Le Maître intérieur

 

 

 

 

Au-delà des théophanies formelles

"Parfois, d'une façon soudaine, une Présence surgit à l'improviste. Les yeux extérieurs ne distinguent aucune forme. Le regard intérieur ne découvre pas de trace. » Marie-Madeleine Davy, Traversée en solitaire, 1989

 

 

 

 

 

 

 

 

Retour au Maître - Élie - Le Verdoyant - Melchisédech

            Le Maître intérieur « oriente » le pèlerin de l’esprit vers l’Orient majeur.

            Il se manifeste dans l’intime du cœur, au « centre » du « château de l’âme », comme dit Sainte Thérèse d’Avila, « où se passent les choses les plus secrètes en l’âme et Dieu ». Tantôt il y demeure caché, car « la sagesse mystique a caché l’âme en Elle », tantôt il se découvre dans une vision « théophanique » et parfois même sous les apparences d’un être vivant, comme Tabari le rapporte à propos du prophète de l’Islam.

            L’exemple le plus remarquable d’une telle vision théophanique nous est fourni, en effet, par le prophète de l’Islam lui-même, telle qu’elle est décrite dans ce qu’on appelle justement le hadith de la vision : « J’ai vu mon Seigneur sous une forme de la plus grande beauté, comme un Jouvenceau à l’abondante chevelure, siégeant sur le Trône de la grâce ; il était revêtu d’une robe d’or ; sur sa chevelure, une mitre en or ; à ses pieds, des sandales d’or ».

             Ceci pour la vision.

            Quant à la connaissance de ce Maître intérieur, elle est réservée aux stades ultimes de la voie ésotérique, car ce Maître est le Seigneur et Le connaître, c’est connaître son Soi.

            Le Maître intérieur, c’est Dieu lui-même ou le Christ, ou l’Imam. Le Christ, ou plutôt son Cœur sacré, qui symbolise les eaux divines, ces « sources éternelles de la sagesse », et l’Imâm en tant que cette figure du Soi : « Celui qui connaît son Soi, connaît son Seigneur » .

             L’autobiographie spirituelle d’un Rûzbehân Baqlî, le Dévoilement des secrets, rapporte de nombreuses visions de ce Maître intérieur, en tant qu’il est Dieu. En voici quelques unes :

            « Ce dont je me souviens des jours de mon adolescence c’est qu’une fois, alors que je me trouvais dans les solitudes désertes du monde caché au-delà des sept cieux, un océan immense se dévoila à moi, et je vis au centre de cet océan une île énorme. Au centre de cette île, je vis un château immensément grand qui s’élevait si haut que cela semblait sans fin. Du pied du château et aussi haut que mon regard pouvait monter se trouvaient des meurtrières en nombre infini. Alors Dieu le Très-Haut Se révéla à moi de toutes ces meurtrières à la fois. Je demandai : « Mon Dieu ! Qu’est-ce donc que cet océan ? » Il répondit : « L’océan de la sainteté. » Je demandai : « Qu’est-ce donc que cette île ? » Il répondit : « L’île de la sainteté. » Je demandai : « Qu’est-ce donc que ce château ? » Il répondit : « Le château de la sainteté. » Et Dieu est au-delà de la causalité de l’espace. » (142)

           

            « Je me vis du côté du levant. Dieu – gloire à Lui – Se révéla à moi sous l’aspect de la beauté de l’éternité sans commencement. Mon cœur fondit à cause de Son extrême grâce et de Son extrême beauté. Puis, un moment après, je Le vis qui se révéla encore à moi sous cette même forme. Il Se révéla sous la forme de Turcs dont il n’existe pas de plus beaux »

 

            « Je franchis l’orient de la prééternité. Je vis dans un désert du monde caché Dieu qui S’élevait sous l’apparence de la beauté, revêtu de la forme des Turcs. Dans sa main se trouvait un luth si bien qu’il me sembla qu’il jouait de ce luth (…). Puis je le vis dans l’univers de la prééternité qui s’éloignait vers l’univers de l’éternité sans fin. Or il n’y a là ni lieu, ni côtés, ni lumière, ni ombre, ni apparence, ni forme. Mais il fut éclairé par l’épiphanie de Dieu, et Il me trouva là perdu. Il me fit approcher des lumières de Ses formes et me fis plonger dans les océans des gloires de Soin essence. Puis je Le vis. J’étais dans ma chambre comme s’Il se présentait soudain à moi. Il était d’une grâce et d’une beauté telles que je ne pourrais le décrire. Je pleurais sur Lui et je lui lançai des cris. Je dis : « Mon Dieu ! Laisse-moi Te regarder un moment, et fais partir de mon cœur tout ce qui n’est pas Toi depuis le trône jusqu’à la terre, ô bien-aimé des cœurs des gnostiques ! Ô prunelle des yeux de ceux qui sont frappés de stupeur !»