COMTE DE MARCELLUS

Souvenirs de l'Orient

Comte de Marcellus, Souvenirs de l'Orient, Édition établie, présentée et éditée par Yves Leboucher, Cy.ter éditeur, 2006

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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"Pour étudier et apprécier les peuples de l'Orient, il faut se soumettre à leurs coutumes, et participer en quelque chose à leurs vertus"

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Lady Hester Lucy Stanhope

Les souvenirs du voyage en Orient du comte Marcellus (1820) méritaient de sortir de l'oubli. Les éditions Cy.ter en présentent une nouvelle édition particulièrement soignée, illustrée de reproductions de L.-F. Cassas, et accompagnée de nombreuses notes de Yves Leboucher. Le comte Marcellus admirait son illustre prédécesseur, Chateaubriand, et estimait que la relation de son propre périple ne soutiendrait pas la comparaison avec l'Itinéraire de Paris à Jérusalem. Il s'en distingue pourtant, d'abord par le une sorte d'enthousiasme juvénile (l'auteur a vingt-cinq ans) qui le rend immédiatement sympathique. Ensuite par quelques aventures, que le lecteur découvrira avec intérêt : les circonstances de son acquisition de la Vénus du Milo, en particulier. Ses entretiens avec Lady Hester Stanhope constituent également un  document rare (cf. infra). Il y aura, au final, infiniment de plaisir à suivre l'auteur au fil de ses pérégrinations, depuis Constantinople, aux îles grecques, en Syrie, à Alexandrie et au Caire, et naturellement, en Terre Sainte.

Extrait :

Je m'acheminai avec le drogman du consulat vers le mont Carmel, que je voulais gravir avant tout. Nous longeâmes d'abord longtemps le rivage, de la mer, et quelques champs bordés de caroubiers et de figuiers. Puis nous passâmes sans insulte (et cela est rare en Syrie, où les soldats sont fanatiques et indisciplinés) à travers les tentes d'un camp d'Arabes armés que le pacha d'Acre tient à sa solde, et qu'il fait bivouaquer ainsi à quelques lieues de la capitale. Enfin, nous commençâmes à nous élever sur les flancs arides et escarpés du Carmel ; il nous fallut presque une demi-heure d'une ascension pénible pour en atteindre le sommet.

Le couvent et l'église étaient abandonnés un vieillard arabe et catholique entendit seul la cloche que nous avions sonnée à la porte d'entrée ; il nous guida parmi les ruines, et nous montra l'une après l'autre les chapelles et les cellules. Le monastère de Saint-Élie n'est plus qu'une vaste solitude. Un gardien infirme est encore là pour accueillir les pèlerins, recevoir leurs aumônes, et pour hisser le pavillon français qui flotte sur les décombres, lorsque par hasard un vaisseau de notre nation approche de ces parages déserts.

Je quittai la grotte de Saint-Élie, et j'avançai vers le promontoire : il est élevé de quatre ou cinq cents toises au-dessus du niveau de la mer, qui vient ronger sa base ; hauteur double de celle du palais de Tibère à Caprée. Je voyais à mes pieds des vagues d'un bleu foncé se briser en écume blanche sur les récifs, et les oiseaux de la mer planer au-dessous de moi. Au loin, quelques voiles courant vers l'Égypte, mais autour du mont pas une barque : d'un côté, les montagnes rudes et sauvages qui dominent les ruines de Césarée ; de l'autre, la dernière chaîne de l'Anti-Liban, les grèves du cap Blanc, les plaines de la Palestine, et la ville d'Acre. Cette scène était grande et solitaire.

Je restai quelque temps, comme le prophète Élie, assis sur le sommet du Carmel, reposant ma tête sur mes mains et mes genoux. Cependant la brise commençait à souffler ; « un petit nuage, pas plus grand que la trace du pied de l'homme », s'apercevait à l'horizon ; tout-à-coup le vent se déchaîna ; les cieux se voilèrent de nuées, la mer battit avec fureur le pied du promontoire. Placé si haut dans les airs, je jouissais avec délices de cette tempête ; bientôt les nuages, chassés rapidement de l'ouest, s'enfuirent vers le mont Thabor ; le soleil brilla de nouveau ; la brise s'établit sans violence, la mer seule mugissait encore.

*

Lady Hester Lucy Stanhope

Extrait :

La première fois que j'entrai à Damas, on m'avait préparé, au quartier des chrétiens, une maison séparée. Je fis dire au pacha que j'étais fatiguée de voir des chrétiens et des juifs; que j'étais venue faire connaissance avec les Turcs et les Arabes, et que je voulais une autre habitation. J'en choisis une au milieu des musulmans, en face de la grande mosquée, et j'y séjournai pendant quelques mois.

« Non, les Arabes ne sont point tels qu'on les représente en Europe. C'est surtout chez eux que réside cet honneur dont vous avez inventé autrefois le mot en France, et qui n'existe point dans la langue anglaise. Ils sont braves, généreux, indépendants. Il y a, dans le désert, des hommes tellement instruits par leur observation assidue de la nature, par leur vive intelligence, et leur habitude de réfléchir, qu'on ne peut lutter de science avec eux : d'autres, à une grande ignorance, allient un bon sens et une sagacité qui étonnent. Je les aime, et je continuerai de vivre avec eux. Je ne suis pas anglicane, je ne suis pas musulmane non plus, quoique je cite parfois le Coran. Je ne sais pas comment se nomme mon culte ; mais j'adore un Dieu maître du monde, qui me récom­pensera, si je fais le bien, et me punira, si je fais le mal. Comment choisir dans ce mélange de mille sectes ? Le désert, en cela semblable à l'Europe, en présente une incroyable variété. J'ai habité trois mois à quelques pas des grottes mystérieuses où les Druses, peuple franc-maçon, se livrent à la fois à leurs cérémonies religieuses et à de nocturnes débauches. J'ai longtemps hésité, je l'avoue. Au milieu de toutes ces idolâtries, je n'osais me créer une divinité ; mais aujourd'hui ma croyance est fixée ; et, à force de bienfaits versés sur mes semblables, je veux mériter les bontés de ce Dieu, seul et tout-puissant, dont mon âme tout entière reconnaît l'existence.

            - Vous ne reviendrez donc jamais en Europe, milady ?

           - Je l'ai quittée depuis huit ans, et pour toujours. Que voulez-vous que j'y regrette ? des nations avilies, et des rois imbéciles ? »