"En ce qui concerne le caractère de son génie, ou
plutôt peut-être de sa signification littéraire, et
la forme sous laquelle il manifesta son génie, Tieck
pense qu’il peut être comparé à Dante : « C’était
devenu chez lui », dit-il, « une disposition toute
naturelle, de regarder les choses les plus
ordinaires et les plus proches comme un prodige, et
les choses étrangères, surnaturelles, comme on ne
sait quoi d’ordinaire ; la vie quotidienne elle-même
des hommes était autour de lui comme une fable
étonnante, et ces régions dont la plupart rêvent ou
doutent comme d'une chose distante,
incompréhensible, étaient pour lui une demeure
familière et bien-aimée. Il se fit ainsi, non
corrompu par les exemples, une nouvelle méthode
d'expression ; et dans sa multiplicité de sens, dans
sa conception de l'Amour, dans sa croyance en
l'Amour comme à la fois en son Maître, en sa
Sagesse, en sa Religion ; en ceci aussi qu'un seul
grand événement de la vie, un deuil et un chagrin en
vinrent à être l'essence de sa Poésie et de sa
Contemplation, - il ressemble, seul parmi les
modernes, au noble Dante ; et il nous chante, comme
lui, un insondable, mystique chant, bien différent
de celui de tant d'imitateurs, qui se figurent qu'on
endosse et qu’on quitte le mysticisme comme un
vêtement. » Considérant la tendance de ses efforts
poétiques, aussi bien que l'esprit général de sa
philosophie, cette flatteuse comparaison peut se
trouver mieux fondée qu'elle ne semble l’être à
première vue. Cependant, si l'on nous demandait de
donner, d'après cette méthode, qui nous semble en
tous cas une méthode très vague, une idée de
Novalis, nous inclinerions à l'appeler le Pascal
allemand plutôt que le Dante allemand. Entre Pascal
et Novalis, un amateur de semblables analogies
pourrait relever plus d'un point de ressemblance.
L'un et l'autre ont la nature la plus pure, la plus
affectueuse ; l'un et l'autre sont mathématiciens et
naturalistes, mais s'occupent surtout de Religion ;
bien plus, leurs meilleurs écrits, à tous les deux,
sont restés sous forme de « Pensées », de matériaux
d'une grande entreprise, dont chacun d'eux, avec les
vues particulières à son époque, avait conçu le
plan, en quelque sorte, pour le progrès de la
Religion, et qu’aucun d’eux ne vécut assez longtemps
pour réaliser. Et dans tout ceci il ne faudrait pas
non plus manquer de remarquer avec soin que Novalis
était, non pas le Pascal français, mais le Pascal
allemand ; et là-dessus, des habitudes
intellectuelles de l'un et de l'autre, maints
contrastes et maintes conclusions pourraient se
déduire, du point de vue national ; chose que nous
laissons à ceux qui ont le goût de tels parallèles." |