"On sait que si la hauteur d'esprit vous fait un
impeccable contrat de solitude parmi les contemporains, ce qu'on ne
pardonne pas, ce qu'on ne pardonne jamais, c'est la hauteur d'âme. Et rien
n'est plus rassurant, à l'égard de celle de Paracelse, gouvernante
invisible et perpétuelle instigatrice, que les pleines bibliothèques de
sarcasmes et d'injures, de jugements et de mépris, silencieusement
accumulées dans les pompes et les poussières officielles de toutes les
institutions; rien n'est moins inquiétant que ce semblant de dédaigneuse
et protectrice justice qu'on a voulu lui accorder depuis cinquante années,
le confrontant ici ou là, lui et sa science, avec les découvertes
nouvelles et les récentes théories, pour reconnaître en lui, comme gloire
suprême et superbe couronne, un précurseur! Quoi, cet astrologue, cet
alchimiste, ce magicien infâme, médecin-philosophe, ce croyant invétéré?
Ce charlatan, ce burlesque, ce fantasque superstitieux, qui, non content
de mettre tout en Dieu, et la science d'abord, la médecine avant tout,
errant dans les montagnes d'Helvétie en prêchant les bergers et les
villageois, après avoir écrit un œuvre médical énorme au volume duquel,
s'il n'y avait eu que cela, on eût pu faire hommage des honneurs
officiels? Un précurseur de la science moderne, cet homme qui croyait aux
sorcières, aux histoires de bourreaux, aux exorcismes et aux
enchantements, ce médecin qui croyait au pouvoir de la prière? Et dont
l'œuvre, presque pour moitié, quoique encore inédit, est fait uniquement
de sermons et de commentaires des textes de l'Écriture? Car c'est ainsi,
il faut bien l'avouer, qu'il termine cette vie orageuses dont on a fait
étude, historiquement parlant, des centaines de fois, prouvant et
controuvant des faits aussi capitaux et sérieux que par exemple savoir
s'il avait bien été émasculé par un cochon dans son enfance ou si c'était
au cours d'une soirée d'orgie qu'il avait, à quarante-neuf ans, vu
trancher d'un coup d'épée ou de dague par un quelconque larron d'auberge
le fil de son étrange destinée."
"Paracelse est un caractère droit et franc et qui va droit et franchement.
Pas plus qu'il n'épargne les grands, il ne s'épargne soi-même. Tout entier
et toujours tenu par son œuvre, il va et vient partout en Europe, visite
les facultés - où il y a si peu de vrai -, les guérisseurs et les
sorcières, les bourreaux et les barbiers, chez lesquels il y a tant de
faux, et tant de vrai à recueillir, voit les plantes, les métaux,
les maladies, écrit de tout, enseigne et pratique, connaît, au sens
vrai du mot, communie et partage, fuit la maréchaussée des grandeurs et des
sérénités bourgeoises auxquelles il n'a pu s'empêcher, tout en les
soignant, de dire leur fait, se met à dos les professeurs dont il discute,
accuse et combat l'enseignement caduc, toujours franchement, toujours
ouvertement, et avec l'accent inimitable de la sincérité profonde et de la
rectitude absolue dans les actes avant les paroles, et dans les faits
avant les écrits."
Préface d'Armel Guerne
aux Prophéties de Paracelse, Le Rocher, 1983. |