LE DEHORS ET LE DEDANS

Le dehors et le dedans (4ème édition, 1997) est l'unique recueil de poésie de Nicolas Bouvier

SOMMAIRE

Le Dictionnaire :

De Afghanistan à Musique

De Photographie à Visage

Oeuvres :

L'Usage du Monde

Le dehors et le dedans

Bibliographie

Documents :

Pourquoi Nicolas Bouvier

 

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Retour à Nicolas Bouvier

Brehed Kaeppelin, sans titre, tissus de lin teint, avec applications d'or, 2002

Voir Brehed Kaeppelin

 

Love song I

Un peu de gris, un peu de pluie

et c'en est déjà presque trop

il faut chanter si bas pour t'endormir

Circé du bord des larmes

 

frêle et fragile comme tu l'es

parfois je me demande

d'où te viennent ces largesses d'ombre

et dans quels jeux silencieux tu t'égares

avec cette soie dévidée dans le noir

sans doute ne sais-tu pas toi-même

pour quelle lumière inconcevable

tu as préparé tant de nuit

 

auberge aveugle du chagrin

ouverte et jamais pleine

mon beau bémol

ma douce haine

 

ton secret, tes couloirs

tes veines

où j'habite et retiens ma voix. 

Brehed Kaeppelin, sans titre (fragment), tissus de lin teint, avec applications d'or, 2002

Voir Brehed Kaeppelin, Hommage à Nicolas Bouvier

Emploi du temps

C'est l'été le plus chaud du siècle

le jour du plus chaud de l'été

les ouvrières ont la nuque rasée

et des éventails de papier

 

Au terminus de la ligne 23

ce matin j'ai appris dix caractères chinois

je suis monté dans cet autobus rose

qui passe un col à l'ombre des bambous

marché le long de la rivière

marché, nagé et maintenant :

le soleil est un fil à plomb

au fil de l'eau passe une figue mordue

les plumes d'un poulet tué par le faucon

Rainettes, salamandres, libellules

le ciel est une éponge grise

trois montagnes font le dos rond

 

Sur les bornes de la rizière

il était écrit que la vie est fumée

j'en ferai ma fumée à moi

allongé au frais dans ce cimetière

entre Ayabé et Miyama

j'ai oublié dix caractères chinois

 

Turkestan chinois

Quarante ans que tu rêvais de ce lieu

tranchée fertile dans le sable rouge infini

Ce soir c'est une tonnelle d'ombre bleue

où l'eau bruit sans se laisser voir

Le jour exténué, le corps fourbu,

les papilles brûlées, la peau séchée de vent

s'y retrouvent et conspirent en secret

 

La chanteuse a les yeux cernés de fatigue

j'aime beaucoup cette musique d'assassins

Un coup d'archet strident tranche une gorge

cithare et clarinette saignent

en grappe de groseilles tièdes

 

La voix de cette femme : rêche, bourrée de sang

elle module et se plaint

elle éteint les étoiles

Tout est désormais plaie et douceur.

 

Tourfan, juillet 1984