GOETHE

Ou L’Eternellement – Féminin

 

 

 

 

 

Cercle "Boehme - Novalis" : Saxe et Thuringe, 2-7 juillet 2004

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Goethe

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A propos de Rudolf Steiner

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La personnalité de Goethe a fait l’objet de tellement d’études et ses œuvres de tant de commentaires qu’il ne sera question aujourd’hui que de simples réflexions en relation avec son séjour à Weimar.

            Certes, sous le rapport de l’ésotérisme occidental, il aurait été possible de s’attacher à quelques contes de Goethe, le fameux Serpent vert, par exemple, ou encore au très singulier personnage de Macarie, dans les Années de voyages de Wilhelm Meister, une étrange figure féminine qui semble avoir été imaginée par Swedenborg lui-même : « Macarie se trouve, avec notre système solaire, dans un rapport que l’on ose à peine se risquer à décrire. Non seulement elle le porte, elle le contemple dans son esprit, son âme, son imagination, mais elle en fait en quelque sorte partie ; elle se voit entraînée dans ces orbites célestes, mais d’une façon toute particulière : elle gravite, depuis son enfance, autour du soleil et, comme la science l’a découvert aujourd’hui, en spirales s’éloignant toujours du centre et s’acheminant vers les régions extérieures. » Cependant Goethe n’est pas un ésotériste, comme son ami Lavater, par exemple,  même si l’on rencontre dans son œuvre des allusions un peu mystérieuses et qui résistent  toujours d’ailleurs à l’interprétation. Il reste que si Goethe peut nous apprendre quelque chose qui se rapporte à l’ésotérisme, c’est, sans doute, moins dans ses œuvres scientifiques, que dans le Final du second Faust qu’il faut aller l’y chercher.         

             

WEIMAR

 

Goethe dans le miroir de Rudolf Steiner

 

« J’entrai dans la vie active ainsi que dans la sphère des sciences, à l’époque où je reçus l’accueil hospitalier de Weimar ; de cette ville où indépendamment d’autres avantages appréciables, j’eus le bonheur de pouvoir échanger l’air des appartements et des cités, contre l’atmosphère des champs, des jardins et des forêts ». C’est par conséquent à Weimar que Goethe, déjà célèbre, s’est engagé dans les études scientifiques dont il dira, à la fin de sa vie : 

            « Nous voguons vers des hypothèses, vers des îles imaginaires, mais la véritable synthèse restera probablement une terre inconnue. Et cela ne me surprend pas, quand je pense combien il a été difficile, même en des matières aussi simples que la plante et la couleur, de parvenir à une synthèse » (Conversations de Goethe avec Eckermann, 13 février 1929).

             On sait également qu’au cours de son voyage en Italie, et plus exactement à Palerme, en avril 1787, Goethe eut l’intuition d’une « plante-mère », ou originelle, dont chaque plante serait l’une des multiples formations dans le monde terrestre :

            « Devant tellement de formes nouvelles et renouvelées, mon esprit fut saisi par une ancienne chimère : dans ce foisonnement, ne me serait-il pas donné de découvrir la plante originelle ? Une telle plante doit bien exister ! Car sinon, comment pourrais-je reconnaître que telle formation est une plante, si toutes n’étaient pas formées sur le même modèle »

 

   Rudolf Steiner, pour sa part, a résidé à Weimar de 1891 à 1897, où lui avait été confiée la charge d’établir l’édition des Œuvres scientifiques de Goethe, qui étaient demeurées pour la plupart inédites. Déjà, il avait eu l’occasion de vérifier que, pour observer la nature, l’expérience sensible est insuffisante : « Pour qui ne perçoit que par les sens, dira-t-il, le monde n’est qu’une illusion ». Or, l’étude des archives de Goethe a constitué un moment important dans la formation du jeune Steiner – et qui explique également que l’Anthroposophie soit demeurée occidentale : « La forme sensible supra sensible dont parle Goethe se place entre les impressions reçues des sens et la pure contemplation de l’esprit. »

            Telle est par conséquent la leçon que Rudolf Steiner retiendra de Goethe : la part de l’imagination créatrice dans la connaissance de l’univers.

 

            Pourquoi, dès lors, a-t-on pu écrire de Goethe, en relation justement avec Rudolf Steiner, que « l’Olympien de Weimar satisfait le penseur, mais le voyant doit aller plus loin. Il n’a construit qu’une arche du pont qui fera passer des faits sensibles à ceux de l’esprit ». C’est que Goethe ne semble pas s’être élevé au-delà du monde supraterrestre. Pour cette raison Rudolf Steiner lui-même écrira : « Pendant mon séjour à Weimar, cette question s’est posée à moi toujours plus pressante : Comment édifier sur les bases posées par Goethe, une connaissance contemplative plus haute ? Comment remonter AVEC LA PENSÉE depuis ce qu’il a vu jusqu’à une conception qui puisse aussi englober l’expérience spirituelle telle qu’elle s’est révélée à moi ? »

  Ceci pour Rudolf Steiner.

 

  Car il est dit aussi que « le génie véritable, même séparé longtemps de la pensée du ciel, y revient toujours, comme au but inévitable de toute science et de toute activité. » Et surtout que « chaque démarche du Christ, chacune de ses paroles, tend à témoigner d’une réalité supérieure. En partant des données communes, toujours il monte et entraîne vers les hauteurs ». Or, ce sont ces « hauteurs » que Goethe atteignit au soir de son existence, dans le second Faust, et plus exactement dans le Final du second Faust :

 

« Chorus mysticus.

– Tout l’Éphémère n’est qu’un symbole ;

L’Imparfait trouve ici son accomplissement ;

L’Ineffable ici se réalise.

L’Éternel féminin nous attire en haut »

 

            Cet Éternel Féminin, en effet, évoque bien plus que le Monde de l’âme, le monde intermédiaire ou supraterrestre. Il fait référence au Monde céleste, parce qu’il est, comme l’écrira Henry Corbin « un Eternellement-Féminin, antérieur même à la femme terrestre, parce qu’antérieur à la différenciation du masculin et du féminin dans le monde terrestre, de même que la Terre supracéleste domine toutes les Terres, célestes et terrestres, et leur préexiste ».

 

  Voici justement comment Henry Corbin interprète l’Éternel Féminin selon Goethe : « C'est d'un monde où socialisation et spécialisation n'arracheraient plus à chaque âme son individualité, sa perception spontanée de la vie des choses et du sens religieux de la beauté des êtres; un monde où l'amour devrait précéder toute connaissance; où le sens de la mort ne serait que la nostalgie de la résurrection. Si tout cela même peut encore être pressenti, la conclusion du second Faust nous l'annonce comme un mystère de salut qu'accomplit l'Éternellement-Féminin (das Ewig-Weibliche), comme si l'appel ne pouvait venir d'ailleurs pour qu'il y soit répondu avec un assentiment confiant – l'appel impérieux : « Meurs et deviens! ».

 

            Telle apparaît la leçon du Final du second Faust.

   Est-ce à dire qu’il s’agit aussi de la leçon de l’œuvre et de la vie de Goethe ? C’est en tout cas, fût-ce de manière singulière par rapport à l’œuvre toute entière de Goethe, comme l’ébauche de cette seconde arche du pont qui fait passer à « une connaissance contemplative plus haute », pour reprendre le mot de Rudolf Steiner : le pouvoir de l’intercession féminine, qui est fondamentalement médiation, quelle que figure féminine que prenne l’âme de l’initié, dans l’ordre de la fidélité d’amour (Béatrice, Sophie), de la charité chrétienne (sainte Elisabeth de Hongrie), ou encore de la christosophie (Sophia).

  C’est ce mystère de l’Éternel Féminin qui semble avoir élevé Goethe vers le monde supracéleste, ce mystère qui tient, dans le monde viril de la connaissance, à l’intercession des femmes, dont il dira un jour à Eckermann qu’elles sont « des coupes d’argent où nous disposons des pommes d’or »  (22 octobre 1828).