L’œuvre de Jacob
Boehme constitue une somme de connaissances
traditionnelles qui ne peuvent être ignorées : qu’il
s’agisse de la naissance de Dieu, de la régénération de
l’âme, ou sa seconde naissance, et du temps présent, qui
est le temps des lys.
Parmi les
voies d’accès à l’ésotérisme occidental, en effet,
c’est-à-dire en lien avec le centre de la Tradition
occidentale, à côté de la voie de « Dieu dans l’Unité
pure », selon Maître Eckhart, et de la tradition
hermétique et alchimique, on rencontre une troisième
voie, la plus proche de nous, au moins historiquement,
qui est la voie de la Sagesse divine, ou encore de « la
chaste vierge de la Sagesse divine ou Sophie »,
d’après Jacob Boehme.
En fait, il serait
beaucoup plus exact de parler d’une confluence de ces
deux voies venant se rejoindre effectivement dans
l’œuvre magistrale de Jacob Boehme. C’est ainsi que ce
dernier dira, d’une part – pour marquer la parenté de la
voie hermétique et de la voie théosophique : « La
régénération de l’homme après la chute d’Adam
s’accomplit de la même manière que la naissance de la
nature éternelle, et l’œuvre des Sages à la recherche de
la pierre philosophale ne se déroule pas autrement » (De
la signature des choses, VII, 78). Et d’autre part,
– on se souvient que pour Maître Eckhart, il n’existe
d’autre mode de réalisation que le détachement,
de soi et de tout le créé : « Celui qui veut sonder le
fond divin, c'est-à-dire la manifestation divine, doit
réfléchir d'abord à quelle fin il l'entreprend, s'il est
aussi bien résolu à pratiquer ce dont il veut
s'instruire, s'il veut s'en servir à la gloire de Dieu
et au bien de l'humanité: s'il demande à mourir au monde
et à sa volonté propre, à vivre dans ce qu'il cherche et
désire, et à être un seul esprit avec lui »
(Clef ou Explication des divers points et termes
principaux).
Cette voie
de la Sagesse divine, inaugurée par Jacob Boehme, né en
1575, en Saxe, sera prolongée après lui par des
disciples nombreux, dans toute l’Europe et jusqu’à nos
jours. Même s’il convient de remarquer que l’influence
de son œuvre fut parfois plus superficielle que réelle,
et même que, parfois, elle fut confondue avec la voie
mystique, la voie de l’Union. Or, il s’agit bien d’une
voie de l’Unité, quand même le terme de la voie de la
Sagesse divine n’est pas le « baiser de la Déité »,
comme pour Maître Eckhart, mais vise les « tréfonds de
l’acte créateur trinitaire » : il est question dans les
deux cas d’une expérience libératrice de tout le monde
créé.
Notice biographique
Jacob Boehme est né en
1575, près de la ville de Görlitz, à la frontière
actuelle de la Pologne et de l’Allemagne, de parents qui
étaient de simples paysans de Haute-Lusace et qui, ayant
remarqué qu’il manifestait quelques dispositions,
l’envoyèrent à l’école, et lui firent apprendre le
métier de cordonnier. C’est alors qu’il se trouvait en
apprentissage que Jacob Boehme reçut la visite
mystérieuse d’un Etranger de qui il recevra son
initiation :
« Il
me raconta lui-même que pendant qu'il était en
apprentissage, son maître et sa maîtresse étant absents
pour un moment, un étranger vêtu très simplement, mais
ayant une belle figure et un aspect vénérable, entra
dans la boutique, et prenant une paire de souliers,
demanda à l'acheter. Mais il n'osa pas les vendre;
l'étranger insistant, il les lui fit un prix excessif,
espérant par là se mettre à l'abri de tout reproche de
la part de son maître, ou dégoûter l'acheteur. Celui-ci
donna le prix demandé, prit les souliers, et sortit. Il
s'arrêta à quelques pas de la maison, et là d'une voix
haute et ferme, il dit : Joseph, Joseph, viens ici.
Le jeune homme fut d'abord surpris et effrayé d'entendre
cet étranger qui lui était tout à fait inconnu l'appeler
ainsi par son prénom de baptême; mais s'étant remis, il
alla à lui. L'étranger, d'un air sérieux mais amical,
porta les yeux sur les siens, les fixa avec un regard
étincelant de feu, le prit par la main droite, et lui
dit : Joseph, tu es peu de chose, mais tu seras grand,
et tu deviendras un autre homme, tellement que tu seras
pour le monde un objet d'étonnement. C'est pourquoi sois
pieux, crains Dieu, et vénère Sa parole; surtout lis
soigneusement les Écritures saintes, dans lesquelles tu
trouveras des consolations et des instructions, car tu
auras beaucoup à souffrir, tu auras à supporter la
pauvreté, la misère et des persécutions; mais sois
courageux et persévérant, car Dieu t'aime et t'est
propice. Sur cela l'étranger lui serra la main, le fixa
encore avec des yeux perçants, et s'en alla, sans qu'il
y ait d'indices qu'ils se soient jamais revus. Jacob
Boehme n'en faut pas peu étonné et de cette prédiction
et de cette exhortation. La physionomie de cet inconnu
lui planait toujours devant les yeux. »
Après
avoir terminé son apprentissage, Jacob Boehme voyagea,
se maria à Görlitz – il aura quatre enfants de ce
mariage.
A l’âge de 25 ans, en
1600, un nouvel épisode spirituel survient : « Après
avoir gagné sa vie à la sueur de son front, comme un
ouvrier laborieux doit le faire, raconte Abraham de
Frankenberg, il fut de nouveau saisi, au
commencement du 17ème siècle, c'est-à-dire en 1600, à
l'âge de 25 ans, de la lumière divine, avec son esprit
astral animique, par l'aspect subit d'un vase d'étain,
dans le fond le plus profond, ou dans le centre de la
nature secrète. Voulant bannir, dans le doute où il
était, cette idée de son cœur, il passa le pont de
Görlitz, qui était près de sa maison, pour se dissiper
dans les champs couverts de verdure, et néanmoins il
ressentit de plus en plus l'aspect qui venait de se
présenter à lui, en sorte que par le moyen de ses
empreintes ou figures naturelles, des ligaments et des
couleurs, il avait pu, pour ainsi dire, pénétrer dans le
cœur et dans la nature la plus secrète de toutes les
créatures » (11).
Peu après, «il est
appelé une troisième fois, selon la volonté et le
conseil secret de Dieu; il est inspiré de l'Esprit
Saint, doué et fortifié par une lumière nouvelle et par
un don nouveau. Pour ne point oublier une si grande
grâce qu'il venait d'obtenir, et pour ne point désobéir
à un maître si saint et si consolateur, il se mit à
composer en 1612 (cependant uniquement pour lui-même) »
(12).
Le premier ouvrage de
Jacob Boehme est son Aurore naissante.
Mais,
ce livre « ne devait jamais voir le jour, et encore
moins être imprimé. » En effet, « le bruit s'en répandit
dans le public, et parvint jusqu'aux oreilles du premier
pasteur de Görlitz, appelé Grégoire Richter, qui,
sans l'avoir vu ni examiné, le condamna du haut de la
chaire » (13). A la suite de cet épisode, Jacob Boehme
se trouve réduit au silence pour de longues années.
Cependant, « ayant été
fortifié et réveillé par une quatrième impulsion de son
fonds intérieur, et ayant été excité par des gens
craignant Dieu et versés dans les sciences naturelles, à
ne pas cacher la lumière sous le boisseau, mais à la
répandre de plus en plus, il se décida à reprendre la
plume » (15).
Voici ce qu’il dira de
cette « impulsion » :
« La vierge ou SOPHIE m’a
fidèlement promis de ne point m’abandonner, dans aucun
besoin ; elle veut venir à mon secours dans le fils de
la vierge ; il faut seulement que je m’attache à lui, il
saura bien me ramener à elle dans le paradis : c’est où
je veux entreprendre d’aller, au travers des ronces et
des épines, au travers de toutes sortes de dédains et de
mépris qui peuvent m’assaillir, jusqu’à ce que je
retrouve ma patrie, d’où mon âme est émigrée, et où ma
chère vierge SOPHIE demeure. Je me repose sur sa fidèle
promesse, lorsqu’elle m’apparut, me disant qu’elle
voulait convertir en de grande joies toutes mes
tristesses ; et lorsque j’étais sur la montagne vers le
nord, et que tous les arbres tombèrent sur moi, que tous
les vents orageux m’assaillirent, et que l’Antéchrist
ouvrit sa gueule devant moi pour me dévorer, elle vint à
moi pour me rassurer et se marier avec moi »
Commence
alors la vie aventureuse de Jacob Boehme, au cours de
laquelle il rédigera tous ses ouvrages et qui s’achèvera
en 1624, puisqu’il meurt cette année-là, à l’âge de 49
ans : « Après avoir fait une profession de foi
évangélique et avoir usé du gage de la grâce, il est
mort le dimanche 17 novembre (1624). Ayant fait appeler
et demandé à son fils aîné : s'il entendait aussi la
belle musique? Sur sa réponse négative, le moribond
ordonna d'ouvrir la chambre afin qu'on entendît mieux le
chant mélodieux » (29).
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