Chant IV Entre les mille bonnes heures / Qu'a pu me
réserver la vie, / Fidèle, une seule me reste : / L'heure en proie à mille douleurs, /
Où j'ai connu du fond du cœur / Qui était mort pour nous.
Mon univers était brisé, / Comme habité d'un
ver rongeur, / Mon cœur se fanait en sa fleur ; / Tout de ma vie, et mes espoirs / Tout
gisait au fond d'une tombe, / Et je restais, moi, pour souffrir.
Je me morfondais en silence, / Pleurant sans
fin, voulant mourir / Mais, fou d'angoisse, n'osant pas. / Là tout à coup,
d'en-haut me
semble-t-il, / On a enlevé la pierre du tombeau, / Et je sentis mon cœur s'ouvrir.
Qui ai-je vu? et qui, lui donnant la main /
Ai-je pu voir? Ne le demandez pas. / Je ne verrai jamais plus qu'eux ; / Et de toutes les
heures de ma vie / C'est elle seule, ainsi que mes blessures, / Qui reste ouverte et
vivante éternellement.
Chant VI
Un petit nombre seulement / Sait le
mystère de l'amour / Éprouve l'insatisfaction / Et la soif éternelle. / La signification
/ Divine de la Cène / Aux sens humains est une énigme. / Mais qui jamais a bu / Sur de
brûlantes lèvres bien-aimées / La souffle de la vie ; / Senti son cur, au saint
embrasement, / se fondre en ondes frémissantes ; / Qui a ouvert les yeux / pour mesurer
l'abîme / Insondable du ciel : / Il mangera, celui-là, de son Corps / Et boira de Son
Sang / A jamais éternel.
Le corps terrestre, qui en a / Déchiffré le
sublime sens? / Qui peut affirmer / Avoir compris le sang? / Un jour, tout sera corps, /
Unique corps, / Et dans le sang céleste baignera / Le couple bienheureux. / - Oh!
l'immense océan, / Que ne se rougit-il pas déjà! / Et le rocher, que n'émerge-t-il
pas, / Que n'est-il chair exquise et parfumée! / Jamais il n'a de fin, le festin de
délices, / Et jamais l'amour ne se rassasie. / Il ne possède l'être aimé jamais assez,
/ Ni d'une étreinte assez profonde et personnelle.
Par des lèvres toujours un peu plus délicates,
/ L'aliment absorbé se change toujours plus, / Se fait plus intérieur, plus intime et
plus proche. / L'âme vibre et frissonne / D'une plus haute et chaleureuse volupté ; /
Toujours plus affamé, / Plus assoiffé devient le cur : / Et c'est ainsi qu'à
travers les éternités / La volupté d'amour dure et se perpétue. / Ceux qui restent à
jeun, / S'ils y avaient goûté seulement une fois, / Ils laisseraient tout là / Et
viendraient avec nous s'asseoir / A la table dressée et jamais vide / Du Fervent Désir.
/ Ils y reconnaîtraient / L'inépuisable plénitude de l'Amour, / Et célébreraient la
consommation / Du Corps et du Sang.
Chant XIII
Aux pires heures de
détresse / Quand le coeur est près de flancher, / Quand l'angoisse est
là qui nous ronge, / Du mal qui va nous emporter : / Songeant au
chagrin, à la peine / Qui vont peser sur ceux qu'on aime, / Nos yeux
sont voilés d'un nuage / Où ne perce plus nul espoir.
Oh! c'est alors Dieu qui se penche / Et nous approche Son amour; / Quand
nous n'aspirons qu'à mourir, / Son Ange vient et nous assiste, / Portant
le calice de Vie, / Glissant en nous le réconfort; / On ne demande pas en
vain / Aussi Sa paix pour ceux qu'on aime.
Chant XV
En mille tableaux je Te vois, / Marie,
adorablement peinte ; / Mais nul ne Te saurait montrer / Telle que
T'entrevoit mon âme.
Je sais seulement que le bruit du monde / S'est
évanoui, depuis, comme un songe, / Et que l'immensité d'un ciel tout de douceur /
Ineffable à jamais se repose en mon cur.
|