Klaus Mann fut-il en quelque manière le
mauvais génie d'Annemarie? C'est lui qui l'initiera aux drogues, qui
l'entraînera dans ces lieux typiques du Berlin de l'entre-deux guerres
où règnent le désarroi et toutes les licences, le grotesque et le désespoir,
l'égoïsme et la vanité des questions. Plus tard, Ella Maillart se
demandera où cette jeune femme si fragile puisait une telle énergie dans
les circonstances de leur périple asiatique. Mais les apparences sont
trompeuses et Annemarie ne ressemble pas aux enfants Mann, malgré
l'amitié qu'elle leur voue. Eux voulaient à tout prix qu'elle leur ressemble, par haine de sa famille, et
surtout, sans doute, parce qu'elle possédait
ce dont ils étaient eux-mêmes dépourvus et qu'ils lui enviaient : sa
générosité.
*
"Cette
fille de patriciens zurichois, qui s'était jointe librement aux exilés
allemands (elle était même venue avec moi à Moscou, geste vraiment
hardi de la part d'une jeune fille issue d'un tel milieu)..." Klaus
Mann, Le Tournant
"Comme le temps, mon petit Klaus, nous rend humble et
bouleverse nos vies. Un non-sens que cette vie-là, elle nous contredit
toujours : le silence, le cri, la douleur et puis enfin l'apaisement. Je
t'annonce que je me suis mariée ici, en Orient. (...) Ta belle et pauvre
enfant Annemarie est devenue Madame Clarac, la petite épouse d'un
diplomate français. Cela t'amuse bien. Tu n'es pas en colère, non, tu as
trop d'humour pour cela, mais je sais que tu ne comprends pas. Ou alors
tu penses à une autre fuite, encore, toujours. La Suisse est un trop
petit pays, elle aura suivi les conseils d'Erika, et sera partie vers un
ailleurs plus grand, plus mythique. En sécurité auprès d'un homme qui la
laisse écrire et qui veille sur ses peurs. Tu diras aussi que je prends
du recul avec mes "frères" les Mann, ma famille de Bocken. Et là tu
auras raison..." Lettre à Klaus Mann, juillet 1935
"Anne-Marie, l'excentrique héritière
d'un vieux nom patricien. Elle est orgueilleuse, et
délicate, et grave, elle a un front pur d'adolescent
sous de doux cheveux cendrés.
Est-elle belle? Comme elle
déjeunait pour la première fois chez nous, à Munich, le Magicien qui la
regardait du coin de l'œil avec un mélange d'inquiétude et de plaisir,
constata finalement : "C'est curieux, si vous étiez un garçon,
vous devriez passer pour extraordinairement belle."
Mais si, elle est belle, même en
fille. Le poète français Roger Martin du Gard savait bien de quoi il la
remerciait lorsqu'il écrivit cette dédicace dans un de ses livres :
Pour Anne-Marie - en la remerciant de promener sur cette terre son beau
visage d'ange inconsolable..." Klaus Mann, Le Tournant.
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