MONDIALISATION : GLISSEMENT VERS LE VIRTUEL?

SOMMAIRE

Qu'appelle-t-on "monde virtuel"

Religions et mondialisation

Le clone et l'avatar

Mondialisation et post-modernité

Sous le virtuel, la vie

Conclusion

 

 

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Conférence donnée à l'ISTR de Toulouse, le 28 mars 1998

Copyright©1998, Moncelon 

La mondialisation est un phénomène purement économique et en tant que tel il n'intéresse pas a priori les religions, sinon par ses conséquences sociales. Pourtant, cette mondialisation s'inscrit dans un contexte politique, culturel et religieux à l'échelle de la planète qui ne peut laisser indifférentes les religions.

La mondialisation, à bien regarder, est en effet inséparable d'une certaine "globalisation technologique", d'un nouvel ordre politique, à l'échelle mondiale, qu'on nomme d'ailleurs New World Order, d'un phénomène mondial lui aussi que l'on appelle "deuxième religiosité" ou New Age, - pour ne rien dire du néo-spiritualisme. Cette globalité, difficilement dissociable, succède aux religions historiques, à la laïcité, à l’équilibre Est-Ouest, bref à ce qui caractérisait l’époque moderne… On parle désormais de monde post-moderne .

La mondialisation s'accompagne, enfin et surtout, d'un glissement vers le virtuel dont il semble que les religions n'ont pris encore toute la mesure et qui est d'importance dès lors que l'enjeu est rien de moins que de se libérer de "l'esclavage du réel".

 

QU'APPELLE-T-ON "MONDE VIRTUEL"?

La mondialisation entretient des rapports assez complexes avec le virtuel en général. On ne peut clairement démêler si elle en procède ou si elle s'en trouve à l'origine. Il reste qu'on ne peut parler de mondialisation sans évoquer le virtuel. Ce qui implique de distinguer entre monde réel, monde virtuel et réalité virtuelle.

Le monde réel est le monde de la mondialisation de l'économie et de la finance ainsi que de la globalisation technologique.

Le monde virtuel est essentiellement le Réseau des Réseaux, en d'autres termes Internet. Ce n'est ni le monde réel, ni la réalité virtuelle, celle des images de synthèse, mais une extension virtuelle du monde réel.

Enfin, la réalité virtuelle est un espace en 3 dimensions qui opère dans le monde réel comme dans le monde virtuel et qui se caractérise par un nouveau type de communication, de nouvelles interactions, de nouveaux comportements.

Mondialisation et monde réel

En l'espace de quelques années, le commerce et l'industrie sont passées de l'internationalisation à la globalisation, puis à la mondialisation. Ainsi s'exprime Daniel Bernard, PDG de Carrefour : "D'internationale, Carrefour doit devenir une entreprise réellement mondiale".

Autre conséquence de la mondialisation dans le monde réel : la globalisation technologique, avec sa philosophie sous-jacente qui reste celle du "We can, we may" et ses applications qui s'exercent aussi bien dans le réel que dans le virtuel.

Enfin, la mondialisation implique une nouvelle répartition des forces et des enjeux politiques à l'intérieur des pays : "En redistribuant les cartes de croissance, la mondialisation redessine aussi la carte des inégalités" - ainsi qu'à l'échelle mondiale : "Ce qu'on appelle actuellement la "mondialisation" n'est en réalité qu'une guerre économique radicale imposée à toutes les nations".

Mondialisation et monde virtuel

Le monde virtuel de l'Internet est un autre monde réel, et c'est pourquoi il entretient avec le monde de la réalité virtuelle et le monde réel des relations ambiguës, en d'autres termes ses connections avec le monde "non branché", monde réel ou réalité virtuelle, sont subtiles. Dès sa création le Web est la mondialisation achevée…

Trois hypothèses sont envisageables pour les années à venir : la planète entière a accès au Web, la toile s'étend sur le monde ; les retards en matière d'accès s'accumulant pour un certains nombre de pays, le Web ne concerne plus que les pays informatisés, il se crée alors des sortes de réserves indiennes à l'échelle mondiale ; ces mêmes retards également répartis sur la planète provoquent à l’intérieur de chaque pays une fracture entre une population « libérée du réel » et une population d’exclus du virtuel et qui continue à vivre dans « l’esclavage du réel ».

Paradoxalement, c’est dans la première hypothèse que Internet peut représenter un espace de liberté, un refuge pour des identités culturelles minoritaires qui n'ont aucun avenir dans le monde réel, sauf peut-être celui du musée ou de la "réserve indienne".

La globalisation des sites Web n'interdit pas, en effet, de se rapporter aux us et coutumes culturelles, aux graphismes locaux, au contraire. En ce sens le Web maintient les particularismes nationaux, mais dans une perspective commerciale. C'est le cas du multilinguisme des sites Web conçus en terme de marketing comme une extension des stratégies globales. Ce qui prouve que la mondialisation qui favorise plutôt la pratique du "think global, act local" ne sera pas, comme on pouvait légitimement le craindre, la standardisation. Elle ne sera pas non plus "l'utopie généreuse du mondialisme"!

Il est peu probable en revanche que la seconde hypothèse se réalise, du fait précisément des ressources d’Internet : c’est le cas des universités virtuelles en Afrique ou autres pays défavorisés. L'ouverture prochaine des campus virtuels de Dakar et de Yaoundé, au Cameroun, avec bibliothèque et médiathèques virtuelles laissent supposer qu'une élite africaine aura bien accès à l'information et à la connaissance. Et les projets de l'Aupelf-Uref concernent actuellement d'autres zones géographiques.

Reste la troisième hypothèse, la plus vraisemblable, qui verra des élites "virtualisées" - c'est-à-dire "libérées de l'esclavage du réel" - se satisfaire de centaines de millions d'exclus répartis indifféremment sur toute la planète.

Le Web est donc un monde sans territoire réel ou, si l'on préfère, un "cybermonde territorialisé". Si la mondialisation menace la souveraineté des états, le Web est lui-même un état, virtuel, certes, mais doté d’un langage universel : le langage informatique.

Il est d'abord un espace de liberté, comme l'humanité n'en a jamais connu. On peut même penser que si l'homme doit disparaître du monde réel du fait de la mondialisation, il se retrouvera virtuellement, dans le Réseau des Réseaux.

Il est aussi un espace de création - on pense au mouvement des "fractalistes" - que la réalité virtuelle investit cependant de plus en plus, dès lors que "les technologies numériques offrent aux artistes des lieux d'expérimentation où organismes et objets physiques fusionnent avec des chimères calculées" (Imagina 98).

Il est un espace de communication - avec les "forums" - et d’échange d’informations (financières, économiques, politiques, etc.). Il favorise aussi bien le commerce - commerce électronique, usines virtuelles, - que la culture en général - musées, galerie d'art, littérature -, la recherche naturellement et l'enseignement : "Internet, c'est la bibliothèque du monde".

Mais il est aussi un désert spirituel. Et c’est, enfin, le moteur le plus puissant au service de la mondialisation. (On ne parle pas ici du poids de Microsoft sur l'informatique mondiale : 90% des logiciels Windows). Certes, "lorsque le virtuel aura atteint toute sa puissance, il aggravera la crise, poussant jusqu'au paroxysme les contradictions de notre système". Mais les plus optimistes estiment que le virtuel viendra lui-même à bout de la crise.

Mondialisation et réalité virtuelle

Le terme de "réalité virtuelle" passe pour choquant, on lui préfère parfois celui de "simulation interactive", mais il s'agit bien de la même réalité qui se distingue du monde réel en ce qu'elle y introduit une dimension virtuelle, constituée d'images de synthèse en 3 D. Les applications en sont multiples et trouvent leur place spécialement dans l'industrie, avec les maquettes numériques, le cinéma et ses effets spéciaux, mais aussi dans l'information, avec l'infographie 3 D, le commerce électronique, les jeux de simulation en temps réel, la mode, les arts, etc. En fait, la réalité virtuelle investit la plupart des activités humaines aussi bien dans le monde réel que dans le monde virtuel. A l'échelle de la planète, le phénomène des images numériques a pris l'ampleur que l'on sait au cinéma, mais il peut prendre des proportions considérables dans le monde virtuel : reconstitutions de villes réelles ou imaginaires, création d'espaces de services ou de loisir, etc.

Les premières réalisations sur Internet ne manquent pas d'intérêt, - on prendra comme exemple la première galerie d'art virtuelle en 3D ou les premiers défilés de mode (Thierry Mugler) avec "simulation réaliste des jeux exquis de forme et de texture qu'entraînent les mouvements des tissus" (Imagina 98, 4-6 mars 1998). Beaucoup plus inquiétantes en revanche sont des expériences comme celle du Deuxième Monde, "première communauté virtuelle 3D européenne en ligne".

RELIGIONS & MONDIALISATION

Les religions face à la mondialisation

Les religions pourraient s'inquiéter à bon droit de la mondialisation, moins sous son seul aspect économique, qu'à cause de ces "autres visages de la mondialisation" que sont, par exemple, "l'accélération des migrations de population entre pays, l'internationalisation du domaine culturel et artistique, l'internationalisation des grandes religions, le développement de nouveaux mouvements religieux hors de leurs frontières d'origine", autant de "visages" que la plupart des économistes mettent d'ailleurs au crédit de la mondialisation!

Le christianisme

Les réactions du christianisme sont à vrai dire assez variées, quoique homogènes. Pour les uns, il s'agit d'"encadrer la mondialisation, non la combattre", avec l'objectif de "mettre la mondialisation au service des hommes" (cf. Denis Clerc), pour d'autres, comme Mgr Jean-Charles Thomas, il est question d'"humaniser la mondialisation" (cf. son article du 21 novembre 1997), celle-ci posant en particulier le problème des personnes déplacées.

En règle général, subsiste l'espoir, comme le soulignait récemment le cardinal américain Edmund Szoka, que l'évolution vers "un seul monde" guidée aujourd'hui par la seule logique du profit financier pourra devenir "un moyen de réaliser cette communion et cette solidarité que nous souhaitons tous".

Quant à Jean-Paul II, il pose les questions essentielles : "Quelles seront les conséquences des changements en cours? Tous pourront-ils tirer profit d'un marché mondial? Tous auront-ils, en fin de compte, la possibilité de jouir de la paix? Les relations entre les Etats seront-elles plus équitables, ou bien les compétions économiques et les rivalités entre peuples et nations conduiront-elles l'humanité vers une instabilité encore plus grande?" .

Finalement, dira encore Jean-Paul II, "le défi est d'assurer une mondialisation dans la solidarité, une mondialisation sans marginalisation".

L'islam

Face à cet optimisme relatif, l'islam adopte une position plus tranchée à propos de la mondialisation, qu'elle condamne presque unanimement, dénonçant un facteur de déséquilibre et d'instabilité pour les individus et les sociétés entre elles .

Il est clair que cette préoccupation s'accompagne aussi de considérations politiques. Le problème des problèmes pour l'Islam, c'est moins la mondialisation que la question de la Palestine : "Fighting the Occupiers is a Divine and Human Right", comme disent les chi'ites du Hezbollah.

Toutefois, comment l'islam pourrait-elle finalement s'accommoder d'un phénomène clairement identifié comme "occidental", c'est-à-dire confondu avec le règne du "grand Satan" - lequel, rappelons-le, est pour les musulmans l'Argent -, un phénomène qui heurte sa conscience religieuse et qui est assimilé à la politique pro-sioniste des Etats-Unis? On peut toujours regretter que le monde arabo-musulman soit incapable d'entrer dans la post-modernité contrairement à l'Asie du Sud-Est ou l'Amérique du Sud, il n'en reste pas moins un fait troublant pour l'ensemble de la planète, plusieurs centaines de millions de personnes de confession musulmane persistant dans un discours religieux, plus ou moins militant certes, mais parfaitement anachronique dans tous les cas. Et qui puisent leur énergie et leur confiance dans la "Voie droite", en constant simplement la faillite des valeurs chrétiennes au sein de sociétés qui en étaient les hérauts.

Les "incroyants"

On ne donnera qu'un exemple de réaction face à la mondialisation, mais somme toute très répandu : "Quelles que soient leurs convictions spirituelles, philosophiques, politiques, les hommes de bonne volonté ne peuvent se contenter d'une mondialisation à moitié " . L'histoire a montré que faire appel aux hommes de bonne volonté est un aveu d'impuissance particulièrement inquiétant et qui laisse la porte ouverte à tous les errements de la science et de la technologie. Et certes on peut lui préférer des propositions sur la perspective à moyen terme d'un RMV ou Revenu Minimum Vital, à l'échelle mondiale , des interrogations sur la nécessité d'une éthique planétaire dans le monde virtuel d'Internet ou encore des questions de déontologie à propos de la création d'images numériques d'actualité…

Les religions face à l'Internet

Autant les religions sont réservées à l'égard de la mondialisation autant elles ont accueilli Internet avec intérêt. Le site 3W du Vatican est la preuve : il s'agit d'un outil de travail assez complet qui regroupe le V.I.S. et une riche banque de données en plusieurs langues sur les documents pontificaux. On pourrait mentionner quantité de sites chrétiens, et pas seulement aux Etats-Unis où, il est vrai, les moteurs de recherche recensent des centaines de sites religieux.

Mais le christianisme a trouvé également dans Internet un médium exceptionnel, et c'est peut-être la réaction la plus intéressante. Comme le disait Pierre Babin il y a quelques jours, au cours d'un colloque d'ailleurs intitulé "Nouvelles technologies, nouvelle évangélisation" : "La Bonne Nouvelle c'est la communion. Internet, c'est l'escalier de la communion". Le christianisme n'est donc pas effrayé, comme on aurait pu le redouter, par le monde virtuel, pas plus d'ailleurs que l'islam.

L'islam a compris, en effet, à son tour, l'importance "médiatique" d'Internet. C'est ainsi que les sites 3W consacrés à l'islam fleurissent partout sur la Toile, mais, différence d'importance avec le christianisme en général, ils sont majoritairement dédiés à un islam militant. On ne citera, à cet égard, qu'un seul site : Taliban on line! Mais on remarquera aussi des sites très bien construits, et même des sites réalisés par des femmes musulmanes pour des femmes musulmanes, tels que Muslim Women, Zan-Iranian women, etc.

Curieusement, ce ne sont pas les religions qui s'inquiètent d'autres aspects autrement plus préoccupants du monde virtuel que représente Internet, mais les "incroyants". Ainsi Philippe Quéau, directeur de la division Information et informatique de l'UNESCO qui voit dans Internet "Le défi du troisième millénaire" et qui s'interroge sur la nécessité d'une "info-éthique" ou éthique de l'information et de l'informatique, rendue indispensable par le développement du monde virtuel d'Internet.

Quoi qu'il en soit, si une éthique universelle peut, selon toute vraisemblance, régir le monde virtuel de l'Internet, il en va tout autrement de la réalité virtuelle.

Les religions face à la réalité virtuelle

Les religions, mais aussi les Comités d'éthique se sont prononcées, sans détours, contre le clonage humain. Curieusement, le clonage animal est admis.

Personne, cependant, ne s'est encore exprimé sur la réalité virtuelle. Sans doute parce qu'elle n'en est qu'à ses prémices. Et pourtant si, déjà, des jeux de simulation comme Myst ou Riven posent un problème, que dire des communautés virtuelles 3D comme le "Deuxième Monde", et surtout de ces sites virtuels d'Internet où il est possible de se déplacer sous l'apparence d'un avatar?

Si le temps passé sur Internet est encore du temps réel, la réalité virtuelle pose d'autres questions. La simulation interactive est-elle encore du temps humain? Mais il y a plus grave. La réalité virtuelle pourrait bien s'imposer peu à peu au monde réel autant qu'au monde virtuel et créer progressivement l'espace d'une seconde réalité, d'un "deuxième monde" beaucoup plus inquiétant qu'Internet, lequel, rappelons-le n'est jamais qu'un prolongement du monde réel.

LE CLONE ET L'AVATAR

La communication dans le monde réel passe par des médias qui se distinguent par l'usage qu'ils font de l'image que ce soit la presse, la télévision ou Internet. Il convient naturellement de bien différencier Internet parmi les médias, puisque Internet appartient au monde virtuel.

Or, on assiste actuellement à l'émergence progressive de la réalité virtuelle dans les médias et c'est bien d'une révolution qu'il s'agit. Les recherches s'orientent en deux directions : l'image virtuelle 3D pour les médias classiques, le langage VRML, qui est un langage de modélisation de réalité virtuelle, pour Internet.

A titre d'exemple, on peut citer le service d'information graphique 3D de l'Agence France Presse, qui doit pallier, en terme d'information télévisée, l'absence d'images vidéo : "Nous devons proposer aux chaînes de télévision une illustration plus explicative que l'infographie".

Pour l'heure, "l'image de synthèse ne se substitue pas aux autres médias", à terme, cependant, la réalité virtuelle deviendra un support ordinaire de la communication et de l'information, aussi bien pour les médias classiques que pour Internet, avec tous les risques que cela comporte, et cela simplement parce que "son utilité vient de son aptitude à révéler l'invisible, à expliciter le complexe ou à visualiser l'imperceptible."

MONDIALISATION & POST-MODERNITE

La chute du Mur de Berlin, le 9 novembre 1989, marque la fin de la période moderne, en ce sens qu'elle signifie la disparition du dernier pouvoir "historique" qui fut celui du prolétariat .

La mondialisation marque ainsi l'entrée de la planète dans une époque post-moderne qui succède au "déclin de l'Occident". C'est aussi pourquoi la mondialisation fait peur à l'Occident, autant que la démographie des pays du Tiers-monde (cf. Le Camp des saints, de Jean Raspail) ou que l'expansionnisme arabo-musulman… C'est que, d'une part, et de toute évidence, la mondialisation échappe aux États, et que, d'autre part, elle constitue une menace pour l'économie des pays européens dont le chômage est la manifestation la plus redoutable.

C'est aussi ce qui permet de poser la question d'un gouvernement mondial… En fait qui gouverne désormais?

Les mafias? L'administration Clinton? Les Nations Unies? Le FMI ou la Banque Mondiale? Bill Gates? Ce qui est certain, c'est ceci : "il n'y a pas la moindre place pour une décision fondée sur le libre arbitre" .

On se bornera à constater que, dans cette perspective, il ne reste plus que deux forces en présence, à l'échelle de la planète, et même si l'Église aura son mot à dire jusqu'au bout : la mondialisation, qu'incarne peu ou prou le New World Order, et l'Islam en tant que religion et communauté.

De ce point de vue, l'islam pourrait être le grain de sable dans la machine de la mondialisation, d'abord parce que les masses musulmanes répugnent en règle générale à renoncer à ce qui forme depuis 14 siècles leur univers mental, ensuite, parce que la technologie n'a jamais impressionné l'islam, enfin, parce que le Moyen Orient pourrait comme l'Afrique faire partie des grands perdants de la mondialisation. A quoi s'ajoute naturellement le problème de la Palestine. Quant à cette hypothèse du grain de sable dans la machine de la mondialisation, on peut se fier à Tariq Ramadan : "A étouffer les intelligences, on fait sortir les armes" - "Même avec le régime chiite iranien - qui n'est pas un modèle - il y a plus de démocratie aujourd'hui, que dans la majorité des pays arabes tenus par des laïques que soutient l'Occident "

L'Occident quant à lui, dans sa volonté de s'émanciper de l'autorité spirituelle, - mais cela remonte à Philippe Le Bel, - entre désormais dans sa "nuit obscure", laquelle se traduit par un effondrement de l'ensemble des valeurs incarnées par les religions : "abandon progressif des expressions religieuses traditionnelles", "avancée fanatique et agressive de certaines sectes", "sécularisation rampante avec ses conséquences : perte du sacré, indifférence religieuse, relativisme moral"

Il est vrai que les religions tout de même que "l'incroyance" prétendent réagir à la mondialisation, de même qu'elles cherchent à tirer parti du monde virtuel d'Internet. Mais cela ne les empêche pas d'être entraînées dans un processus de décomposition de l'humanité particulièrement alarmant.

Cela n'empêche pas, par exemple, la planète entière de courir des risques insensés : politiquement, financièrement, culturellement, pour ne rien dire des problèmes liés à l'environnement.

Cela n'empêche pas non plus l'essor d'une "deuxième religiosité", rebelle aux religions historiques, comme aux valeurs humanistes, et dont on ignore quelle sera l'influence au bout du compte sur l'humanité tout entière.

Cela n'empêche pas, enfin, les paris les plus fous d'être en passe d'être gagner, grâce à la globalisation technologique : dans deux domaines particulièrement sensibles : le clonage humain et la vie artificielle.

Là aussi la mondialisation n'est que l'aspect économique d'une révolution qui vise rien de moins qu'à faire table rase de valeurs que l'on croyait immuables et que ni les religions ni "l'incroyance" ne sont sans doute plus en mesure de sauver.

SOUS LE VIRTUEL, LA VIE

"Mythe d'hier, réalité d'aujourd'hui, la vie débarque sur nos machines. mélanges de techniques issues de l'intelligence artificielle et de la génétique, l'illusion est surprenante et l'émotion au rendez-vous. L'invasion des créatures numériques a déjà commencé" Imagina 98

La réalité virtuelle ou "simulation interactive" selon l'expression développe des applications qui vont du plus simple, par exemple la visite virtuelle d'un musée, au plus complexe (CFAO, Numérique intégral), en passant par le simulation en temps réel. Cependant, la réalité virtuelle ne prendra vraiment son sens qu'à partir du moment où elle pourra intégrer la vie, fût-elle artificielle. Comme l'explique Pierre Raiman, le créateur de Montparnasse Multimédia : "Ce qui m'intéresse, c'est comment mettre cette vie artificielle dans l'ordinateur et la rendre intelligente."

Certes ce "fantasme" n'est pas nouveau. On le rencontre au 19ème siècle chez des écrivains comme Mary Shelley - Frankestein -, Villiers de l'Isle-Adam, avec son Ève future, ou encore Gustav Meyrink - Le Golem. Mais désormais le clonage humain et la réalité virtuelle lui donnent consistance. Comme l'écrit le professeur Axel Khan, "si nous sommes hantés par toutes ces références (…), ce n'est pas par hasard. Nous sommes très probablement à proximité du point de non-retour. Une frontière difficile à localiser avec précision dans le maquis des technologies qui sont aujourd'hui disponibles ou sur le point de l'être…"

La question se pose désormais de "l'intelligence" des créatures et des agents qui vont occuper une place de plus en plus importante dans le monde virtuel d'Internet et à la TV, de tous ces "assistants personnels, filtres de recherches individualisés, interface conviviale, machines "affectives" ou "sensibles" [qui] sont autant de modalités de l'intelligence artificielle mise au service de la société de l'information". En fait, les questions sont multiples : "Jusqu'où pourrons-nous aller en matière de modélisation? Y a-t-il des limites théoriques à cet effort de mise en boîte de l'intelligence et du comportement? Quelles seront les conséquences à long terme d'une robotisation de l'intelligence sur notre compréhension du monde, de nos schémas mentaux?"

Quoi qu'il en soit, dès lors qu'il est doué d'une intelligence artificielle l'avatar de la réalité virtuelle n'est plus ce clone qu'il est actuellement et qui permet à l'internaute de se déplacer dans le monde virtuel d'Internet. Or, l'enjeu est justement de doter d'une intelligence artificielle aussi bien le simple clone humain du monde réel que l'avatar du monde virtuel d'Internet. Ce à quoi le monde réel, pour des questions d'éthique, répugne, verra sa réalisation dans le monde virtuel d'Internet, jusqu'au jour où la frontière entre vie réelle et vie artificielle disparaissant cette dernière investira à son tour le monde réel.

Dans l'attente du clonage humain et de l'avatar intelligent, il faut bien considérer que la globalisation technologique qui a donné tout son élan à la mondialisation la fait glisser désormais vers le virtuel de manière irréversible et accélérée.

CONCLUSION

Il est difficile de ne pas souscrire à la définition que donnait en 1961 Julius Evola de la "deuxième religiosité" : "quelque chose d'hybride, de déliquescent et de sub-intellectuel." Pourtant quelque chose a changé avec la mondialisation, dans la mesure où l'humanité est entrée dans un nouveau cycle que l'on peut appeler post-moderne.

Par ailleurs, il est frappant de constater combien un médium comme Internet est parfaitement adapté à la diffusion de cette "deuxième religiosité" de même que la réalité virtuelle s'accorde de manière constitutive au néo-spiritualisme.

D'un point de vue spirituel, en effet, la réalité virtuelle est la forme parodique de ce monde intermédiaire qui est le lieu de passage entre le monde divin et le monde humain, le "confluent" des deux mondes comme il est écrit dans le saint Coran . De ce point de vue, donc, la réalité virtuelle est un espace de mort spirituelle. Et celui qui s'y engage avec l'idée de se connaître lui-même s'engage en fait dans une quête du Graal à l'envers.

On ne sait finalement quel est le danger le plus grand de la nouvelle religiosité qui se caractérise par une confusion complète des repères religieux ou de la perversion du néo-spiritualisme… Ce qui est certain, c'est que les religions du Livre se trouvent dans Internet au coude à coude avec le New Age, les sectes et le néo-spiritualisme, et qu'elles sont totalement exclues de la réalité virtuelle.

Or, c'est depuis l'avènement de la mondialisation - en terme économique - du New World Order, - au plan politique -, ainsi que de la globalisation technologique que cette deuxième religiosité se répand toujours plus, aussi bien dans le monde réel que dans le monde virtuel, avec ce néo-spiritualisme que nous évoquions et qui trouve dans la réalité virtuelle son véritable mode d'expression. Si la religion, si l'incroyance même se voient à ce point débordées par la nouvelle religiosité et si la spiritualité ne s'exprime plus que sous des formes parodiques, on peut légitimement se demander si la fracture n'est pas plus profonde qu'il n'y paraît et surtout si l'homme de demain, l'homme de la post-modernité, n'est pas condamné à entretenir toujours plus la confusion entre monde réel, monde virtuel et réalité virtuelle. Alors il se pourrait que l'humanité se trouve en état de mort spirituelle, et que la terrible sentence des grands Maîtres d'Alamut, devienne un jour la nouvelle Loi commune : "Rien n'est vrai, Tout est permis", comme la parodie, à l'échelle du monde, de la Grande Résurrection.