raison, et à lui-même son individualité » ;
« Il était si totalement dépourvu de présomption et de prétention
qu’à cet égard aussi il semblait fait pour l’amour et
l’amitié. »
Avec la célèbre Madone Sixtine de Raphaël – qui lui
inspirera plus tard le Chant religieux XIV :
"Souvent en rêve je T'ai vue, ô Toi / Si belle et tellement
intime au cœur! / Dans Tes bras on eût dit que l'Enfant-Dieu /
Prenait compassion de son camarade ; / Mais Toi, levant au ciel ton
saint regard, / Tu T'enfonçais aux splendeurs de la nue. (...) /
S'il n'est qu'un enfant pour voir Ton Visage / Et se confier à Ta
sainte garde, / Alors défais-moi des liens de l'âge / Et
refais de moi Ton petit enfant. / L'amour de l'enfant, sa fidélité
/ M'habitent toujours depuis l'Age d'Or."
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