René Guénon est né à Blois, le 15
novembre 1886. Après des études à Blois, puis à Paris –
en classe préparatoire de mathématiques – qu’il ne
terminera pas, du fait d’une santé précaire, il se met
dès 1906 à la recherche de la « parole perdue », pour
reprendre le titre d’un chapitre de la biographie de
Guénon par Paul Chacornac, La vie simple de René Guénon, Éditions
traditionnelles, 1958.
C’est d’abord son entrée dans l’Ordre Martiniste où il recevra
rapidement le grade de Supérieur Inconnu, puis dans deux loges maçonniques
dont le Chapitre et Temple « INRI » du rite Primitif et
Originel Swedenborgien, où il s’élèvera à la dignité de Kadosh.
Ces expériences de jeunesse ont leur importance, car elles lui ont
permis de juger très tôt de ce néo-spiritualisme « fin de siècle »
dont il dira : « Il est impossible d’associer des doctrines
aussi dissemblables que le sont toutes celles que l’on range sous le
nom de spiritualisme ; de tels éléments ne pourront jamais
constituer un édifice stable ». Il se sépare donc rapidement de
ces milieux. Il est admis cependant à la Loge Thébah, relevant
de la Grande Loge de France, Rite Écossais Ancien et Accepté, et
c’est, en 1909, vers l’Église gnostique qu’il se tourne alors. Il
y fut consacré évêque sous le nom de Palingenius et devint le
principal rédacteur de la revue La Gnose qu’il fonda et à
laquelle il va collaborer jusqu’en 1922. René Guénon y publia sous
forme d’articles « une grande partie du Symbolisme de la Croix,
la partie essentielle de l’Homme et son devenir selon le Védanta, et
de nombreux articles qui, remaniés, prirent place dans Les principes du
calcul infinitésimal ». Guénon n’en prend pas moins la
mesure de cette Église gnostique qu’il jugera plus tard en ces termes :
« Les « néo-gnostiques » n’ont jamais rien reçu
par une transmission quelconque, et il ne s’agit que d’un essai
de « reconstitution » d’après des documents, d’ailleurs
bien fragmentaires qui sont à la portée de tout le monde ».
De la vraie transmission, René Guénon va en être le bénéficiaire
à deux reprises, d’abord de la part d’un ou plusieurs maîtres
hindous, vers 1910. Transmission orale, dont on ne sait à peu près
rien, malgré les investigations de ses disciples. (On pense à l’article de Jean
Reyor, dans le Cahier de l’Herne consacré
à René Guénon : « De quelques énigmes dans
l’œuvre de René Guénon », pp. 136 et suivantes). Mais
transmission bien réelle, puisqu’elle sera à l’origine de la rédaction de l’Homme
et son devenir selon le Védânta. Transmission mystérieuse, enfin,
qui fera de Guénon fondamentalement un « Védantin », selon
l’expression de Robert Amadou, et cela, même si, en 1912,
il sera initié à l'ésotérisme islamique, sous
l’influence d’un peintre suédois, Yvan Aguéli, converti à l’Islam
sous le nom de Abdul-Hâdi (1869-1917). Guénon
prendra le nom sous lequel il sera connu de ses amis et de ses relations
musulmanes en Égypte quelques années plus tard : Abdel Wahêd
Yahia. Il recevra peu après la barakah – l’influence
spirituelle de l’initiation dans l’ésotérisme musulman
– d’un sheikh de l’ordre shâdhilite, Addel-Rahmân Elish el-Kebir.
En 1912, aussi, René Guénon se marie avec une jeune
fille de Blois, de famille catholique. Le couple n’aura pas
d’enfants, mais s’occupera d’une jeune nièce, jusqu’à la mort
de la jeune femme. L’année suivante, Guénon s’engage dans le
combat mené par la revue catholique La France Anti-Maçonnique
et y publie pendant un an, sous un pseudonyme – le Sphinx – une série
d’articles sur la Franc-Maçonnerie. Durant la Première Guerre
Mondiale, exempté de service, à cause de sa santé, il devient
professeur de philosophie, ses rentes ne lui permettant plus de subvenir
aux besoins du couple. Il fera aussi un séjour d’une année (1917), à
Sétif, en Algérie. A la fin de la guerre, il quitte l’enseignement
pour se consacrer à ses ouvrages dont le premier paraît en 1921 :
Introduction générale à l’étude des doctrines hindoues. Les
ouvrages suivants, Le Théosophisme, L’erreur spirite qui constituent
des critiques sévères du néo-spiritualisme seront naturellement fort
mal accueillis, tandis que la parution d’Orient et d’Occident, en
1924, rencontrera un certain succès, avec les critiques élogieuses
d’un certain Léon Daudet.
En 1927, paraît, enfin, La crise du
monde moderne, ouvrage qui a connu la plus large audience du vivant
de Guénon et qui a été constamment réédité (jusque dans des
collections « de poche », de nos jours). Il s’agit d’un
ouvrage fondamental – auquel on pourrait comparer Chevaucher le
Tigre de Julius Evola, par exemple – moins par l’exposé de la
doctrine traditionnelle que par ce regard sur le monde
moderne qui provoque un « retournement » chez beaucoup de
ses lecteurs, du moins ceux chez qui ce « retournement »
peut se produire, car, pour les autres, « le livre leur tombe des
mains » ou ils n’y « entrent » pas, selon différents
témoignages. Léopold Ziegler dira, lui, de La crise du monde
moderne : « Ici, le temporel est enfin mesuré, compté et pesé
avec des mesures éternelles, et trouvé trop léger ».
Les années 1928-1930 forment en
quelque sorte le « milieu de la vie » de René Guénon. Sa
femme meurt le 15 janvier
1928, il se sépare de sa nièce en mars 1929, fait la connaissance
d’une Américaine, Dina, une riche veuve,
avec qui il part pour l’Égypte, le 15 mars 1930. René Guénon ne
reviendra plus en France et ne quittera plus le Caire où il
s’installe, seul, menant une vie extrêmement précaire d’un point
de vue matériel. Il continue de collaborer au Voile d’Isis et publie
en 1931 Le symbolisme de la croix.
En 1934, il se marie avec Fatma Hanem, fille du sheikh Mohammed Ibrahim. Et liquide tous ses biens de France. Revenant
sur son ouvrage Orient et Occident, René Guénon constate que
« la situation est devenue pire que jamais, non seulement en
Occident, mais dans le monde entier », tout en maintenant que
« l’Orient véritable, le seul qui mérite vraiment ce nom, est
et sera toujours l’Orient traditionnel, quand bien même ses représentants
en seraient réduits à n’être plus qu’une minorité, ce qui,
encore aujourd’hui, encore loin d’être le cas ». En revanche,
l’Occident ne lui semble plus posséder les moyens de redresser la
situation désespérée, d’un point de vue traditionnel, où il se
trouve. Ce jugement péremptoire sera cause de l’orientation qui sera
prise par nombre de ses disciples vers l’Islam et le soufisme, dont
Frithjof Schuon qui lui avait rendu visite au Caire en 1935. Les années 30 voient donc se former autour de Guénon tout un
groupe d’Européens, Schuon, mais aussi Titus Burckhardt, Martin Lings,
Michel Vâlsan, etc., qui entreront dans la voie ésotérique musulmane.
Ce sont les « disciples » de la première génération. La
vie de René Guénon ou plutôt d’Abdel Wahêd Yahia se partage ainsi,
jusqu’à la veille de la Seconde Guerre mondiale, entre les visites,
ses nombreuses correspondances, et la rédaction de ses articles pour Le
voile d’Isis, - qui devient Les Études traditionnelles, en
1936. Une première fille naît en 1944 et c’est en 1945 que paraît
la « suite » de la Crise du monde moderne qui
accentue le trait de la critique de l’Occident – et annonce « la
fin d’un monde » : « Nous sommes arrivés là au
dernier terme de l’action antitraditionnelle qui doit mener ce monde
vers sa fin ; après ce règne passager de la « contre-tradition »,
il ne peut plus y avoir, pour parvenir au moment ultime du cycle actuel,
que le « redressement » qui, remettant soudain toutes choses
à leur place normale alors même que la subversion semblait complète,
préparera immédiatement « l’âge d’or » du cycle
futur. » En 1947, naît une seconde fille – René Guénon aura
encore deux enfants, deux fils, Ahmed et Abdel Wahid – et il donne son
accord à la création en France d’une loge maçonnique, la Grande
Triade, de Rite Écossais Ancien et Accepté. Peu après avoir obtenu la naturalisation égyptienne (1949), il
meurt le 7 janvier 1951.
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