SOMMAIRE
: Éditorial - Paracelse,
"Le lieu et le
moment" - Armel Guerne,
"Paracelse",
Note datée du 5 avril 1948 (à télécharger au
format PDF) - Charles Le Brun,
"Paracelse ou
l'aventure prométhéenne"
(à télécharger
au
format PDF)
- Jean Moncelon,
"Paracelse, solitaire crieur"
(à télécharger
au
format PDF)

Tourtrès, Sous les ailes du moulin
ÉDITORIAL,
par Charles Le Brun
GUERNE ET PARACELSE
Parlant de Paracelse, Guerne m’a toujours dit avoir
passé vingt ans de sa vie à en méditer l’œuvre. Ceux
qui l’ont connu savent bien qu’il en fit, tout au
long de son parcours d’homme, sa référence majeure.
L’un des points cardinaux de son horizon spirituel.
Cette constatation a son poids. Surtout lorsqu’on
sait qui était Paracelse ; et lorsqu’on sait qui
était Guerne.
S’il est difficile de dire exactement qui le
conduisit vers l’illustre médecin, il est par contre
plus aisé d’indiquer celui qui fut son initiateur :
en l’occurrence Jacques-Emile Emerit, acupuncteur de
génie mort en 1968 et qui fut, tout comme Georges
Bernanos, comme Mounir Hafez, comme E.M. Cioran ou
comme André Masson, l’un de ses grands amis.
Emerit, qui a laissé différents travaux sur l’art
des aiguilles,
précise dans son
Introduction à la zodiotechnie
: « Nous pensons être le
seul médecin français ayant entièrement lu, traduit
et résumé l’œuvre de Paracelse. » Confidence qui ne
laisse pas d’étonner quand on sait qu’aujourd’hui, –
comme hier d’ailleurs – la plupart des disciples
d’Esculape connaissent à peine le nom du citoyen
d’Einsiedeln! Dans un autre ouvrage,
il écrit : « Un homme de science, un médecin
conscient des prodromes du mal, voilà quatre
siècles, a rédigé l’œuvre immense seule capable de
nous rédimer, en réconciliant la raison avec la foi,
et de nous préparer un remède : cet homme est
Paracelse. »
Il n’y a rien à ajouter. Si ce n’est que
la conversation des deux amis dut fréquemment rouler
sur ce sujet. Leur passion commune.
De fait, toute la production poétique de
Guerne se ressent de la puissante empreinte du grand
alchimiste. De cette influence du reste, il ne se
cachait pas. Au contraire : il en fit état dans ses
Fragments, dans son Journal, dans
nombre de ses lettres. Son désir profond de donner
une version française des Opera Omnia ne put
malheureusement se réaliser. Il eût été, pourtant,
LE traducteur de cette somme magistrale. La maîtrise
dont il fait preuve dans ce qui a été retrouvé de la
Prognosticatio, du Lion Septentrional
et autres traités ou extraits, est exceptionnelle et
ne pouvait venir que d’un homme qualifié, d’un
esprit capable de saisir la signification de textes
aussi énigmatiques, aussi délibérément fermés à
l’entendement ordinaire. A ce propos justement, il
me confia un jour que « quelqu’un » lui avait
assuré, après lecture de ses poèmes, que la teneur
de sa pensée correspondait, en alchimie, au degré du
soufre rouge.
Cette précision, si elle n’évoque rien pour la
plupart des lecteurs, en dira long aux praticiens de
l’hermétisme. Toutefois, elle ajoute au mystère de
cette décision, prise en haut lieu, qui le
contraignit à renoncer à son projet. Mais le
« hasard » a ses raisons qui échappent à la raison
humaine.
Cette formidable entreprise donc, il ne
l’assuma point : refus d’une aide substantielle qui
lui eût permis d’en assurer la continuité ; aléas de
la vie qui le jetèrent dans les péripéties de la
Résistance ; obligation, plus tard, au prix d’un
travail harassant, de subvenir à ses besoins. Un
ensemble de choses qui lui parut être un signe de la
Providence, autorité souveraine à laquelle, de
longue date, il avait résolu d’obéir et qui fut son
guide de chaque jour.
L’essentiel, toutefois, ne devait pas se
perdre ni la chaîne invisible se rompre. Le discours
de l’un, en effet, allait passer dans celui de
l’autre, chacun baigné par une même et munificente
lumière : cette Lumière de la Nature dont il est si
souvent question dans les écrits de Paracelse et que
la poésie de Guerne, tout intérieure, secrètement
reliée à une réalité plus haute, nous restitue d’une
façon incomparable.
En tendant la main à Paracelse, de son
temps jusqu’au sien, par-dessus les séductions de la
Renaissance, la tentation des « Lumières », les
utopies de la Révolution, le mirage innombrable et
tragique de l’ère contemporaine, Guerne ne
prenait-il pas, résolument, le relais de l’unique et
véritable tradition ? L’heure était venue, qui
sait ? d’en retrouver la racine immémoriale.
L’avenir est là. Il nous fait signe. Il nous attend.
Et nous en sommes tous responsables. « Le lendemain,
c’est vous ! » s’écriait Bernanos il n’y a pas si
longtemps. Et par ce « vous » c’est nous qu’il
désignait, nous les dépositaires d’un passé que nous
oblitérons chaque jour un peu plus au profit de
rêveries étranges et de fantaisies vénéneuses. Nous
que l’amnésie menace et qui obéissons, sans relever
la tête, aux voix plurielles de la paresse et de
l’indifférence, d’acquiescements en compromissions,
de lâchetés en abandons, prompts à nous aligner sur
la sinistre cohorte de ceux qui, depuis toujours et
toujours plus haineusement, travaillent à crucifier,
– encore – Celui dont ils ne veulent plus entendre
la parole.
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