Durant son séjour en
Orient, et particulièrement au Caire, Nerval a pratiqué une forme de
sympathie aux antipodes de l'attitude de la plupart des voyageurs du
XIXe (Flaubert!) et même du XXe siècle pour qui l'Orient ne fut jamais
que le miroir de leurs fantasmes ou le faire valoir de leur
intelligence. Il est en cela un précurseur. Fondamentalement il porte un
regard de bienveillance à l'égard de l'Orient, dénué d'a priori, et qui lui fait
adopter les mœurs des peuples qu'il visite et partager avec eux leurs plaisirs, leurs
rêves, bref leur vie.
Ainsi les
réflexions que lui inspire sa vie cairote sont-elles dignes d'un orientaliste. A propos
du statut de l'esclave en pays musulmans : "Comparez à cela le sort des esclaves
dans les pays américains".
Quant à l'amour,
selon les lois de l'Orient, voici ce qu'il en retire : "On doit y voir peut-être
moins le mépris de la femme qu'un certain reste de platonisme antique, qui élève
l'amour pur au-dessus des objets périssables. La femme adorée n'est elle-même que le
fantôme abstrait, que l'image incomplète d'une femme divine, fiancée au croyant de
toute éternité. Ce sont ces idées qui ont fait penser que les Orientaux niaient l'âme
des femmes ; mais on sait aujourd'hui que les musulmanes vraiment pieuses ont l'espérance
elles-mêmes de voir leur idéal se réaliser dans le ciel. L'histoire religieuse des
Arabes a ses saintes et ses prophétesses, et la fille de Mahomet, l'illustre Fatime, est
la reine de ce paradis féminin."
Malgré la
pertinence du propos, on ne peut s'empêcher de penser que Nerval est passé bien près de
ce qu'il cherchait, sans s'en rendre compte. Car la vocation à
l'amour du poète est assurément "orientale", la bien-aimée étant en
Orient la manifestation visible, terrestre, de la Jeune fille à la ressemblance de
l'âme, de cette "fiancée paradisiaque" qui, en termes d'ésotérisme
chrétien, est le Christ-Ange. Il faudra l'expérience tragique d'Aurélia pour
que Nerval en prenne conscience.

Sur le Caire à l'époque de
Nerval, voir L'Égypte des Milles et une nuits, Henri et Anne
Stierlin, Imprimerie Nationale, 1999
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