ÉSOTÉRISME CHRÉTIEN ET POST-MODERNITE

« Il suffirait de restituer à la doctrine de [ l’Église catholique ], sans rien changer à la forme religieuse sous laquelle elle se présente au dehors, le sens profond qu’elle a réellement en elle-même, mais dont ses représentants actuels paraissent n’avoir plus conscience, non plus que son unité essentielle avec les autres formes traditionnelles. »

René Guénon

Bibliographie succincte

> René Guénon

La crise du monde moderne, Gallimard, 1946

Aperçus sur l’ésotérisme chrétien, Éditions traditionnelles, Paris, 1973

L’ésotérisme de Dante, Gallimard, 1977

Symboles fondamentaux de la Science sacrée, Gallimard, 1980

Autorité spirituelle et pouvoir temporel, Éditions Véga, 1994

Cahier de l’Herne, René Guénon, 1985

> Arnaud Guyot-Jeannin, Enquête sur la Tradition aujourd’hui, Guy Trédaniel Editeur, 1996

> Frithjof Schuon, L’œil du cœur, L’Age d’Homme / Delphica, 1995

> Julius Evola, Le mystère du Graal, Éditions traditionnelles, Paris, 1985

> Frédéric Boutet, Les Aventuriers du Mystère, Gallimard, 1927

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Retour à Ésotérisme chrétien

Les espoirs que René Guénon fondait en 1927, lors de la rédaction de La crise du monde moderne, ou ceux de Julius Evola, quelques années plus tard, avec sa Révolte contre le monde moderne, en 1952, sont-ils encore d’actualité ? On peut légitimement s’interroger sur les chances d’une revivification de la Tradition alors que les religions elles-mêmes sont désormais atteintes dans leurs fondements. De ce point de vue, malgré de très intéressantes tentatives chez les juifs (le courant Loubavitch) et les musulmans (les Frères musulmans, l’imam Khomeiny) – que l’esprit moderne qualifie de réactionnaires -, malgré la vigilance de l’Église catholique en matière de dogme, - régulièrement caricaturée en inquisition – force est de constater que quelque chose se met en place qu’on appelle « la deuxième religiosité ».

De ce point de vue, également, il n’est pas inutile de rappeler que l’histoire du monde occidental est une suite d’usurpations des pouvoirs par des classes toujours plus inférieures (du pouvoir sacerdotal au pouvoir royal contestant l’autorité du premier, du pouvoir royal à la Révolution et donc au pouvoir de la bourgeoisie, auquel succède celui du prolétariat). Il n’est pas question ici de discuter la validité de cette interprétation , mais de s’arrêter à sa conclusion :

« Et comme l’usurpation appelle l’usurpation, après les Vaishyas, ce sont maintenant les Shudras qui, à leur tour, aspirent à la domination : c’est là très exactement, la signification du bolchevisme. Nous ne voulons à cet égard, formuler aucune prévision, mais il ne serait sans doute pas bien difficile de tirer, de ce qui précède, certaines conséquences pour l’avenir : si les éléments sociaux les plus inférieurs accèdent au pouvoir d’une façon ou d’une autre, leur règne sera vraisemblablement le plus bref de tous, et il marquera la dernière phase d’un certain cycle historique, puisqu’il n’est pas possible de descendre plus bas ; si même un tel événement n’a pas une portée plus générale, il est donc à supposer qu’il sera tout au moins, pour l’Occident, la fin de la période moderne. »

Ces lignes ont été écrites en 1929 et elles sont prophétiques, puisqu’elles se trouvent confirmées à la fois par l’effondrement récent des états marxistes et par l’émergence de ce qu’on désigne comme la post-modernité, où le pouvoir n’appartient plus à aucune classe sociale, mais à des groupes de pression dispersés sur la planète et ce dans le cadre plus général de la mondialisation.

Parallèlement, les religions qui s’étaient maintenues, fût-ce dans des conditions dramatiques – « l’Eglise du silence » - se trouvent désormais confrontées à un phénomène nouveau nommé la « deuxième religiosité ».

Qu’appelle-t-on « deuxième religiosité » ?

Julius Evola en parlait déjà, en 1961, comme « quelque chose d'hybride, de déliquescent et de sub-intellectuel » . L'humanité est entrée, en effet, dans un nouveau cycle post-moderne qui se caractérise par une confusion grandissante des esprits qui ne porte plus seulement sur l’ésotérisme mais sur les dogmes eux-mêmes des religions.

Ainsi les Baha’is, le New Age, voire certains mouvements pentecôtistes, apparaissent-ils, dans leur désir de syncrétisme, leur œcuménisme mal compris, comme les promoteurs d’une idée maîtresse de l’ésotérisme, mais qui ne peut être considérée qu’à la hauteur de spiritualité qu’elle suppose, et non comme un irénisme, à savoir l’unité des formes traditionnelles. C’est quelque chose d’assez tragique si l’on veut bien y réfléchir, comme toute parodie d’une idée qui ne peut se soutenir qu’à un degré supérieur de conscience. Dans le même ordre d’idées on notera la condamnation de l’esprit d’Assise par des mouvements fondamentalistes chrétiens incapables de s’élever au-dessus de la Loi…

Il y a plus grave : l’émergence d’un néo-spiritualisme, assez proche des courants gnostiques de la fin du siècle dernier, et parfois s’y rattachant, mais qui prolifère – en particulier dans le monde virtuel de l’Internet, - et ajoute à la confusion des esprits en répandant une forme parodique de l’ésotérisme. Ce néo-spiritualisme particulièrement dangereux ne constitue rien d’autre qu’une quête du Graal à l’envers.

On ne sait finalement quel est le danger le plus grand, de la nouvelle religiosité qui se caractérise par une confusion complète des repères religieux ou de la perversion du néo-spiritualisme… Ce qui est certain, c'est que les religions du Livre se trouvent désormais au coude à coude avec le New Age, les sectes et le néo-spiritualisme. Il ne s’agit plus désormais pour les religions de combattre des hérésies, comme au temps de l’arianisme, non plus que des religions « rivales », comme cela fut le cas avec l’islam, mais d’affronter confusion et perversion, telles qu’elles s’offrent à une multitude d’âmes sans guides spirituels et engagées désormais à la suite d’un grand nombre de « faux prophètes ».

Or, c'est depuis l'avènement de la mondialisation - en terme économique - du New World Order, - au plan politique -, ainsi que de la globalisation technologique qu’une deuxième religiosité se répand toujours plus, aussi bien dans le monde réel que dans le monde virtuel, avec un néo-spiritualisme qui trouve dans la réalité virtuelle son véritable mode d'expression. Si la religion, si l'incroyance même se voient à ce point débordées par la nouvelle religiosité et si la spiritualité ne s'exprime plus que sous des formes parodiques, on peut légitimement se demander si la fracture n'est pas plus profonde qu'il n'y paraît.

Il se pourrait alors que l'humanité se trouve en état de mort spirituelle, et que la terrible sentence des grands Maîtres d'Alamut, devienne un jour la nouvelle Loi commune : "Rien n'est vrai, Tout est permis", comme la parodie, à l'échelle du monde, de la Grande Résurrection.

©1998, Jean Moncelon