ÉDITORIAL
par Charles Le
Brun
Avec la réédition
des Romantiques allemands, l’occasion se
présente, une fois de plus, de souligner les
éminentes qualités de traducteur d’Armel Guerne.
Traduire une œuvre, s’il s’agit d’une œuvre
véritable, n’est pas une entreprise à la portée de
tous. Aucun diplôme, a priori, n’y autorise
quiconque. Pour traduire, en effet, il faut un don.
Outre des affinités profondes, une similitude de
vue, un même niveau spirituel – sinon intellectuel,
outre des aspirations secrètes en résonance
sympathique, une connaissance magistrale de tout le
registre de son propre idiome, il faut ce quelque
chose qui ne s’apprend nulle part et qui fait qu’on
entre de plain-pied dans la pensée d’un autre.
Le « démontage »
d’une langue et son « remontage » dans une structure
étrangère dont la vocation est forcément différente
n’est pas qu’une simple opération de l’intelligence.
L’intelligence n’est, ne sera jamais qu’un
serviteur ; ou si l’on veut, un outil. A elle seule,
elle ne peut répondre aux exigences spirituelles
nécessaires à la traduction. Et c’est là
qu’intervient le don.
Car
s’il faut un don pour écrire – pour écrire bien
s’entend – il en faut un pour traduire. Chaque
langue possède son génie propre. Son souffle
particulier. Ses rythmes spécifiques. Ses formes
incantatoires. Sa couleur. Ses lignes mélodiques.
Mais toutes ont leur origine dans le Verbe. C’est
pourquoi la traduction est avant tout un acte
spirituel.
Et
c’est ainsi que l’entendait Guerne.
Bien
des textes, évidemment, n’ont nul besoin de
semblables dispositions. Ces textes-là sont
multitude. Mais lorsqu’il s’agit d’une production
capitale, nécessaire à une époque, indispensable à
son rétablissement, alors survient celui qui devait
venir pour lui donner une autre vie, dans un autre
vocabulaire. Dans le temps qui convient aussi. Un
temps secret qui n’obéit pas aux mêmes lois que
celui des horloges : un temps vivant à l’intérieur
duquel s’opèrent les choses divines et que
n’entendent pas les hommes distraits. Ce temps –
est-il besoin de le préciser ? – n’est jamais le
fruit du hasard.
Guerne
le savait bien. Écrire, traduire, c’était pour lui
une seule et même mission. Un ministère. Comme celui
d’un prêtre. Pour la plus grande gloire de l’esprit.
Sachant bien toutefois, en ce qui le concernait, que
son labeur demeurerait clandestin ; que la masse des
hommes y resterait sourde. Mais il n’importe ! « On
a le droit de désespérer d’un temps, écrivait-il, si
l’Espérance est plus forte. » Or les travaux de
l’esprit n’ont jamais été réalisés que sous
l’invisible pression de l’Espérance. Celle pour
laquelle le monde est en marche. Malgré tout ! |