Cahiers du Moulin

Autour des Oeuvres complètes de Novalis, traduites par Armel Guerne

Octobre 2003

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Intégrales

    De Novalis nous connaissions - mal - Les disciples à Saïs, Henri d'Ofterdingen et surtout, les Hymnes à la Nuit ou les chants plus proprement religieux. Or tout le reste, c'est-à-dire les divers Fragments débordent le second des deux volumes de ses Œuvres complètes qu'Armel Guerne nous présente enfin, mieux que complètes : complétées (Gallimard, 15 x 22, 396 et 460 pages).

    Non qu'il se soit permis, bien entendu, d'ajouter une seule phrase au texte de Novalis. Il montre même que si la majeure partie de ce Grand Œuvre porte « le sceau de l'inachevé » c'est que chacun des fragments est « une lumière prise à... une flèche tirée sur… une percée vers... (par-delà les beautés que l'on peut tenir captives dans une œuvre) des vérités sublimes qu'on approche, dont on reçoit l'accord, mais qu'on ne peut traduire par une perfection quelconque (I p. 18-20 et II p. 46).

    Voila dont l'unité profonde qui polarise tout, sans pourtant le fermer sur son apparente perfection —comme ces « systèmes » de philosophie que l'Allemagne a multipliés. Au contraire, dans notre univers si soigneusement clos sur lui-même en délectation matérialiste, une telle poésie rend aux choses « leur dignité de signes », et par conséquent « ouvre aux autres mondes les portes de ce monde ». Qu'y aurait-il de plus nécessaire ? Mais parce qu'elle se situe aux frontières entre les mondes, la grande poésie n'évite pas toujours des confusions, et le romantisme allemand moins que tout autre. C'est la qu'Armel Guerne complète Novalis, et doublement. D'abord, le poète qu'il est lui-même, et poète bien français, définit au plus juste dans ses introductions ce que nous pouvons attendre de la poésie. Par exemple Henri d'Ofterdingen est « quelque chose comme la vision de la gravitation des apparences dans le pressentiment universel d'un point de convergence, d'un absolu spirituel... ».

    Pressentiment, reconnaît-il, et non claire vision. Confondre l'un avec l'autre, c'est l'erreur du mysticisme. L'expérience de Novalis le mène « aux portes de l'absolu » ; il touche « aux franges de l'éternité » ; sans doute est-ce l'activité la plus haute a laquelle, de soi-même, l'homme puisse accéder : « le chant de l'être, son sentiment et sa conscience ». Mais de cette expérience poétique a la mystique proprement dite, il y a cette mutation totale qu'introduit l'initiative de Dieu.

    Car Il est d'abord, Lui, en son Amour. Nous ne pouvons qu'y répondre en nous ouvrant â Lui — en particulier par la poésie, si elle reste à sa place, comme un don venu d'En-Haut bienheureux et gratuit.

    Mais Armel Guerne fait mieux que de définir la situation de cette poésie : il la rétablit en quelque sorte, dans la mesure ou sa transposition de l'allemand en français n'est pas une traduction trop littérale, qui trahirait l'original en laissant échapper l'essentiel de sa poésie. Si elle perd — nécessairement — la fluidité dangereuse propre à la langue et à l'esprit germaniques, elle profite si à propos du génie français que quelque chose des confusions que nous déplorions s'en trouve comme dissipé.

    Ces Œuvres complètes de Novalis ne sont donc pas une simple réédition. Au sens le plus fort du mot elles sont un événement littéraire, et « La Pléiade » se fut honorée en l'incluant dans sa prestigieuse bibliothèque.

Dom Claude Jean-Nesmy, Zodiaque, avril 1975, Avec l’aimable autorisation des éditions Desclée de Brouwer

 

    Enfin nous avons une traduction intégrale des écrits de NOVALIS (Œuvres complètes. I. Romans - Poésies - Essais. II. Les Fragments. Édition établie, traduite et présentée par Armel GUERNE. Paris, Gallimard, 15 x 22, 1975, 393 et 458 p. Du Monde Entier. Depuis que Maeterlinck avait procuré un choix de textes, traduits poétiquement et selon les moyens dont il disposait, des parties de cette ample production avaient été présentées au public français : presque toujours les Hymnes à la nuit, les Disciples à Saïs, parfois Henri d'Ofterdingen. La présente édition est le point d'aboutissement d'un lent travail, la reconnaissance d'un des plus purs poètes et d'un des esprits les plus géniaux qu'ait connus l'Europe. Novalis est mort en mars 1801. Le volume de Maeterlinck est de 1894. Puis ont paru la thèse de Spenlé, l'ouvrage d'A. Béguin, celui de M. Brion, on a traduit l'ouvrage de Ricarda Huch. L'histoire de la découverte de Novalis doit être sinon écrite, du moins publiée. Assurément la présente édition fera date. On devait à Armel Guerne certaines traductions du poète. Il couronne son effort par ce grand œuvre, cette somme poétique. Elle est fondée sur l'édition critique Klückhohn - Samuel. On sait qu'il y a quelques divergences entre elle et celle que procura Wasmuth, surtout pour les Fragments. On lira l'excellente introduction d'Armel Guerne : elle est d'un poète qui a éprouvé en profondeur, pour l'avoir fréquentée longtemps et intensément, l'œuvre de son poète ; d'un homme aussi qui juge avec clairvoyance le temps où il vit, non sans quelque amertume à voir se perdre des valeurs essentielles. Cette introduction mérite d'être méditée. Et grâce à M. Guerne, il sera possible au grand public de connaître ces textes, tous importants car ils proviennent du même foyer ardent et actif, qui s'intitulent Europe ou la Chrétienté, Clarisse, le journal intime rédigé après la mort de Sophie von Kühn. Ajoutons que toutes les allusions incluses dans les écrits de Novalis sont expliquées par des notes, ainsi que les mots rares (tel cet alcahest, qui restait mystérieux dans la version de Maeterlinck). De plus, chaque œuvre est précédée d'une introduction, dont l'objet est moins sa définition historique ou son explication génétique, que sa portée pour Novalis et pour nous. M. Guerne y déploie la même conviction, la même ferveur que dans son introduction générale. On ne peut que le féliciter, ainsi que les éditeurs, d'avoir réalisé cette intégrale que l'on attendait depuis longtemps.

Raymond Pouilliart, Professeur à l'Université catholique de Louvain (Belgique), Les Lettres romanes,  XXIX, 1975

    Comme il est difficile, et poignant, et émouvant, d'écrire sur certains êtres. Novalis est de ceux-là. Superbement restitué dans sa mystérieuse clarté par Monsieur Armel Guerne, son préfacier et traducteur, il est enfin possible de le lire en français dans sa durée. [...]

      Mais avant d'aller plus loin dans la découverte de cet archange, je voudrais dire un mot au sujet du travail de Monsieur Guerne. En général, on passe sous silence ce que font les traducteurs, comme si cela allait de soi. Ici, il faut au contraire crier tout haut qu'une pareille traduction tient du miracle. À croire que la véritable langue de Novalis aurait dû être la française, et non l'allemande. [...] Bref, il semble que Monsieur Guerne, en traduisant comme il vient de le faire ses œuvres, ait réalisé avec éclat l'un des rêves les plus secrets de cet homme qui n'a vécu que pour le rêve.

      Quant à la préface, elle est en tout point admirable. Je ne crois pas qu'on ait jamais poussé si loin que l'a fait M. Guerne l'analyse de ce qu'est l'expression poétique, en quoi je vois une parole donnée (parole donnée par les dieux, parole donnée comme un serment).

      Sous le titre de NOVALIS OU LA VOCATION D'ETERNITE, il y a là une trentaine de pages qui m'ont transporté, et lavé. [...] Oui, cher Armel Guerne, Novalis nous rend à nous­-mêmes en nous rendant l'accord avec le monde ! Merci.

Henry BONNIER, La Dépêche du Midi, Dimanche 23 février 1975