HENRI D'OFTERDINGEN

"Il faut voir dans mon roman l'antipathie envers la lumière et l'ombre, la nostalgie de l'Éther clair, chaud et pénétrant" (18 juin 1800)

SOMMAIRE

> Dédicace à Henri d'Ofterdingen

> Soulima

> Astralis

> Voir le commentaire de Marcel Brion

Voir aussi

Heinrich Steffens : "J'ai fait la connaissance de Novalis à Iéna."

 

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[ Retour à Novalis - Anthologie ]

 

«Un livre de déraison où se défait l'enfantillage de la logique des idées, pour une auscultation plus complète de l'être et une quête de la véritable cohérence dans le jeu incertain et la métamorphose des images qui s'interpellent et se répondent sur tous les plans imaginables où peut se trouver son empreinte. »

Préface d'Armel Guerne à L'Âme insurgée, éd. Phébus, Paris, 1977

 

"Mon roman avance à grands pas : douze cahiers imprimés sont à peu près terminés. Tout le plan repose, passablement détaillé, dans mon esprit. Il y aura deux volumes ; j'espère avoir terminé le premier dans trois semaines. Il contiendra les prémices et le piédestal de la deuxième partie. L'ensemble sera une apothéose de la poésie. Henri d'Ofterdingen acquiert la maturité poétique dans la première partie, pour être transfiguré en poète dans la seconde. Il aura maintes ressemblances avec le Sternbald, sauf la légèreté ; mais ce défaut ne sera peut-être pas préjudiciable à son contenu. Ce sera une première tentative à tous points de vue, le premier fruit de la Poésie réveillée en moi : sa résurrection est le plus grand mérite de ta rencontre. Parmi les spéculatifs, j'étais devenu complètement spéculation. Il s'y trouve quelques chants à ma manière. Je me complais beaucoup dans la romance proprement dite. Je tirerai de mon roman un profit multiple, - ma tête grouille d'idées de romans et de comédies. Si je te vois prochainement, j'apporterai à titre d'échantillon un récit et un conte extraits de mon roman."

Novalis, lettre à Ludwig Tieck, 23 février 1800

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Lorsque nombres et figures ne seront plus

La clef de toutes créatures,

Lorsque tous ceux qui s'embrassent et chantent

En sauront plus que les savants profonds,

Lorsque le monde reprendra sa liberté

Et reviendra au monde se donner,

Lorsqu'en une clarté pure et sereine alors

Ombre et lumière de nouveau s'épouseront,

Et lorsque dans les contes et les poésies

On apprendra l'histoire des cosmogonies,

C'est là que s'enfuira devant un mot secret

Le contresens entier de la réalité. 

 

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La Fleur bleue

"Il [Henri] se trouvait sur un moelleux gazon, tout au bord d'une source qui sortait en plein air, et où ses eaux, apparemment, s'évanouissaient. Des roches d'un bleu sombre striées de veines multicolores se dressaient à une certaine distance : mais la lumière du jour était plus limpide et plus douce autour de lui que d'ordinaire, et le ciel, d'un azur presque noir, était parfaitement pur. Ce qui, pourtant, le fascinait avec la force irrésistible d'un charme tout-puissant, c'était, et ici-même, tout auprès de la source, une fleur élancée et d'un bleu lumineux qui l'effleurait de ses larges feuilles resplendissantes. Des fleurs sans nombre et de toutes les couleurs se pressaient autour d'elle, embaumant l'air du plus exquis parfum. Il ne voyait cependant que la seule fleur bleue, et longuement, avec une tendresse qu'on ne saurait dire, il attacha ses regards sur elle. A la fin, comme il voulait s'approcher d'elle, il la vit tout soudain qui bougeait et commençait à se transformer ; les feuilles se faisaient de plus en plus brillantes et venaient se coller contre la tige, qui elle-même grandissait ; la Fleur alors se pencha vers lui, et ses pétales épanouis se déployèrent en une large collerette bleue qui s'ouvrait délicatement sur les traits exquis d'un doux visage. Dans un étonnement émerveillé et délicieux qui ne cessait de croître, il suivait la métamorphose singulière, quand, brusquement, il fut réveillé par la voix de sa mère et se retrouva là, sous le toit paternel, dans la chambre commune où le soleil matinal, déjà, mettait son or."