RULMAN
MERSWIN (1307-1382)
Riche banquier strasbourgeois, Rulman Merswin fonda,
au temps de Jean Tauler (1366), une communauté de
laïcs qui souhaitaient se livrer à la prière et à la
contemplation, sans entrer dans un ordre
monastique : l’Ile Verte. La destinée de cette
communauté fut cependant confiée en 1371 à l’ordre
de Saint Jean de Jérusalem. Mais, par
l’intermédiaire de Rulman Merswin, elle continua de
recevoir son inspiration d’un mystérieux personnage
qui n’est pas autrement connu que sous le nom de
« l’Ami de Dieu de l’Oberland ». Cette intervention
dans la pieuse vie de Rulman Merswin revêtit une
importance considérable non seulement pour lui-même
mais pour ses compagnons de l’Ile Verte.
Si l’existence de l’Ami de Dieu de l’Oberland
demeure énigmatique, elle n’en est pas moins celle
d’un Maître spirituel dont l’enseignement transmis
par Rulman Merswin s’inscrit dans la lignée des Amis
de Dieu, qui est d’Orient et d’Occident. Si
l’Oberland, le Haut-Pays, n’appartient pas à la
géographie physique, il s’agit pourtant de notre
vraie patrie dont nous sommes exilés et à laquelle
nous aspirons. C’est vers elle que portent les pas
lorsque, à la semblance de Rulman Merswin, nous nous
engageons dans la voie des Amis de Dieu. Sept cents
ans après la naissance de Rulman Merswin, des hommes
et des femmes d’Occident s’y sentent toujours
appelés.
JACOB BOEHME
« Je n’ai jamais cherché à connaître quelque chose
du mystère divin ; je savais encore moins comment je
devais le chercher ou le trouver. Et aussi je n’en
savais rien, comme c’est le cas des simples laïcs.
J’ai uniquement cherché le cœur de Jésus-Christ,
pour m’y réfugier devant la colère terrible de Dieu
et les assauts du diable ; et je priais Dieu
ardemment pour qu’il m’envoie son Esprit et sa
grâce, et je lui demandais de me bénir, et de me
conduire, et de m’enlever ce qui me détournait de
Lui, et de me rendre complètement à Lui, pour que
vécût non point ma volonté, mais bien la sienne, et
je lui demandais que ce fût Lui seul qui me
dirigeât, pour que je devinsse son enfant, dans son
Fils Jésus-Christ. Et dans cette recherche intense
(où j’ai subi des attaques sévères, mais que je ne
voulais point abandonner, dussé-je y laisser ma
vie), dans mon désir ardent enfin la porte s’ouvrit
devant moi et j’ai plus vu et connu en un quart
d'heure que si j’étais resté de longues années dans
une Université. Ce dont je m’étonnais grandement,
[car je] ne savais ce qui se passait en moi, et mon
cœur se tourna vers la louange de Dieu. Car je vis
et je connus l’essence de toute essence (de tout
être), l’abîme et le fondement. Ensuite, la
naissance de la Sainte Trinité et l’origine et le
fondement de ce monde et de toutes les créatures
dans la Sagesse divine. Et je connus et je vis en
moi-même les trois mondes, c’est-à-dire : le monde
divin, angélique ou paradisiaque, le monde des
ténèbres, fondement de la nature ignée, et ce monde
extérieur et visible comme une créature engendrée ou
bien exprimée par les deux autres mondes spirituels.
Je vis et je connus toute l’essence, dans le bien et
le mal, et comment l’un est fondé sur l’autre et en
provient… ce qui, non seulement m’étonna, mais aussi
me réjouit grandement ! »
NOVALIS
Le poète romantique allemand (1772-1801) n’est pas
seulement le poète de la « fleur bleue », mais un
initié dont la brève existence et une œuvre
inachevée témoignent de son haut degré de
réalisation spirituelle. De ses fiançailles avec la
jeune Sophie von Kühn (1795) à sa mort, il a
accompli ce « chemin mystérieux qui va vers
l’intérieur », comme « voie des théophanies », qui
reste une des voies privilégiées de l’Occident
chrétien : « Christus und Sophie ». Il nous
invite à la parcourir à son exemple pour atteindre
non seulement la Source de Vie, mais aussi le seuil
où se manifeste la noble Vierge, selon l’expression
de Jacob Boehme, de Sophia, la Sagesse
divine.
Novalis
« Il est merveilleux de s’approcher du cœur et de
l’âme d’un homme tel que Novalis. Il surgit de la
profondeur de la vie spirituelle occidentale, plongé
lui-même dans la nostalgie du monde spirituel.
Laissons-nous influencer par le fait qu’au cours de
sa brève incarnation il permit aux mondes spirituels
de se déverser dans son cœur juvénile, ces mondes
qui étaient pour lui illuminés par l’impulsion
christique. Alors nous ressentirons cela comme une
invitation faite à notre propre âme, à notre propre
cœur à le rejoindre dans la quête qu’il poursuivit,
au cours de sa brève existence, vers le but qui
brillait devant lui comme une grande lumière. Notre
sentiment est que, dans cette incarnation, il fut
l’un des prophètes des temps modernes de ce que nous
recherchons dans les mondes spirituels. Nous avons
l’impression que le meilleur enthousiasme pour cette
recherche est celui qui vivait dans le cœur et l’âme
d’un Novalis intimement imprégné de l’impulsion
christique. »
« Mes chers amis, un cœur aussi plein de vénération
et d’amour est un modèle pour tout ce qui veut
s’abandonner à un sentiment de vénération et d’amour
pur, véritable et dévoué. Un cœur comme celui-là
peut exprimer les mystères du monde et de l’âme
humaine de la façon la plus simple. C’est pourquoi
les paroles que nous entendons de la bouche de
Novalis ont souvent la valeur d’un écho de ce qui
est toujours monté du triple courant de l’humanité
vers l'Esprit avec tant de nostalgie, et aussi
parfois tant de lumière. »
« Novalis peut nous servir d’éclaireur, d’étoile
conductrice pour que, le suivant dans notre
sentiment, nous ayons aussi la volonté de nous
élever jusqu’à lui dans la connaissance. En même
temps, nous devons nous appliquer, avec une volonté
vivante, à apporter la vérité aux cœurs qui
cherchent l’esprit dans la vérité. »
Rudolf Steiner
HENRY CORBIN
L’œuvre magistrale de Henry Corbin (1903-1978) est
celle d’un « passeur » entre l’Orient et l’Occident,
qui s’est attaché plus particulièrement, mais non
exclusivement, à l’étude de la philosophie
iranienne, ou plutôt de la théosophie ou de la gnose
iraniennes, établissant de multiples rapprochements
avec nombre de courants de la spiritualité
chrétienne d’Occident. Les auteurs qu’il a traduits
et longuement commentés s’attardent tous à la
description de ce monde imaginal – qui n’est
pas l’imaginaire – qui constitue l’apport majeur de
Henry Corbin à la philosophie occidentale. Ce
dernier aura tenté également de ressusciter une
chevalerie spirituelle d’Orient et d’Occident,
susceptible de rassembler juifs, chrétiens et
musulmans, dans une même aspiration à la vie de
l’Esprit. Sa pensée est orientale dans le
sens où il disait : « L’Orient désigne le monde
spirituel qui est l’Orient majeur auquel se lève le
pur soleil intelligible, et les « Orientaux » sont
ceux dont la demeure intérieure reçoit les feux de
cette éternelle aurore. » |