AU SUJET DE PARACELSE

 

SOMMAIRE :

Charles Le Brun, "Paracelse ou l'aventure prométhéenne"  - Jean Moncelon, "Paracelse, solitaire crieur" (à télécharger au format PDF)

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Évangile d’un médecin errant suivi de Paracelse en Alsace. Traduction et postface de Lucien Braun. Éditions Arfuyen, Paris 1991.

          Paracelse. Portrait par Augustin Hirschvogel

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Note d’Armel Guerne datée du 5 avril 1948.

« C'est une pensée qui m'habite beaucoup, et de plus en plus fort, cette perspective selon laquelle Paracelse pourrait bien avoir parlé et n'avoir parlé que pour les temps apocalyptiques où la civilisation devant laquelle il reste dressé, temporellement, viendra à se débander et se défaire, à se fracasser sur son propre principe de contradiction, moment ignoble dans les faits, mais exceptionnel et de haute portée mystique où la voix d'un seul, venant à être entendue, peut apporter et déposer les germes d'un monde nouveau fait par une civilisation nouvelle. Or ces temps sont les nôtres, indiscutablement, et ce moment semble venu où la voix de Paracelse, la haute voix lancée depuis quatre siècles, doit parvenir à ses auditores, arriver à ses fins. Il est sûr que sous les médiocrités de plus en plus nombreuses et lourdes d'un poids mort capable d'entraîner à l'abîme tout ce morceau d'histoire qui nous sépare du Moyen-Age, le vrai, le grand humain, il est certain que sous ce monde d'ici enlisé dans la glu des sordidités les pires, le courant mystique augmente de jour en jour sa force, d'autant plus nécessaire et d'autant plus cachée. Ce ne sont pas de ridicules frontières de pays ou de langue comme celles qui nous séparent, Français, des Allemands, qui ont pu faire que Paracelse célébré, édité, commenté là-bas, considéré comme un héros national, soit ici demeuré à ce point inconnu. Comme toujours, l'Allemagne passe la mesure, et dans l'excès d'une soudaine notoriété doctorale et universitaire, sous les masses de bouquins qui l'étudient, l'analysent, l'auscultent, l'expliquent, le paraphrasent, le discutent, le dissèquent sous cent ou mille incidences, Paracelse est de nouveau caché, retranché à jamais derrière cette érudition haïe, échappant tout à fait, avec sa vie, à cette énorme et pesante Scolastique immobile, contre laquelle il a tant combattu avec toutes ses armes. Mais ici, ici où il est vierge encore, ici, où sans qu'on sache pourquoi (si l'on excepte deux ou trois livres ridicules), personne ne s'est occupé de lui et où nul ne le connaît, ici il peut entrer tout debout et tout vif et réussir, avant que ne l'étouffent les professeurs et les savants, cette entreprise dont il fut l'extraordinaire et génial champion. Cette entreprise de feu qui ne pouvait pas s'accomplir réellement dans les eaux basses de la langue allemande. »

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LE LIEU ET LE MOMENT

« Combien de pages n’ont été écrites, et avec peine, qui en fin de compte n’ont livré que des sottises ? N’aurait-il pas mieux valu se dire : attends, laisse mûrir les choses ? Qui agit de la sorte ? Celui qui veut avoir le pain avant même d’avoir chauffé le four ; où celui qui veut moissonner là où l’on n’a point semé !

         Ce qui est attendu de toi, ce qui est vraiment en toi, cela naîtra en temps voulu de toi. Tu ne sauras pas comment, ni d’où cela vient, ni où cela tend ; mais, en fin de parcours, tu y trouveras ce que jamais tu n’as appris ni su : tu verras le fruit. Et personne ne saura qui le mangera, ni quand. Beaucoup en effet sèment, d’autres moissonnent ; beaucoup moissonnent, d’autres moulent le grain ; d’autres encore cuisent et mangent ce qu’ils n’ont ni semé ni moissonné. Ainsi vont les activités et les travaux sur cette terre, sans qu’on en aperçoive l’origine et la fin.

         Chacun de nous est appelé à une tâche donnée ; et ce serait pécher que de se livrer à ce à quoi nous ne sommes pas appelés. S’il y a une lumière en nous, c’est que Dieu l’y a placée, et non quelque maître terrestre. Si donc Dieu a mis en nous cette lumière, il fera aussi qu’elle se manifeste, qu’elle brille et que voient clair, par elle, ceux qui souhaitent être éclairés. Pourquoi en vouloir à Dieu s’il a mis en nous une lumière et que, pour un temps, il la maintient cachée ? Il la poussera dehors le moment voulu. Elle sortira de toi, même si cela n’est ni voulu, ni recherché, ni même su par toi ! Car s’il y en a beaucoup qui savent écrire, il n’y en a qu’un qui soit chancelier.

         Le temps de mon message est là ; je dois écrire. Je n’ai rien à rectifier, car je n’ai rien corrompu : le champ n’a pas encore été labouré. Mais tout montre que c’est l’heure du travail à accomplir. Le temps de la géométrie est achevé, le temps du quadrivium est terminé, le temps de la philosophie est derrière moi, la neige de ma misère a fondu et ce qui croissait est venu à maturité. D’où cela vient, je ne sais ; où cela va, je ne sais ; mais c’est là !

         Si donc l’heure qui longtemps s’est fait attendre est là, alors est là aussi le temps d’écrire – d’écrire sur la vie bienheureuse et sur la vie éternelle. C’est le temps du fruit. »

          Paracelse