RULMAN MERSWIN

L'Ile Verte

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Sept centième anniversaire de la naissance de Rulman Merswin ( (1307-2007)

 

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L’Ile verte

 

Au sommet ou au cœur de la montagne qui est au centre de l'Île Verte, se trouve un petit temple à coupole où il est possible de communiquer avec l'Imâm, parce qu'il arrive qu'il y dépose un message personnel, mais il n'est permis à personne de monter jusqu'à ce temple, hormis au Sayyed Shamsoddîn et à ceux qui lui sont semblables. Ce petit temple s'élève à l'ombre de l'arbre Tûbâ; or, nous savons que c'est le nom de l'arbre qui obombre le paradis ; c'est l'Arbre de l'être. Ce temple est au bord d'une source, laquelle, jaillissant au pied de l'Arbre du paradis, ne peut être que la Source de la Vie. Et pour nous le confirmer, là même notre pèlerin rencontre le desservant de ce temple en qui nous reconnaissons le mystérieux prophète Khezr (Khadir). C'est donc là, au cœur de l'être, sous l'ombrage de l'Arbre et au bord de la Source, que se trouve le sanctuaire où l'on s'approche au plus près de l'Imâm caché. Nous avons là toute une constellation de symboles d'archétypes facilement reconnaissables.

 

Henry Corbin, Face de Dieu, face de l’homme, 1983, p. 34

 

Rulman Merswin, né en 1307 et mort en 1382, issu d’une importante famille de banquiers strasbourgeois, se retira de la vie publique pour entrer en une retraite spirituelle de quatre années (Tauler est alors son confesseur), après lesquelles il fit l’acquisition d’un ancien couvent bénédictin à l’abandon, en un lieu dit l’Ile Verte : « L’Ile Verte de Strasbourg, écrit Henry Corbin, fut un centre spirituel des chevaliers johannites où se développa au XIVème siècle une forme de spiritualité caractérisée par le nom de ceux qui en sont le centre, à savoir le nom d’ « Amis de Dieu » (Gottesfreunde) ». « Chevaliers johannites », simplement du fait que la présence ecclésiale dans ce couvent de l’Ile Verte fut confiée à l’Ordre des Chevaliers hospitaliers de Saint Jean de Jérusalem, tandis que Rulman Merswin précisait que le couvent devait être « une maison de refuge où puissent se retirer tous les hommes honnêtes et pieux, laïcs ou ecclésiastiques, chevaliers, écuyers et bourgeois, qui désireraient fuir le monde et se consacrer à Dieu, sans cependant entrer dans un ordre monastique ».

             Mais il y a plus dans l’histoire de l’Ile Verte. Rulman Merswin et les Amis de Dieu se trouvèrent rapidement en relation avec un personnage mystérieux qui va les guider dans la voie spirituelle qu’ils se sont choisie, par une série de missives (de 1363 à 1380) et d’écrits, parmi lesquels on peut citer Le Livre du Maître de la Sainte Ecriture, et Le Livre des Cinq hommes « qui décrit la société idyllique du Haut Pays ».

             Pour Henry Corbin, il paraît superflu de rechercher l’identité de cet « Ami de Dieu du Haut Pays », tout comme il serait vain de tenter de localiser le Haut Pays sur une carte de géographie, car « personne n’en eut connaissance, qui ne s’en approcha par la voie intérieure ». L’essentiel est aux yeux de Corbin que l’« Ami de Dieu du Haut Pays » ait été, selon ses propres termes, « le pôle des Amis de Dieu de l’Ile Verte des Johannites », autrement dit qu’il ait été le Maître intérieur de Rulman Merswin lui-même. Or, qui est le Maître intérieur ? C’est celui qui guide l’initié, non plus en ce monde-ci, mais bien dans les contrées au-delà de l’Orient du monde terrestre.

             Tel est le secret de l’identité de l’« Ami de Dieu du Haut Pays ».

           Henry Corbin assimila ce dernier au XIIème Imâm de la tradition shî’ite et en tira la conclusion qu’il existe en ce monde « une élite spirituelle commune aux trois rameaux de la tradition abrahamique », dont l’éthique « prend origine aux mêmes sources et vise la même hauteur d’horizon. »