TÉMOIGNAGES

"Il dit qu'il rogne sa vie pour atteindre à la glorieuse simplicité de la glace et qu'il veut s'y cramponner. Il dit que Bruce Chatwin a écrit que si le monde a un avenir, il est ascétique." Nikki Gemmell, Traversée, 10/18, 2000 

  Retour à Bruce Chatwin - Voir aussi Bruce Chatwin à Sotheby's -Peter Levi : "Bruce Chatwin était, sous bien des rapports, le compagnon idéal"

 

Redmond O'Hanlon

"Sur la route de Llanthony, nous avons marché sous la grêle, et Bruce m'a raconté qu'un jour une femelle d'albatros avait migré vers le nord, vers le mauvais hémisphère, pour aller bâtir son nid aux îles Shetland, où elle avait attendu en vain que le mâle vînt la rejoindre.

Parlé aussi du train que lui-même avait pris à la gare de King's Cross pour aller la voir, et du seul autre voyageur qu'il avait trouvé dans son compartiment-couchettes : un Fuégien ("qui se rendait sur les plates-formes pétrolières de la mer du Nord... Ces gars-là, c'est les seuls à pouvoir vous lancer une amarre dans l'organeau d'une bouée") dont il connaissait le village, étrange coïncidence, pour y être passé lors du voyage d'où était né En Patagonie.

Il m'a dit son amour pour les bergers nomades du Soudan, parlé des monnaies romaines que l'on fait clandestinement sortir de Turquie, d'un dessin de roue préhistorique établissant l'existence d'un lien entre les Irlandais et une sous-ethnie du Caucase (en tout cas, c'est ce qu'il me semble avoir compris), et aussi de son grand rêve : écrire un roman dont l'histoire se passerait en Russie."

"J'ai vu Bruce pour la dernière fois dans la maison lumineuse d'Elizabeth, orientée en plein midi, face à une vallée du comté d'Oxford. Alité dans sa propre chambre, il avait disposé sur son couvre-pied des livres, et sur une caisse, près du chevet, le manuscrit d'un romancier débutant qu'il avait pris en amitié. Sur la table de chevet étaient entassées des cassettes de jeunes musiciens à qui il avait prodigué ses encouragements. Aux murs de la pièce étaient accrochées les icônes russes qu'il venait d'acquérir.

Bien qu'il fût si faible et si émacié qu'on voyait sous la peau de ses bras la blancheur du squelette, il gardait à portée de main son téléphone, ne cessant d'appeler dans le monde entier ses amis, et de recevoir leurs appels."

"Souvenirs de Bruce Chatwin", Étonnants voyageurs, Flammarion, 1999

Francis Wyndham

"C'est peut-être pour cette dernière qualité qu'il était le plus apprécié de ses amis. Il savait découvrir chez eux ce qui les intéressait et il réagissait immédiatement. Non seulement il comprenait ces intérêts, mais il les approfondissait et, allant jusqu'à se détourner de son chemin pour les pousser plus loin encore, il envoyait, des endroits les plus surprenants, des cartes postales contenant des données pertinentes et éclairantes. Chatwin était un être multiple et il avait en conséquence de nombreux amis très différents entre eux. On lui a reproché de les maintenir dans des compartiments séparés, mais je ne crois pas qu'il agissait ainsi de manière délibérée. Il ne voyait pas les choses comme cela. En fait, je sais qu'en plusieurs occasions il a pris la peine de faire se rencontrer des gens qui auparavant ne se connaissaient pas ; mais il demeurait trop rarement assez longtemps dans un même lieu pour que cela se produisit régulièrement. Certains de ses amis ont tendance à être légèrement possessifs à son sujet, mais lui n'était pas possessif avec eux. Après des mois d'absence il apparaissait soudain et pendant des jours, peut-être des semaines, les relations stimulantes étaient ranimées avec aisance et bonheur avant qu'il ne disparût de nouveau."

in Bruce Chatwin, Photographies et carnets de voyage, Grasset, 1993

Salman Rushdie

"Un détail qui m'a beaucoup frappé. Des motels où nous arrêtions, Bruce passait d'innombrables coups de téléphone. Il semblait avoir les numéros de tous les habitants de la planète dans ses célèbres carnets de moleskine noire. Quand il avait quelqu'un au bout du fil, il se contentait toujours de dire : "Allô, c'est Bruce."

"Bruce aborde tous les sujets. Rien de ce qui existe sous le soleil ne lui est étranger. Je me souviens d'un long exposé sur le romancier Eça de Queiroz. Du récit de son escalade des premiers contreforts de l'Everest. Et de mille petites parenthèses étymologiques."

"Allô, c'est Bruce", Étonnants voyageurs, Flammarion, 1999