POINT DE VUE SUR L'ŒUVRE DE RENÉ GUENON

 

« A Jacques le Juste, à Jean et à Pierre, le Seigneur après sa résurrection donna la gnose ; ceux-ci la donnèrent aux autres apôtres ; les autres apôtres la donnèrent aux 70, dont l'un était Barnabé »

            Clément d’Alexandrie

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SOMMAIRE

Hommage

Bibliographie

Aspects biographiques

Témoignage sur Henry Corbin

Témoignages sur Louis Massignon

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Marie-Madeleine Davy, Dossier H, « René Guénon », L’Age d’homme, 1984

"La gnose, l'ésotérisme ne concernent pas d'autres vérités que la simple foi toutefois, par l'approfondissement qu'ils suscitent, ils en changent la teneur. Ce qui est vrai à un certain niveau devient faux à un autre échelon. D'où cette différenciation de la connaissance entre l'état animal, psychique et spirituel dont a parlé Philon. On pourrait peut-être dire que les secrets se cachent dans la mesure où il n'y a personne pour les découvrir. Ils deviennent perceptibles et s'offrent au déchiffrement de ceux qui possèdent le goût des mystères, qu'il s'agisse de l'Orient ou de l'Occident.

 

       Guénon a signalé l'excellence du Moyen Age occidental à l'égard de l'enseignement secret. On peut penser que les moines, les professeurs, les alchimistes n'eurent pas à cette époque le monopole de la connaissance. Le peuple illettré possédait un sens profond des mystères qui était passé dans sa vie. Il connaissait en partie la parole des Écritures. D'une manière naïve, il vivait l'union du macrocosme et du microcosme. La nature était pour lui reflet et l'art avec ses images et ses symboles lui livrait un enseignement. Sa piété simple, sont goût du merveilleux lui ouvraient des portes aujourd'hui closes. L'urbanisme n'avait pas encore laïcisé l'homme ! Que depuis des siècles on présente une caricature du christianisme, personne d'un peu averti ne pourrait le nier.

 

       Toutefois on ne saurait désespérer. L'élan spirituel du Moyen Age est venu des siècles après la conversion de l'Occident chrétien à la dimension temporelle. Lors du baptême de Constantin, ce n'est pas le César qui est devenu chrétien, mais le pouvoir spirituel qui, en se « césarisant », s'est déchristianisé.

 

       La nouveauté de notre temps est sans doute d'avoir l'audace de comprendre que l'essentiel n'est plus à chercher dans les voies qui durant des siècles ont été les nôtres. L'homme n'a plus à recevoir une formation provenant de l'extérieur.  Signalant la dualité occidentale, Guénon a montré que par exemple en Inde « il est impossible de parler d'ésotérisme, en raison de l'absence d'une doctrine à deux faces, exotérique et ésotérique ». C'est là tout le problème de ladvaita qui a tant angoissé Henri Le Saux. Celui-ci n'a pu découvrir l'unité à l'intérieur du vrai christianisme qu'après la méditation des Upanishads. Selon Henri le Saux (Swami Abhishiktananda), le passage au-delà des oppositions ne s'effectue que par une plongée dans son propre fond « en totale liberté et en absolue disponibilité à l'Esprit ». L'homme ne peut atteindre son propre fond que par un dépouillement rigoureux qui consiste à enlever tout ce qui voile la source. Ce n'est pas forcément la mondanité qui cache les secrets, mais l'idolâtrie, qui sévit à l'état endémique dans les zones religieuses de l'homme. Lorsque l'homme émergeant de sa pesanteur s'éveille, il s'aperçoit que le haut et le bas, le céleste et le terrestre, l'ésotérisme et l'exotérisme sont autant de mots privés de sens. Les termes d'Orient et d'Occident partagent un sort identique : toute dualité s'efface.

 

       Il importe peut-être de modifier la vision proposée par René Guénon à propos de la métaphysique, de la tradition et de l'ésotérisme. L'ère de la métaphysique apparaît close ou plutôt la métaphysique pure va se transformer en métaphysique d'intériorité. Quant à la Tradition, il convient sans doute de ne plus la rechercher uniquement à travers des intermédiaires. Constater la carence occidentale et interroger des gurus orientaux est - d'une certaine manière - retarder une inéluctable échéance.

       L'homme de la nouvelle époque, qui déjà s'ébauche, est d'abord invité à connaître sa propre tradition avant de s'enrichir au contact de celle d'autrui. Ainsi la connaissance de la tradition chrétienne s'avère nécessaire pour mieux saisir l'ampleur et la consonance des autres traditions. Car l'homme nouveau est d'abord appelé à vivre sa solitude et à l'assumer. Le besoin de quêter ici et là risque d'appartenir à une forme de mondanité relevant davantage de la psychologie que de la vie de l'esprit.

       C'est donc vers l'intériorité que l'homme nouveau doit diriger son attention.  Habiter avec soi (habitare secum), permet de recevoir la fulgurance des révélations qui jaillissent dans le silence. Tel est le merveilleux héritage de l'homme qui accueille son Esprit-Saint, son « intellect agent », dans un au-delà de tous les systèmes.

       René Guénon a tracé une voie dont on ne saurait mésestimer la valeur. Elle conserve son essentialité à l'égard d'une époque donnée. Aujourd'hui, l'homme moderne tend à se libérer du poids non seulement des institutions, mais de certaines manières de voir et de vivre les traditions. En s'universalisant, il s'ordonne à une plus grande simplification, fruit de son intériorité.

        Au IVème siècle, les Pères du Désert demandaient volontiers aux anciens une « parole de salut », c'est-à-dire une « parole de vie ». Aujourd'hui, l'homme est invité à s'adresser à son propre maître intérieur dans le mystère de sa dimension de profondeur."