Intégrales
De Novalis nous connaissions - mal - Les disciples à Saïs, Henri
d'Ofterdingen et surtout, les Hymnes à la Nuit ou les chants plus
proprement religieux. Or tout le reste, c'est-à-dire les divers Fragments
débordent le second des deux volumes de ses Œuvres complètes qu'Armel
Guerne nous présente enfin, mieux que complètes : complétées (Gallimard,
15 x 22, 396 et 460 pages).
Non qu'il se soit permis, bien entendu, d'ajouter une seule phrase au
texte de Novalis. Il montre même que si la majeure partie de ce Grand
Œuvre porte « le sceau de l'inachevé » c'est que chacun des fragments est
« une lumière prise à... une flèche tirée sur… une percée vers...
(par-delà les beautés que l'on peut tenir captives dans une œuvre) des
vérités sublimes qu'on approche, dont on reçoit l'accord, mais qu'on ne
peut traduire par une perfection quelconque (I p. 18-20 et II p. 46).
Voila dont l'unité profonde qui polarise tout, sans pourtant le fermer sur
son apparente perfection —comme ces « systèmes » de philosophie que
l'Allemagne a multipliés. Au contraire, dans notre univers si
soigneusement clos sur lui-même en délectation matérialiste, une telle
poésie rend aux choses « leur dignité de signes », et par conséquent «
ouvre aux autres mondes les portes de ce monde ». Qu'y aurait-il de plus
nécessaire ? Mais parce qu'elle se situe aux frontières entre les mondes,
la grande poésie n'évite pas toujours des confusions, et le romantisme
allemand moins que tout autre. C'est la qu'Armel Guerne complète Novalis,
et doublement. D'abord, le poète qu'il est lui-même, et poète bien
français, définit au plus juste dans ses introductions ce que nous pouvons
attendre de la poésie. Par exemple Henri d'Ofterdingen est « quelque chose
comme la vision de la gravitation des apparences dans le pressentiment
universel d'un point de convergence, d'un absolu spirituel... ».
Pressentiment, reconnaît-il, et non claire vision. Confondre l'un avec
l'autre, c'est l'erreur du mysticisme. L'expérience de Novalis le mène «
aux portes de l'absolu » ; il touche « aux franges de l'éternité » ; sans
doute est-ce l'activité la plus haute a laquelle, de soi-même, l'homme
puisse accéder : « le chant de l'être, son sentiment et sa conscience ».
Mais de cette expérience poétique a la mystique proprement dite, il y a
cette mutation totale qu'introduit l'initiative de Dieu.
Car Il est d'abord, Lui, en son Amour. Nous ne pouvons qu'y répondre en
nous ouvrant â Lui — en particulier par la poésie, si elle reste à sa
place, comme un don venu d'En-Haut bienheureux et gratuit.
Mais Armel Guerne fait mieux que de définir la situation de cette poésie :
il la rétablit en quelque sorte, dans la mesure ou sa transposition de
l'allemand en français n'est pas une traduction trop littérale, qui
trahirait l'original en laissant échapper l'essentiel de sa poésie. Si
elle perd — nécessairement — la fluidité dangereuse propre à la langue et
à l'esprit germaniques, elle profite si à propos du génie français que
quelque chose des confusions que nous déplorions s'en trouve comme
dissipé.
Ces Œuvres complètes de Novalis ne sont donc pas une simple réédition. Au
sens le plus fort du mot elles sont un événement littéraire, et « La
Pléiade » se fut honorée en l'incluant dans sa prestigieuse bibliothèque.
Dom
Claude Jean-Nesmy,
Zodiaque,
avril 1975,
Avec l’aimable autorisation des éditions Desclée de Brouwer
Enfin nous avons une traduction intégrale des écrits de NOVALIS (Œuvres
complètes. I. Romans - Poésies - Essais. II. Les Fragments. Édition
établie, traduite et présentée par Armel GUERNE. Paris, Gallimard, 15 x
22, 1975, 393 et 458 p. Du Monde Entier. Depuis que Maeterlinck avait
procuré un choix de textes, traduits poétiquement et selon les moyens dont
il disposait, des parties de cette ample production avaient été présentées
au public français : presque toujours les Hymnes à la nuit, les Disciples
à Saïs, parfois Henri d'Ofterdingen. La présente édition est le point
d'aboutissement d'un lent travail, la reconnaissance d'un des plus purs
poètes et d'un des esprits les plus géniaux qu'ait connus l'Europe.
Novalis est mort en mars 1801. Le volume de Maeterlinck est de 1894. Puis
ont paru la thèse de Spenlé, l'ouvrage d'A. Béguin, celui de M. Brion, on
a traduit l'ouvrage de Ricarda Huch. L'histoire de la découverte de
Novalis doit être sinon écrite, du moins publiée. Assurément la présente
édition fera date. On devait à Armel Guerne certaines traductions du
poète. Il couronne son effort par ce grand œuvre, cette somme poétique.
Elle est fondée sur l'édition critique Klückhohn - Samuel. On sait qu'il y
a quelques divergences entre elle et celle que procura Wasmuth, surtout
pour les Fragments. On lira l'excellente introduction d'Armel Guerne :
elle est d'un poète qui a éprouvé en profondeur, pour l'avoir fréquentée
longtemps et intensément, l'œuvre de son poète ; d'un homme aussi qui juge
avec clairvoyance le temps où il vit, non sans quelque amertume à voir se
perdre des valeurs essentielles. Cette introduction mérite d'être méditée.
Et grâce à M. Guerne, il sera possible au grand public de connaître ces
textes, tous importants car ils proviennent du même foyer ardent et actif,
qui s'intitulent Europe ou la Chrétienté, Clarisse, le journal intime
rédigé après la mort de Sophie von Kühn. Ajoutons que toutes les allusions
incluses dans les écrits de Novalis sont expliquées par des notes, ainsi
que les mots rares (tel cet alcahest, qui restait mystérieux dans la
version de Maeterlinck). De plus, chaque œuvre est précédée d'une
introduction, dont l'objet est moins sa définition historique ou son
explication génétique, que sa portée pour Novalis et pour nous. M. Guerne
y déploie la même conviction, la même ferveur que dans son introduction
générale. On ne peut que le féliciter, ainsi que les éditeurs, d'avoir
réalisé cette intégrale que l'on attendait depuis longtemps.
Raymond Pouilliart,
Professeur à l'Université catholique de Louvain (Belgique), Les Lettres
romanes, XXIX, 1975
Comme il est difficile, et poignant, et émouvant,
d'écrire sur certains êtres. Novalis est de ceux-là. Superbement restitué
dans sa mystérieuse clarté par Monsieur Armel Guerne, son préfacier et
traducteur, il est enfin possible de le lire en français dans sa durée.
[...]
Mais avant d'aller plus loin dans la découverte de cet archange, je
voudrais dire un mot au sujet du travail de Monsieur Guerne. En général,
on passe sous silence ce que font les traducteurs, comme si cela allait de
soi. Ici, il faut au contraire crier tout haut qu'une pareille traduction
tient du miracle. À croire que la véritable langue de Novalis aurait dû
être la française, et non l'allemande. [...] Bref, il semble que Monsieur
Guerne, en traduisant comme il vient de le faire ses œuvres, ait réalisé
avec éclat l'un des rêves les plus secrets de cet homme qui n'a vécu que
pour le rêve.
Quant à la préface, elle est en tout point admirable. Je ne crois pas
qu'on ait jamais poussé si loin que l'a fait M. Guerne l'analyse de ce
qu'est l'expression poétique, en quoi je vois une parole donnée (parole
donnée par les dieux, parole donnée comme un serment).
Sous le titre de NOVALIS OU LA VOCATION D'ETERNITE, il y a là une
trentaine de pages qui m'ont transporté, et lavé. [...] Oui, cher Armel
Guerne, Novalis nous rend à nous-mêmes en nous rendant l'accord avec le
monde ! Merci.
Henry
BONNIER, La Dépêche du Midi, Dimanche 23 février 1975
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