"Il est
né pour voyager. Son père était ministre responsable de la légation
britannique à Addis-Abeba. Ses premiers souvenirs furent des visions
"de chameaux et de tentes, de rivière et d'hommes tenant des
lances". (...)
Il retourna en Éthiopie en 1930 pour le
couronnement de Hailé Sélassié. Ensuite, il traversa le pays des Afars,
les cousins germains des fuzzy-wuzzies
de Kipling, à l'incroyable cruauté. (...) Le voyage chez les Afars fixa la
ligne de conduite d'une vie qui se mua en un perpétuel vagabondage dans des
contrées sauvages. On le trouve administrateur au Service politique du
Soudan, dans la Zone vide - le Désert des déserts -, dans les marécages
du Sud irakien, avec la migration de printemps des Bakhtiyaris, avec les
Kurdes du Zagros ou les Kafirs de l'Hindou Kouch, observant les avions de
Nasser bombarder les royalistes yéménites, ou vivant, comme il le fait
aujourd'hui, sous une tente en abattant de temps à autre un animal pour se
nourrir, parmi les éleveurs de bétail de Samburu au nord du Kenya.
Thesiger ne cache pas sa conviction selon
laquelle le monde héroïque des pasteurs nomades est plus beau - moralement
et physiquement - que la vie des civilisations sédentaires : "Tout ce
qu'il y a de mieux chez les Arabes est venu du désert." (...)
Thesiger n'est pas un nomade, mais un
voyageur chez qui le sens ancien du mot anglais travel (voyage),
"travail", a été rétabli. Il écrit à un moment que les
cartilages de son genou s'étaient usés et qu'il se l'était fait enlever.
Son livre [ Desert, Marsh and Mountain ] n'est affecté d'aucun
sous-entendu métaphysique. Il demeure toujours le gentleman explorateur
anglais. Mais la forme d'ascétisme qu'il a pratiquée pendant plus de
cinquante ans le place dans une autre catégorie de voyageurs, les Pères du
Désert, les pèlerins irlandais, les fakirs, les vagabonds célestes de
l'Inde ou les esprits merveilleux comme le poète Li Bo qui voyageait pour
découvrir le "grand calme" qui est peut-être l'équivalent de la
paix de Dieu.
On disait de Bouddha qu'il avait
"trouvé l'Ancienne Voie et qu'il l'a[vait] suivie", et que les
dernières paroles qu'il adressa à ses disciples furent : "Poursuivez
votre chemin!" Il n'est pas déraisonnable de penser que les premiers
hommes firent de longs voyages dans les savanes sauvages couvertes
d'épineux et d'herbes coupantes au sud du Sahara. Thesiger, semble-t-il,
est retourné à l'origine."
Bruce Chatwin, Anatomie de l'errance,
Grasset, 1996 |