CE QUE DIT DE LUI JEAN MALAURIE

Wilfred Thesiger

©1978, Plon

 

 

 

 

 

[ Wilfred Thesiger | Jean Malaurie - A propos de Terre Humaine ]

"Chez Thesiger comme chez Malaurie, plus que les autres auteurs de Terre humaine, la composante aventureuse s'inscrit chez le narrateur lui-même : leurs livres sont d'abord, avant leur intérêt scientifique propre, le récit d'une aventure personnelle qui a exigé une mise en jeu de soi." Pierre Aurégan

"Un profil de médaille, des yeux enfoncés et aigus, une stature imposante avec une force osseuse, Thesiger, à l'aise dans son corps, nous fait saisir toute la majesté de l'empire britannique, dont la rigueur, dans l'étiquette, alliée au naturel et à la simplicité d'une tradition millénaire, sont à l'opposé de la pompe versaillaise. Il nous fait aussi vivre notre imaginaire du nomade aventurier - pas celui que les sponsors nous vendent, l'explorateur affairiste, pour lequel il n'aurait même pas un regard - mais un homme tragique, soucieux d'engager sa vie toujours davantage dans le danger et le défi de soi-même, méprisant l'argent et les honneurs ; engagement inspiré par une vision désillusionnée du cours de l'histoire. Il se veut étranger à cette société occidentale qu'il juge décadente, convaincu que les derniers seigneurs sont les peuples traditionnels dans leur "sauvagerie" naturelle."

> Un témoignage

"Mai 1978, Wilfred Thesiger est venu à Paris à l'invitation de Terre Humaine, pour donner une conférence de presse dans le cadre de la présentation de l'édition française de son livre le Désert des Déserts. Deux cents personnes, attentives et amicales, son réunies dans un bureau de l'éditeur, près de Saint-Sulpice. je suis assis à la droite de l'auteur et, pendant son exposé d'introduction, le regarde à la dérobée : pas une ride sur son visage comme taillé à la serpe, une peau colorée, presque tannée, des yeux bruns enfoncés, un regard amical qui peut instantanément vous éloigner avec une rare dureté. Habillé de noir, très classique, style avant-guerre, une montre au gousset de son gilet, attachée à une chaîne d'argent. Il parle sans le moindre effet, sur le ton de la conversion. Pas de notes ; il dit sa vie, son admiration sans partage pour ses compagnons bédouins, nobles dans le quotidien et le danger, d'une générosité si exemplaire, au point d'offrir, même dans la plus grande détresse, le peu qu'ils possèdent à l'hôte de passage, alors qu'ils sont en survie. Quelques questions de l'assistance, puis il évoque Bin Ghabaisha et Bin Kabina. Sa voix alors se fêle, sa lèvre supérieure, restée immobile pendant ses premiers propos, tremble. Une sensibilité à fleur de peau. Pour ne pas le gêner, je regarde ailleurs, afin de ne pas voir ses yeux embués. Ce n'est pas seulement aux hommes qu'il pense, avec la nostalgie d'un temps perdu, mais au saccage dont nous sommes complices, à la barbarie d'une industrie conquérante."

Extrait de la préface à l'édition française de La vie que j'ai choisie, Plon, 1990