"On sent que cette grande ville n'était
pas l'oeuvre de ces Arabes; c'est une autre civilisation qui l'a édifiée,
aussi sont-ils indifférents au lamentable sort de ces palais écroulés.
Ils préfèrent leur hutte de nomades où le vent passe librement et anime
l'ombre des heures chaudes de mille voix mystérieuses.
Il faut avoir vu vivre dans
l'éternel printemps de leurs montagnes ces hommes sans souci de l'heure,
pour mesurer tous les ravages qu'une civilisation étrangère pourrait
porter au bel équilibre de leur vie simple."
"Moka
est une ancienne place forte, jadis entourée de hautes murailles en
briques, flanquées de nombreux bastions. Ce n'est aujourd'hui qu'un
chaos de décombres, où quelques plates-formes subsistent encore,
montrant par les brèches les vieux canons de fonte étendus au soleil, à
même le sol comme de gros lézards.
Aucune maison
n'a été réparée; seule, la grande bâtisse où demeure l'Amer Abdul Galil et
une autre occupée par un négociant italien sont intactes. Dans ce
labyrinthe de murs écroulés, les soldats campent comme ils le font dans la
brousse; quant aux habitants, ils occupent la partie de la ville opposée à
la mer, en bordure de la palmeraie. Là ils ont créé un village tout à fait
selon leur goût, avec des paillotes de branchages à toit de nattes et des
baraques en caisses à pétrole tendues de toiles de sac.
La palmeraie de
dattiers s'étend vers la plaine torride où les buissons de Rak font une
verdure tendre d'une illusoire fraîcheur." Extraits de Henry
de Monfreid, Les derniers jours de l'Arabie heureuse, Gallimard,
1935 |